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"Si on n'était pas partis, on aurait été tués" : de Mossoul à la France, le récit d'exil de chrétiens irakiens

Youssef, Sahira, Sara, Fadi et Mariam sont arrivés le 20 septembre en France. Ces chrétiens d'Irak ont fui Mossoul, prise par les jihadistes. Ils recommencent leur vie dans la douleur. Voici leur témoignage. 

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Youssef et sa femme assistent à une messe en araméen, le 5 octobre 2014, à Notre-Dame de Chaldée, à Paris.  (JULIE RASPLUS / FRANCETV INFO)

Dimanche 5 octobre, à l'église Notre-Dame de Chaldée, à Paris (18e). A l'étage, derrière les vitres teintées du bâtiment gris, les effluves d'encens envahissent la pièce aux tapis rouges. Aux côtés d'une petite centaine de fidèles, Youssef*, sa femme Sahira et leurs trois enfants, Sara, Fadi et Mariam, prient lors de cette messe en araméen célébrée par Monseigneur Petrus Yousif. Comme lorsqu'ils étaient à Mossoul (Irak).

Cette famille irakienne a atterri le 20 septembre à Paris, après avoir fui la deuxième plus grande ville du pays, tombée aux mains du groupe Etat islamique (EI) le 10 juin. Le départ s'est improvisé dans la nuit précédant l'arrivée des jihadistes. "Pendant la nuit, l'armée s'est retirée sans combats et Daech [l'acronyme arabe de l'EI] a pris le contrôle de la ville. Tout d'un coup, tout s'est effondré. On a quitté la maison à minuit, avec le strict nécessaire, à bord de notre petite voiture", raconte Youssef, 58 ans, visage grave, moustache et cheveux blancs.

Direction Dahuk, dans le Kurdistan irakien. Sur la route, Youssef et les siens croisent des dizaines de familles chrétiennes prenant le même chemin. Ils reviennent deux fois à Mossoul, afin de récupérer des vêtements, de la vaisselle, les livres scolaires des enfants, âgés de 20, 17 et 14 ans. La dernière expédition remonte au 17 juillet. Les jihadistes n'ont guère laissé de choix : se convertir, partir ou mourir sont les seules options qui restent aux chrétiens de Mossoul.

"Notre niveau de vie, c'était autre chose"

Voilà quinze jours que Youssef vit avec sa famille dans un 70 m2 meublé payé par l'association France terre d'asile, à Clamart (Hauts-de-Seine). Leur demande de visa pour la France, où ils ont de la famille, a été acceptée. En tant que réfugiés, ils peuvent rester au moins six mois dans l'appartement et reçoivent une allocation mensuelle de 600 euros. C'est six fois moins que ce que la famille touchait à Mossoul. Le couple, lui professeur de topographie à l'université, elle ingénieure, faisait partie de la classe aisée de la ville, et jouissait d'un pavillon bien plus grand. Alors le déclassement est difficile à vivre.

Autour d'un café et de gâteaux, dans le salon aux murs nus de son nouvel appartement, Sahira témoigne, à fleur de peau. "C'est difficile. On doit oublier le passé. Là-bas, les enfants étaient les premiers de leur classe. Ils avaient un iPad, des téléphones dernier cri. Notre niveau de vie, c'était autre chose", lâche, au bord des larmes, la quinquagénaire apprêtée, cheveux lissés et balayés de fines mèches blondes.

"Ça a été une décision très difficile, renchérit Youssef. Nous avons laissé notre maison, nos boulots, nos connaissances, notre église." Pour devenir réfugiés. "Parfois, quand on regarde notre situation actuelle, on se demande si on a bien fait de venir ici. Mais on n'avait pas d'autre alternative, explique le père de famille, sourire aux lèvres. Si on n'était pas partis, on aurait peut-être été tués ou, en tout cas, on aurait dû appliquer leurs exigences. Peut-être auraient-ils pris nos filles, nos femmes, comme ils l'ont fait avec les Yézidis."

Les enfants comme principale motivation

Ce qui les a décidés, ce sont les enfants. "La priorité, c'était leur avenir." Youssef et Sahira ont déjà entamé les démarches pour que les trois adolescents soient inscrits à l'école. L'aînée, Sara, était en deuxième année d'architecture à la fac. Elle montre, fière et nostalgique, les travaux qu'elle a réalisés, conservés sur l'ordinateur portable emmené par ses parents. Fadi, lui, a pu valider son bac à l'école irakienne de Paris. Tous deux doivent désormais apprendre le français, avant de pouvoir poursuivre leur cursus.

Mariam, la benjamine, devrait de son côté bientôt rejoindre une classe française. Les notes qu'elle obtiendra à son test de maths et d'arabe, le 16 octobre, décideront du niveau qu'elle intégrera. La jeune fille rousse appréhende les résultats, mais se veut optimiste : "Dès que je rencontrerai des copines françaises, ce sera comme avant. On va essayer de vivre une nouvelle vie. Et si la situation s'améliore, on retournera en Irak." Son père en doute. Impossible d'imaginer un retour prochain à Mossoul. "C'était déjà difficile d'y vivre en tant que chrétien, maintenant, c'est impossible."

"Dieu est avec nous"

Du coup, toute la famille s'inquiète du sort réservé à sa maison, abandonnée. Parents et enfants viennent de lire que les domiciles inoccupés des chrétiens, déjà marqués du "N" de "Nazaréen", allaient être vendus aux enchères d'ici à une vingtaine de jours. "On n'a aucune nouvelle ! On voudrait quand même la voir, vérifier les fenêtres, que tout va bien avec l'eau ou l'électricité", s'exclame Sahira. Personne sur place ne peut aller surveiller la maison et la famille redoute les pillages.

Pour mieux la préserver, ni parents ni enfants n'ont annoncé leur départ pour la France. Lorsqu'ils téléphonent à des amis en Irak, tous cachent leur numéro et font croire qu'ils sont en Turquie. "Ça semble moins définitif", explique Youssef, inquiet pour "les affaires précieuses restées à la maison". "On y a laissé toutes les photos de famille, des tableaux, des livres. On n'a pas pu tout prendre", regrette l'homme.

Sahira montre les livres religieux apportés de Mossoul, le 3 octobre 2014 à Clamart (Hauts-de-Seine).  (JULIE RASPLUS / FRANCETV INFO)

L'essentiel est avec eux : vêtements, passeports, la Bible et des icônes qu'ils acceptent volontiers de montrer. Dans cette galère, la famille tout entière se raccroche à la religion et y voit sa résilience. La messe est un rendez-vous obligatoire. L'occasion aussi d'y nouer des liens avec d'autres chrétiens. "Plus on traverse de périodes difficiles, plus on sent que Dieu est avec nous. Ça a renforcé notre foi", confie Youssef. "Et quand on goûte à la liberté, comme ici, on sent combien nous étions méprisés là-bas", conclut Sahira.

*A leur demande, les prénoms des protagonistes ont été modifiés.

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