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Vidéo "La menace était permanente, tant de gens sont morts" : un journaliste syrien exilé en France témoigne

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Article rédigé par Claude Guibal, franceinfo
Radio France

Plus de 230 journalistes sont mort en Syrie depuis le début du conflit selon Reporters sans Frontières et des dizaines sont toujours en danger. Une vaste opération d’exfiltration a permis d’en évacuer une trentaine vers des pays européens dont Hossam al Barom, journaliste à Deraa.  

Deraa, berceau de la révolution syrienne. En avril 2011, de jeunes collégiens de cette ville du sud de la Syrie sont arrêtés au cours d’une manifestation où la foule, inspirée par les printemps arabes, réclame le départ de Bashar el Assad. Un mois plus tard, le corps supplicié de l’un d’eux, Hamza el Khatib, est rendu à sa famille. Il porte de nombreuses marques de torture. Les images de sa dépouille martyrisée vont provoquer l’étincelle qui jette dans la rue des milliers de manifestants. À travers tout le pays, son visage devient un symbole.

À cette époque, Hossam al Barom est étudiant en dernière année de sciences politiques. Il participe aux premières manifestations à Deraa, et assiste à la répression immédiate du régime. "Les gens manifestaient, se faisaient arrêter, sans que quiconque puisse voir ce qui se passait. Alors, comme d’autres, j’ai décidé de filmer et de témoigner à travers les réseaux sociaux". 

"Les dangers venaient de partout"

Après avoir réfléchi à quitter le pays à plusieurs reprises, Hossam décide de rester et de continuer à témoigner de la situation d’abord de façon bénévole, puis professionnelle en devenant correspondant de la chaîne de radio Rozana, qui depuis Paris, se fait la voix de la Syrie en révolte. Un métier qu’il apprend sur le tas, dans la douleur et la clandestinité.

Il fallait travailler de façon honnête, équilibrée, tout en gardant à l’esprit les dangers qui venaient de partout.

Hossam al Barom

à franceinfo

"La menace était permanente. Du régime, qui pouvait user de représailles envers nous et nos proches, des groupes djihadistes aussi, mais aussi de certaines milices de l’opposition qui pouvaient ne pas vouloir qu’on rapporte tel ou tel événement", poursuit-il. 

Hossam travaille avec son téléphone portable. Enregistre, filme, documente comme il peut. Il témoigne des exactions, raconte le quotidien d’une ville assiégée. Il faut travailler discrètement, vite, ne pas mettre en danger ses proches, ne pas se faire repérer par les agents locaux fidèles au régime.

La stratégie de Damas : cantonner la rébellion à Idlib

En 2018, alors qu’après une bataille féroce, les forces loyalistes de l’armée syrienne reprennent la ville, aidées par l’aviation russe, Hossam comprend qu’il est devenu une cible. Les derniers journalistes de Deraa le savent : leur nom est placé en priorité sur la liste des gens à arrêter. Ils ont documenté la révolution, et à ce titre sont considérés comme des ennemis du régime.

Au terme de l’accord de "désescalade" conclu entre les rebelles, les russes et le régime, la population d’Idlib, exsangue, doit choisir. Ceux qui restent acceptent de repasser sous le contrôle de Damas. Les derniers rebelles, eux, comme ceux d’Alep, sont évacués vers Idlib, où les autorités syriennes et leurs alliés russes entendent concentrer la rébellion. Ceux qui tentent de fuir la ville sont arrêtés, ou rackettés. Pas d’autre choix pour Hossam et ses confrères que de négocier avec l’armée russe, qui coordonne les convois vers Idlib, et de partir avec les rebelles, vers cette province du Nord de la Syrie. Ils le savent : la stratégie de Damas est d’y cantonner ainsi la rébellion afin d’en faire une nasse qu’il sera facile de bombarder pour mettre fin à l’opposition syrienne.

Une trentaine de journalistes exfiltrés via la Turquie

Reporters sans Frontières, alertée par une ONG syrienne de protection des médias enquête et recense alors plus de 70 journalistes, comme Hossam, en danger à travers le pays. Face au risque d’arrestation, de disparition, l’organisation décide alors de monter une vaste opération d’exfiltration. Une coordination à l'échelle européenne est menée en lien le Syrian Center for media and freedom of expression et le Commitee to Protect journalist (CPJ). Au terme d’un marathon de négociations diplomatiques, la Turquie accepte d’ouvrir sa frontière à certains de ces journalistes, mais elle veut la garantie que des états européens s’engagent à les accueillir.

Sept en France, onze en Espagne, douze en Allemagne, l’opération débute et s’étale sur de longs mois. Hossam, lui, tente de franchir la frontière. Blessé lors de son exfiltration, tabassé par les gardes-frontières turcs, il finit par être accueilli à Bordeaux où sa procédure d’asile est en cours. À distance, il suit la lente désagrégation de son pays. Le pilonnage d’Idlib pendant des semaines par le régime est à peine relayé par les médias internationaux, par manque de sources d’information, et manque d’intérêt.

"Le peuple syrien a été le jouet des ambitions de forces internationales"

Ce conflit qui s’enlise est devenu trop complexe, cette révolte est souillée par les djihadistes de Daech, noyée derrière l’inquiétude provoquée par la masse des réfugiés. Les opinions publiques occidentales s’en détournent, il le sent. L’offensive turque sur le Nord de la Syrie, déclenchée mi-octobre, pour chasser les forces kurdes le long de la frontière, ne lui laisse que colère et amertume, et terrible sentiment d’impuissance. "La plupart des gens que j’ai connu dans les premières manifestations à Deraa sont morts. Nous étions une bande de trois copains devenus journalistes, nous avons pleuré en quittant Deraa, nos familles, notre ville".

Je réalise à quel point le peuple syrien a été le jouet des ambitions de forces internationales, qui ne poursuivent que leur intérêt propre, on le voit aujourd’hui de façon très nette avec la Turquie.

Hossam al Barom

à franceinfo

"Je ressens du dégoût, une tristesse infinie pour tous ces gens, ces civils qui se sont retrouvés prisonniers de ces rivalités, de ces ingérences, et qui ont tant perdu. Tant sont morts… Ça me remplit de chagrin", confie Hossam.

230 à 270 journalistes ont été tués

Selon Sabrina Bennoui, responsable du desk Moyen-Orient à Reporter Sans Frontières, des dizaines de journalistes sont toujours en danger sur le territoire syrien. Depuis le début du conflit rappelle-t-elle, "de 230 à 270 journalistes ont été tués, soit lors de bombardements, soit après avoir été arrêtés. Et ils sont encore très nombreux à avoir disparu et dont le sort est toujours inconnu. Sans eux, on n’aurait rien su de ce qui s’est passé toutes ces années en Syrie. Ils ont montré des choses irréfutables, or beaucoup continuent de nier cette réalité. Les gens refusent de voir la réalité en face."

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