Cet article date de plus de dix ans.

Les frappes françaises en Irak sont-elles contre-productives ?

Un débat, sans vote, se déroule mercredi à l'Assemblée nationale sur l'opération Chammal, en Irak, dont l'objectif est d'affaiblir les positions de l'Etat islamique.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des avions de combat Rafale en mission en Irak, le 19 septembre 2014. (JEAN-LUC BRUNET / ECPAD / AFP)

Après la décision de François Hollande d'engager les premières frappes de l'aviation française, le 19 septembre, sur les positions de l'Etat islamique (EI) en Irak, l'Assemblée nationale ouvre le débat, sans vote, sur les modalités de cette opération, mercredi 24 septembre. Du PS à l'UMP, les députés se rassemblent sur le principe d'une implication militaire aux côtés des Etats-Unis afin de stopper la menace EI.

Mais quelques voix discordantes s'indignent de ces frappes en Irak. Le Front de gauche et le Front national dénoncent les conséquences de cette intervention, tout comme l'ancien ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin, lors d'une interview sur BFMTV : "Engager une troisième guerre d'Irak est une décision absurde et dangereuse." Pour tenter de comprendre les enjeux du débat, francetv info fait le point sur les risques de cette intervention française.

Le risque d'importer le danger en France

"L'intervention va développer le terrorisme en France. J’ai bien peur que demain, des écoles explosent", tempête le député communiste Jean-Jacques Candelier, résolument opposé à l'opération. Il a fait savoir, sur sa page Facebook, qu'il ne participerait pas au débat. La place de la France en première ligne a renforcé la menace terroriste, confirme à francetv info Alain Rodier, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). "C'est le défaut dans la cuirasse avec cette intervention : nous devenons une cible prioritaire pour les islamistes radicaux, détaille le chercheur. Certes, ce n'est pas nouveau, mais là, nous avons gagné une mention spéciale dans le dernier communiqué de Daesh [l'Etat islamique]."

L'EI est à prendre au sérieux. Le jour où les jihadistes proféraient leurs menaces, le pays apprenait l'enlèvement, en Algérie, de l'un de ses ressortissants par un groupe lié à l'organisation ultra-radicale. Joint par francetv info, le député UMP Philippe Vitel, qui conseille aux Français de ne pas se rendre dans les pays présentant une menace, estime cependant qu'on "n'a pas le choix : si on ne répond pas, on se met en état de faiblesse". De son côté, le député socialiste Gwendal Rouillard, interrogé par francetv info, juge que c'est l'inaction qui représente la plus grande menace : "La France doit combattre Daesh, car c’est un danger pour l’Irak, le Moyen-Orient et la sécurité de notre pays."
 
Alain Rodier reconnaît que la France a raison de tout faire pour lutter contre la menace jihadiste, mais il souligne que les frappes françaises restent symboliques en termes d'efficacité : "Sur le plan tactique, nos frappes ne servent à rien. Vu leur puissance, les Américains n'ont pas besoin de nous." Pour le chercheur, la décision de François Hollande est donc avant tout "un signe politique de soutien aux Etats-Unis".

Le risque de valoriser l'image de l'Etat islamique

"Combien de terroristes allons-nous créer ?", s'interroge Dominique de Villepin, qui estime que les frappes risquent de renforcer l'EI en facilitant son recrutement, et en lui donnant un statut. Pour Alain Rodier, les frappes ne changent pas grand-chose : "La dynamique était déjà lancée, grâce notamment à l'expertise de l'EI sur la communication via internet." En revanche, le chercheur reconnaît que la situation donne un avantage à l'EI dans sa guerre à distance contre Al-Qaïda.

Les bombardements français peuvent-ils accélérer le départ de jihadistes vers l'Irak et la Syrie ? "Possible", pour Philippe Vitel, qui a observé le comportement "quasi-sectaire de ces jeunes endoctrinés, touchés par la misère sociale et les difficultés de l'intégration". Jean-Jacques Candelier s'affole de voir tous ces combattants radicaux revenir un jour en France et se transformer en menace pour la population. 

Gwendal Rouillard tente de rassurer ses compatriotes en mettant en avant l'arsenal législatif voté par les députés pour lutter contre les filières jihadistes. Il ajoute qu'il faut aussi "traiter le problème sur le terrain social, économique et culturel". Mais le député socialiste reconnaît que l'une des difficultés de la France reste "l'incapacité à reconquérir les imaginaires de ces jeunes, qui sont séduits par une forme de reconquête et d’aventure." 

Le risque d'être inefficace

"A chaque fois qu'on fait une guerre, on doit en faire une autre pour réparer notre incompétence à répondre à la menace terroriste. (...) Nous avons renoncé à faire de la politique, de la diplomatie", juge encore une fois, sévère, Dominique de Villepin. Alain Rodier reconnaît que la guerre au Mali est en partie la conséquence de la déstabilisation de la Libye après l'intervention française de 2011. De même, la crise irakienne actuelle trouve ses racines dans l'intervention américaine en 2003. "Je me pose des questions sur les visions à long terme des conseillers de nos présidents", lâche le chercheur.

Philippe Vitel le confirme : "Rien ne peut perdurer dans le temps si on n'a pas une réflexion et un engagement à long terme." Pour cela, il préconise notamment une politique européenne "cohérente, avec des positions plus fermes." Gwendal Rouillard renchérit : "Une fois que les pays de la coalition auront été militairement efficaces, la solution sera bien évidemment politique."

Mais pour l'instant, malgré les frappes, la situation militaire est bloquée, explique Alain Rodier : "Après la guerre de mouvement, on est passé à une guerre de positions, où les Kurdes, les chiites et l'EI ne veulent ou ne peuvent plus avancer." Pour être efficace, Philippe Vitel a son idée : "En plus des forces aériennes, il nous faut nécessairement des forces spéciales au sol, ainsi que des instructeurs pour former l'armée irakienne."

Le risque d'accréditer la thèse du combat Occident-Orient

"Les populations d'Orient en ont marre de subir nos invasions. On a joué aux colons pendant des siècles, et aujourd'hui, on en récolte les fruits", lâche Jean-Jacques Candelier. Avec son leadership américain, l'intervention en Irak prend le risque d'être désignée comme une nouvelle scène du conflit entre Orient et Occident, sur fond de choc des civilisations. "Il s'agit surtout d'un combat universel pour le respect des droits humains, mais c’est la volonté des jihadistes de faire croire à un combat Orient-Occident", soulève Gwendal Rouillard.

Pour lutter contre cette représentation, "la participation de pays du Moyen-Orient dans la coalition est essentielle, remarque Philippe Vitel. Il faut vraiment que certains pays, après avoir joué aux apprentis sorciers en finançant des groupes terroristes, prennent conscience du danger". Cinq nations du Moyen-Orient (Jordanie, Bahreïn, Qatar, Arabie saoudite, Emirats arabes unis) ont participé aux premières frappes américaines en Syrie, mardi. "C'est très positif. Cela démontre la capacité de ces pays à dépasser leurs vieilles rancœurs pour aider à la stabilisation de la région", se félicite Gwendal Rouillard.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.