De jeuxvideo.com à un projet d'attentat, comment trois jeunes se sont radicalisés en quelques mois
Jugé à partir de lundi devant la cour d'assises des mineurs de Paris, ils sont soupçonnés d'avoir projeté en 2015 l'attaque d'un site militaire du cap Béar (Pyrénées-Orientales). L'audition de l'un d'entre eux devant la DGSI a été révélée par "Le Monde" et "Le Parisien".
Ils se sont rencontrés sur le forum jeuxvideo.com et vont comparaître côte à côte devant la cour d'assises des mineurs de Paris. Trois jeunes Français radicalisés, soupçonnés d'avoir projeté en 2015 l'attaque d'un site militaire du cap Béar, dans le Sud-Ouest, sont jugés à partir du lundi 9 avril. Ils avaient alors 17, 19 et 23 ans, vivaient chez leur mère et surfaient sur internet. Ismaël K., Antoine F. et Djebril A., ont en commun leur jeunesse et une conversion rapide à l'islamisme radical.
Lors de son audition devant la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dont le contenu est révélé par Le Monde et Le Parisien, Djebril A. a raconté son endoctrinement par le groupe Etat islamique. Un document édifiant, qui laisse entrevoir les processus à l'œuvre dans la radicalisation islamiste.
"Quand j’ai appris que je n’allais pas être embarqué, ça m’a beaucoup coûté. J’avais perdu le rêve de ma vie", commence par expliquer Djebril A., recalé aux tests pour naviguer sur la flotte de l’armée française et affecté comme guetteur au fort Béar, situé à Port-Vendres (Pyrénées-Orientales). Une longue descente aux enfers s'amorce, avec dépression, enfermement dans la solitude, arrêts maladie et refuge dans l'islam.
Echanges sur un forum consacré à l’islam
Djebril A. s'inscrit sur le forum jeuxvideo.com et y fait la connaissance d'Antoine F., alias Abou Haroun, et Ismaël K., alias Abou Hafs, sur un forum consacré à l’islam. Il développe parallèlement une véritable addiction aux vidéos de tueries de l'Etat islamique. Et se sent happé par l'appel au jihad : "Ils disaient carrément qu’il fallait venir en Syrie car je vivais sur une terre de mécréants, que le jihad était obligatoire et que, si on ne le faisait pas, on était pire que des mécréants, qu’on n’était pas des hommes. Et que, si on ne pouvait pas venir, il fallait commettre une attaque en France", indique-t-il aux enquêteurs de la DGSI. Nous sommes fin 2014, peu de temps avant les attentats de Charlie Hebdo.
Je suis hypnotisé. Je me lève Daech, je mange Daech, je vis Daech.
Djebril A. aux enquêteurs de la DGSIselon son audition révélée dans "Le Monde" et "Le Parisien"
Djebril A. discute quasi quotidiennement avec Antoine F. et Ismaël K sur Twitter, Facebook et les messageries cryptées. Les trois hommes, poursuivis pour avoir voulu rejoindre les rangs de l'EI en zone irako-syrienne, ont-ils vraiment cherché à partir en Syrie ? Djebril A. a affirmé à la DGSI qu'il ne s'en sentait "pas capable". Ismaël K., détenteur d'un bac scientifique avec mention, avait été en revanche signalé par sa mère, qui avait sollicité une mesure d'interdiction de sortie du territoire en novembre 2014. Quant à Antoine F., il est accusé d'avoir aidé un jeune Français à gagner la Syrie, notamment en prenant contact avec Mourad Fares, un des principaux recruteurs français.
Rencontres après les attentats de "Charlie Hebdo"
Le 7 janvier 2015, les frères Kouachi déciment la rédaction de Charlie Hebdo. Djebril A. raconte être "scotché" sur BFMTV, fasciné. Réformé de l'armée à la même période, il commence alors à fomenter un projet d'attentat sur le sol français et rencontre Antoine F. à Lyon le 10 janvier puis Ismaël K. à Lille le 31 janvier. Il leur parle du sémaphore de Béar et de la possibilité d'"attaquer" de nuit "le militaire présent pendant son quart et les autres qui dormaient", "sans toucher aux femmes et aux enfants". Il est aussi question de filmer la décapitation du commandant de ce poste d'observation de la marine nationale.
"Je n’ai pas de rancœur spécifique envers le chef. Il s’est toujours bien comporté envers moi. Il a toujours été prévenant", précise-t-il aux enquêteurs.
C’est tout le paradoxe avec Daech, c’est de nous faire tuer quelqu’un qu’on ne déteste pas.
Djebril A. aux enquêteurs de la DGSIselon son audition révélée par "Le Monde" et "Le Parisien"
Djebril A. assure à la DGSI qu'Antoine F. refuse et qu'Ismaël K. lui répond par un timide "oui". Le benjamin du groupe, qui avait rédigé un testament après l'attentat de Charlie Hebdo, a de son côté expliqué avoir aussi été en contact avec un membre du groupe EI, Abu Hussein El-Britani, qui lui avait donné pour consigne de "frapper sur place en France", faute de pouvoir se rendre en Syrie.
Les enquêteurs ont par ailleurs retrouvé un message d'Ismaël. K. à Antoine F. en mai 2015 : "Le projet c'est : 'On fait le truc dans la base militaire puis on échappe et on va en Syrie'".
Arrêtés en juillet 2015
Les trois jeunes hommes sont finalement arrêtés le 13 juillet 2015. Lors des perquisitions, les enquêteurs retrouvent des caméras, des manuels en ligne de confection d'explosifs et un guide pour les aspirants au jihad syrien, mais ni armes à feu ni explosifs. Les intéressés contestent la matérialité du projet, présenté comme une idée floue et non aboutie.
C’est resté théorique. J’en suis resté aux paroles.
Djebril A. aux enquêteurs de la DGSISelon son audition révélée par "Le Monde" et "Le Parisien"
Djebril A. ajoute avoir "lâché Daech" en mai 2015. Son évolution psychologique, qui lui a permis de rejoindre le régime de la détention classique en décembre 2016, est toutefois jugée fragile par l'administration pénitentiaire, selon Le Monde. Ismaël K. affirme quant à lui avoir totalement renoncé au jihad après son mariage religieux avec une jeune Française convertie. Quant à Antoine F., que sa mère décrit comme "fanatique", il nie avoir adhéré à ce plan.
Mais pour les magistrats instructeurs, cela ne fait pas de doute : ils ont bel et bien "tenté de mettre en œuvre les directives du jihad global préconisées" par le groupe d'Abou Bakr Al-Baghdadi, qui avait proclamé un califat en juin 2014. Les trois encourent une peine maximale de 20 ans de prison, l'excuse de minorité pour Ismaël K. pouvant être écartée par la cour. Le procès, prévu pour se dérouler à huis-clos, doit durer jusqu'à vendredi.
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