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A Bessancourt, l'oncle Al-Assad se fait à la fois discret et encombrant

Le domaine situé dans le Val-d'Oise tombe à l'abandon, mais une cinquantaine de personnes vivent dans des logements insalubres, selon le maire.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La propriété de Rifaat Al-Assad, à Bessancourt, dans le Val-d'Oise, le 13 septembre 2013. (FRANCETV INFO)

Avez-vous déjà entendu parler de Rifaat Al-Assad, l'oncle du président syrien Bachar Al-Assad ? La boulangère hoche la tête, l'air perplexe. Non, ça ne lui dit rien du tout. Au café-tabac "Le Marigny", le serveur croit avoir entendu des clients en parler. Mais "il faut revenir quand les anciens viendront, vers 14 heures." Sur la place de la mairie, un habitant sort de chez lui et s'arrête : "Rifaat Al-Assad ? C'est lui qui a fait construire la nouvelle maison ?" Non, il possède un haras un peu plus haut. "Ah bon ? Désolé de ne pas pouvoir vous aider."

A Bessancourt, commune de 7 000 habitants du Val-d'Oise, les tumultes de la guerre en Syrie sont bien loin. Pourtant, la petite ville aux jolies maisons de pierre blanche abrite le domaine de Rifaat Al-Assad. L'homme a été l'un des rouages clés du régime syrien avant d'être forcé à l'exil en 1984. Il est accusé d'avoir été l'orchestrateur du massacre de Hama, en 1982, quand les Frères musulmans se sont soulevés contre le régime dirigé par son frère, Hafez Al-Assad, père de l'actuel chef d'Etat syrien, Bachar Al-Assad. Il s'en défend et se présente maintenant comme un opposant et une alternative au régime. Vendredi 13 septembre, une ONG a déposé plainte contre lui et l'accuse de corruption.

Ambiance lugubre

A la lisière de la forêt de Montmorency, au bout d'une route cabossée, cachée derrière des futaies, des grilles en fer forgé et un mur de ciment, se dresse une imposante bâtisse rococo et ses dépendances. Vendredi 13 septembre, pris dans la bruine épaisse, les lieux sont lugubres. Un petit auvent surplombant une fenêtre s'est décroché et pendouille. Le toit est mangé par les mousses. La boîte à lettres est béante et déglinguée. Devant, le champ est en jachères. Fut un temps, il y avait un haras. Mais plus de traces de chevaux, et personne à l'horizon.

En contournant la propriété, des oies se mettent à cacarder, à côté de bâtiments délabrés. Un homme d'une cinquantaine d'années fume sur un perron encombré. Il s'avance en fixant avec insistance le carnet de notes : "Que voulez-vous ? Je ne parle pas français." C'est le château de Rifaat Al-Assad ? Une moue en guise de réponse. Combien de personnes vivent ici ? "Je ne sais pas, je parle mal français", répond-il, l'air inquiet. Quelqu'un pour nous répondre ? "Non, non, partez." Nous ne parviendrons pas à joindre l'entourage de Rifaat Al-Assad.

La route menant à la propriété de Rifaat Al-Assad, à Bessancourt, dans le Val-d'Oise, le 13 septembre 2013. (FRANCETV INFO)

Des amis puissants

Mais dans sa mairie, Jean-Christophe Poulet (divers écologie) se charge de répondre à sa place. Il se souvient de sa découverte du domaine Al-Assad (qui a appartenu auparavant au roi Fahd d'Arabie Saoudite, explique-t-il). C'était en 2001, il venait d'être élu et avait proposé trois poubelles pour le tri sélectif. "A l'époque, il y avait des gardes ostensiblement armés, ils étaient assez agressifs."

Le maire demande que les gardes remballent leurs armes pour ne pas effrayer les randonneurs sur le domaine public. Un promeneur aurait été grièvement blessé à la main par un chien. Contacté par francetv info, un chasseur rapporte aussi que des habitants du domaine ont été pris "en flagrant délit" à braconner le chevreuil avec de la chevrotine - une munition interdite.

Mais voilà, les habitants ont des amis puissants. Jean-Christophe Poulet reçoit la visite d'une officière des services de renseignement. Elle lui explique à plusieurs reprises et jusqu'en 2004 : "Vous ne vous en occupez pas, c'est du ressort de l'Etat, pas du maire. Ce n'est pas votre problème."

Un propriétaire invisible

Finalement, le maire a parfois vu des limousines passer en ville, mais il n'a jamais rencontré Rifaat Al-Assad en personne. Pourtant, il y a bien des habitants : "Une cinquantaine de personnes logent dans les écuries, (...) tous Syriens ou d'origine syrienne." Ils arrivent parfois avec des cartes de séjour espagnoles, explique le maire. Ils sont officiellement hébergés à titre gratuit et travailleraient pour Rifaat Al-Assad. L'édile se félicite que leurs enfants soient scolarisés et s'intègrent bien.

Elie Domergue, le directeur du Centre communal d'action sociale (CCAS), les connaît aussi. "Nous avons été interpellés par un docteur. Il a attiré notre attention sur les conditions d'hébergement et plus particulièrement l'insalubrité et ses effets sur la santé des occupants. Il nous a décrit un endroit mal chauffé, où l'humidité suintait, entraînant des troubles pulmonaires."

Relogement

Après le signalement du médecin, deux familles ont été relogées et quatre autres ont déposé une demande, selon Elie Domergue. Accepteraient-elles de témoigner ? "Il y a une sorte d'omerta, elles ne voudront pas vous parler", affirme-t-il. Depuis, d'autres familles auraient pris leur place dans les logements humides. "Nous sommes prêts à jouer la carte de la solidarité, mais ça ne peut pas être à sens unique", déplore Elie Domergue.

Le maire dit avoir récemment reçu un architecte présentant un projet pour rénover "la prestigieuse propriété", grince-t-il. Il était question de la bâtisse, pas des écuries, selon l'édile. "Rénover le château, ok, mais ce qui me préoccupe, ce sont les gens autour. Ce que je veux, c'est qu'il rénove les écuries où les gens puissent habiter !", s'emporte-t-il. "Il y a un contraste entre les Al-Assad qui sont très riches et la façon dont vivent ces pauvres bougres", se désole le maire, qui cherche à faire établir l'état d'insalubrité.

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