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Anciens marines, Kurdes suédois
 Qui sont les Occidentaux qui combattent l'EI en Syrie ?

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Capture d'écran de la page Facebook des "Lions du Rojava", des combattants qui luttent contre l'organisation Etat islamique au Kurdistan syrien. (THE LIONS OF ROJAVA / FACEBOOK)

Des combattants venus d'Amérique ou d'Europe rejoignent les forces kurdes qui combattent à Kobani les jihadistes de l'Etat islamique. Une poignée d'hommes et de femmes trÚs médiatiques.

Ils sont d'anciens marines, d'ex-soldats de l'armĂ©e britannique, dirigent des entreprises de sĂ©curitĂ© ou Ă©taient infirmiers en SuĂšde, en Allemagne ou en France
 Depuis le mois d'octobre 2014, des Occidentaux ont choisi de rejoindre le Kurdistan syrien pour combattre l'Etat islamique. Une dizaine, des centaines peut-ĂȘtre, en comptant les membres de la diaspora kurde. Un nombre sans commune mesure avec celui des jeunes qui, venus des mĂȘmes pays, sont tentĂ©s par le jihad. 

Pourtant, leurs histoires interpellent. Celle de Dean Parker, le surfeur américain qui plaque tout pour rejoindre les Unités de protection du peuple (YPG), les forces kurdes qui défendent depuis des mois la ville syrienne de Kobani, objet d'un portrait dans Time (en anglais) mardi 20 janvier. Celles des Anglais Jamie Read, James Hughes ou encore de la jeune Silhan Ozcelik, cueillis à leur retour à Londres par les services de renseignement. Quel est le rÎle exact de ces renforts inattendus ? 

Les "Lions du Rojava", une vitrine internationale

Jordan Matson se prĂ©sente comme le premier AmĂ©ricain parti combattre l'Etat islamique au Kurdistan syrien, appelĂ© Rojava en kurde. Depuis qu'il a Ă©tĂ© blessĂ© au combat, cet ancien de l'armĂ©e amĂ©ricaine sert sur le front des rĂ©seaux sociaux. Il "recrute", explique-t-il aux mĂ©dias qui le sollicitent. "Je suis contactĂ© par des vĂ©tĂ©rans venus d'Europe de l'Est, d'Europe occidentale, du Canada, des Etats-Unis, d'Australie, de partout", lançait-il en octobre sur CNN (en anglais). A l'Ă©poque, la page des "Lions du Rojava", comme se surnomment eux-mĂȘmes ces combattants, vient d'apparaĂźtre sur Facebook. La premiĂšre photo mise en ligne montre Matson lui-mĂȘme, kalachnikov à la main, collier de munitions autour du cou. Cet homme armĂ©, photogĂ©nique de surcroĂźt, incarne dĂšs lors le combattant occidental, un modĂšle, un "hĂ©ros" qui attire les internautes, Ă©mus par le massacre des YĂ©zidis ou mus par leur volontĂ© d'en dĂ©coudre avec les terroristes.

 

Capture d'écran d'une photo de l'Américain Jordan Matson, sur la page des Lions de Rojava.  (LIONS OF ROJAVA / FACEBOOK )

La page doit permettre aux aspirants combattants venus d'Occident d'entrer en contact avec "leurs frĂšres et sƓurs" sur le terrain. A ceux (nombreux) qui demandent en anglais "comment vous rejoindre en Syrie ?", l'administrateur anonyme rĂ©pond : "Envoyez vos questions en message privĂ©."

Mois aprÚs mois, photo aprÚs photo, le site dresse l'inventaire : un Autrichien, des Américains (dont un certain "Kennedy America"), des Britanniques, des Allemands, un trio de "bikers" hollandais, une Canadienne, un ancien candidat de téléréalité américain (cliquez ici pour le voir s'égosiller "Je suis un vrai redneck moi ! Un vrai redneck !" dans l'introduction de "Seul et tout nu", une sorte de "Koh Lanta" naturiste), etc. Bref, un étonnant casting qui ne mobilise toutefois qu'une quinzaine de personnes, relativise le chef du comité de défense des forces kurdes de Syrie, Ahmad Sheikh Hassan, cité par Time. 

"C'est une présence symbolique", relÚve Kendal Nezan, directeur de l'Institut kurde de Paris, contacté par francetv info. Pour l'YPG (bras armé du parti PYD, né en Syrie et proche du parti kurde PKK), "il s'agit de prouver qu'eux aussi disposent, comme l'Etat islamique, d'une aide venue du monde entier dans cette guerre qui est un enjeu global".

Un puissant outil de communication

Ces quelques combattants Ă©trangers reprĂ©sentent aussi un intĂ©rĂȘt stratĂ©gique pour les combattants kurdes. "Pour le PKK, c'est une façon d'ĂȘtre intĂ©grĂ© dans le jeu mondial", explique Karim Pakzad, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratĂ©giques (Iris), spĂ©cialiste, entre autres, des questions kurdes. "Il faut rappeler qu'aux Etats-Unis et en Europe, l'organisation figure sur la liste des organisations terroristes. Mettre en avant des Occidentaux, au moment oĂč Washington et Paris acceptent notamment de leur livrer des armes, cela relĂšve de l'opĂ©ration de communication, analyse-t-il pour francetv info. L'YPG communique trĂšs bien, comme on l'a vu avec la mise en avant des femmes combattantes."

Selon le spécialiste, la lutte des Kurdes de Syrie contre l'Etat islamique a donné lieu à une situation historique : "Il y a deux ans, personne ne parlait d'eux, ils ont d'ailleurs été longtemps divisés en une multitude de mouvements. Et aujourd'hui, ils sont vus comme les seuls à affronter l'EI au sol, sur le terrain." En d'autres termes, puisqu'ils n'affrontent plus de forces étatiques, mais une mouvance terroriste, les Kurdes ont l'opportunité de rallier à leur cause des combattants de toutes les nationalités, et de toucher l'opinion publique.

Une aide toute relative sur le terrain

Ce ralliement ne passe pas nĂ©cessairement par les moyens humains. Le PYG n'a effectivement jamais demandĂ© aux Occidentaux de rejoindre ses rangs, explique le chercheur. "Pas mĂȘme ceux de la diaspora." Kendal Nezan confirme : "Lorsque l'on a grandi dans les faubourgs de Stockholm ou de Cologne, on n'est pas d'une grande aide sur le front, alors qu'il y a dĂ©jĂ  des combattants sur place qui connaissent les lieux et dĂ©fendent leurs terres. Cette aide joue probablement plutĂŽt sur le moral des combattants", explique-t-il. Ce qu'ils veulent, "ce sont des armes, des mĂ©dicaments", ajoute-t-il.

Le témoignage de Dean Parker, le surfeur américain mentionné plus haut, le confirme : "Je n'ai jamais combattu. Et à vous tous qui voulez venir, restez chez vous, en sécurité. (...) Un, dix ou vingt combattants ne feront pas la différence maintenant." D'ailleurs, impossible de savoir combien sont partis.

Le cas particulier de la diaspora 

CitĂ©e par le magazine amĂ©ricain Foreign Policy, Susanne GĂŒven, directrice de l'Association nationale des Kurdes de SuĂšde, estime Ă  quelques centaines le nombre de Kurdes qui ont quittĂ© le pays pour la Syrie. Une cinquantaine de Kurdes allemands seraient Ă©galement partis, relate Der Spiegel. Quant aux Français, "il y en a certainement, mais ils sont peu nombreux", estime le directeur de l'Institut kurde de Paris. DĂ©but octobre, Le Parisien (article abonnĂ©s) rĂ©vĂ©lait la disparition inquiĂ©tante de deux adolescents kurdes de banlieue parisienne, soupçonnĂ©s d'ĂȘtre partis pour le Rojava, mais aucune donnĂ©e ne permet de confirmer le nombre de dĂ©parts.

Karim Pakzad sait qu'il y en a quelques-uns, pour en avoir rencontrĂ© Ă  leur retour. "LĂ -bas, ils font un peu de tout, en fonction de leurs compĂ©tences, poursuit-il. Ils s'occupent des rĂ©fugiĂ©s, des blessĂ©s, assurent le ravitaillement ou combattent, pour certains. Par ailleurs, mĂȘme s'ils sont infirmiers, ils sont armĂ©s. Tout le monde l'est." Contrairement aux Occidentaux non-kurdes, ils ne se contentent pas de combattre l'EI, mais dĂ©fendent la cause politique kurde ("dans la tĂȘte de chaque Kurde, il y a le rĂȘve d'un Etat"). "Ce n'est pas nouveau. Depuis les annĂ©es 1980, les militants du PKK en Europe se rendent au Kurdistan turc pour se battre contre la Turquie, poursuit Karim Pakzad. DĂ©sormais, depuis l'attaque de Kobani, ils vont en Syrie. VoilĂ  ce qui a changĂ©." Et d'ajouter que leur sĂ©jour est relativement court : "Environ six mois, puis ils reviennent. Comme le font les gens de l'EI. Enfin, sauf qu'eux ne rentrent pas avec les intentions terroristes des jihadistes, bien sĂ»r", prend-t-il soin de prĂ©ciser. 

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