Jihadistes français : "Il faut une volonté politique de rapatriement", plaide le coordonnateur des juges antiterroristes
Le juge d'instruction David De Pas estime que la France encourt un "risque de sécurité publique" en refusant de prendre en charge judiciairement ses jihadistes.
C'est une prise de parole inédite. Le juge d'instruction David De Pas, coordonnateur du pôle antiterroriste du tribunal de Paris, estime qu'on "risque de repartir sur un cycle infernal" si les autorités françaises ne prennent pas la décision de rapatrier les jihadistes français du groupe Etat islamique. Le magistrat évoque notamment un "risque de sécurité publique" alors que l'offensive turque dans le nord de la Syrie fait craindre la fuite de prisonniers jihadistes aujourd'hui détenus dans les camps kurdes.
La question du rapatriement est un enjeu de sécurité et de justice à long terme. (...) Il faut une volonté politique de rapatriement.
Le juge David De Pasà l'AFP
Près de 800 femmes et enfants de jihadistes étrangers se sont évadées du camp de déplacés à Aïn Issa, selon les autorités kurdes. Au moins trois Françaises ont été "récupérées" par des jihadistes, d'après des informations de leurs proches transmises à leur avocate. Quelques jours plus tôt, déjà, cinq membres du groupe terroriste s'étaient échappés d'une prison près de la ville de Qamichli (nord-est), selon les forces kurdes.
Le risque de "migrations incontrôlées" vers l'Europe
"L'instabilité géopolitique de la région et la porosité de ce qu'il reste des camps kurdes laissent redouter deux choses, résume David De Pas. D'une part des migrations incontrôlées des jihadistes vers l'Europe avec le risque d'attentat par des personnes très idéologisées et d'autre part la reconstitution de groupes terroristes combattants particulièrement aguerris et déterminés dans la région".
[Il y a un risque] de nouveaux phénomènes de filières, des appels d'air de ressortissants français vers ces groupes-là.
Le juge David De Pasà l'AFP
Jusqu'à présent, la France, qui compte environ 200 ressortissants adultes dans les camps et prisons sous contrôle kurde, se refuse, comme nombre d'autres pays, à les rapatrier en raison de l'hostilité de l'opinion publique, et souhaite qu'ils soient jugés au plus près de là où ils ont commis leurs crimes. Selon les familles, 300 enfants les accompagnent et seule une poignée d'entre eux, essentiellement des orphelins, a été rapatrié, au cas par cas.
Or, depuis que la Turquie a lancé le 9 octobre une offensive contre une milice kurde dans le nord syrien, les Occidentaux redoutent que les 12 000 jihadistes détenus par les Kurdes en Syrie – dont 2 500 à 3 000 étrangers – ne s'évadent. Face à ce "risque de dispersion", le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian s'est rendu jeudi en Irak pour convaincre Bagdad de juger les jihadistes français – hommes et femmes – après leur transfert depuis la Syrie. Mais la diplomatie irakienne a fait savoir dans un communiqué que Bagdad ne voulait "pas des terroristes étrangers qui avaient mené des attaques hors d'Irak".
"La meilleure méthode ? Les juger et les contrôler"
"J'entends que l'on puisse avoir des appréhensions, mais comment se protéger si on ne les a pas sous la main ? La meilleure méthode, c'est de les juger et de les contrôler", insiste-t-il. Le juge rappelle que les individus concernés sont visés par des "mandats" en vertu desquels ils seront "arrêtés et traduits devant la justice dès leur arrivée : c'est ce que font les douze juges antiterroristes depuis cinq ans chaque fois que des jihadistes sont expulsés de Turquie".
Du point de vue du juge, il est préférable de savoir que ces gens sont pris en charge judiciairement plutôt que de les laisser dans la nature.
Le juge David De Pasà l'AFP
Et "si dans 15, 20, 30 ans, ces personnes constituent encore une menace en sortant de prison, où est mené un travail d'évaluation exemplaire, ils resteront sous le contrôle des services de renseignement et de justice". Tandis que même s'ils étaient jugés en Irak, "on ne pourra pas les surveiller" à leur sortie de détention, prévient-il."Je me sentirais responsable de ne pas l'avoir dit."
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