Législatives au Royaume-Uni : comment Brighton, la rebelle du Sud, espère peser sur les élections
La conurbation de Brighton dispose de trois sièges au Parlement britannique : l'un est occupé par un travailliste (Hove), un autre par un écologiste (Pavilion) et le dernier par un conservateur (Kemptown). Avec les législatives de jeudi, ce coin de soleil politiquement atypique pourrait envoyer promener le gouvernement de Theresa May.
Brighton, station balnéaire située dans l'est du Sussex (sud de l'Angleterre), est connue pour sa jetée de carte postale et ses soirées branchées. Mais en France, peu de gens savent que les locaux y font la fête de la même manière qu'ils votent : comme personne d'autre. Lors des dernières législatives britanniques, en 2015, sa spécificité était apparue sur toutes les cartes projetées en boucle dans les JT des chaînes d'information : au milieu d'un raz-de-marée bleu, la couleur des conservateurs arrivés en tête dans toute la région, deux des trois circonscriptions de Brighton et ses alentours s'étaient détachées du monde, telles un îlot rouge et vert. Une poche de résistance travailliste et une bulle écolo (la seule du pays), encerclées par un océan de Tories.
Mais alors que se tiennent, jeudi 8 juin, les élections législatives anticipées post Brexit annoncées en avril par la Première ministre conservatrice, Theresa May, la ville tremble à nouveau. Car sous ses airs de rebelles les pieds dans l'eau, les trois circonscriptions de Brighton et ses environs comptent en réalité une armée silencieuse de fans de Theresa May, des écolos fins tacticiens et des travaillistes missionnaires.
Franceinfo a rencontré ces électeurs qui, du fond de ces circonscriptions hors du commun, espèrent bien peser dans ce scrutin national et, pourquoi pas, contribuer à sauver ou à détruire la majorité en place.
La bataille décisive de Kemptown
"Dimanche dernier, les gens venaient de Londres exprès pour nous aider à faire du porte-à-porte et à distribuer des tracts. Le local ne désemplit pas. Du matin au soir, les militants font la queue pour récupérer des affiches à distribuer," s'amuse Nathan, trop pressé pour l'euphorie. Avec son sourire chaleureux et son look veste à capuche-jeans-baskets, il cache bien son statut de jeune homme le plus overbooké de la ville de Brighton. En ce dernier jour de campagne, ce jeune travailliste coordonne l'action des bénévoles de Kemptown, une circonscription qui s'étend de l'est de la station balnéaire aux communes voisines, jusqu'à la très pavillonnaire Peacehaven. Soit, à la fois le grand quartier LGBT historique de la ville et une poignée de villages dortoirs pro-Brexit. Deux salles, deux ambiances.
Avec une cinquantaine d'autres susceptibles de passer sous la coupe du Labour jeudi, Kemptown fait partie des circonscriptions surveillées par tout le Royaume-Uni. D'ailleurs, un proche conseiller de Jeremy Corbyn, le leader de l'opposition travailliste, est venu de Londres spécialement pour prendre la température de Kemptown à la veille du scrutin. Lors des dernières élections, le Parti conservateur, représenté ici par Simon Kirby, ministre de la Ville du gouvernement en place, l'a emporté d'à peine 690 voix, l'une des marges les plus minces au niveau national.
Alors quand son portable ne sonne pas, Nathan fournit en piles de tracts quiconque pousse la porte du local où s'est établi l'antenne du Parti travailliste, au rez-de-chaussée d'une tour d'immeuble. "Surtout, assurez-vous de déposer ces tracts après 21 heures ou avant 7 heures du matin. Il faut que ce soit la première chose que les habitants trouvent dans la boîte aux lettres en se réveillant le jour du vote !", rappelle-t-il. Groupes de jeunes, dames âgées, couples ou encore collègues en pause déjeuner... Tous s'emparent des prospectus rouges barrés d'un "Labour" avant de foncer dans les rues adjacentes, où les fenêtres sont déjà couvertes d'affiches "vote Lloyd Russel-Moyle", le jeune trentenaire investi par le Parti travailliste dans cette circonscription décisive.
"Cette fois, nous pouvons gagner", assure "Poppy", jeune femme blonde survoltée, au point d'interpeller un chaton, en plaisantant : "Tu votes Labour demain mon mignon ?" "Les conservateurs ne font même pas campagne sur le terrain. Il n'y a que nous", commente-t-elle, entre deux accolades avec les passants qui acceptent tous, ou presque, ses tracts.
La résistance des pro-Brexit
A Peacehaven, les électeurs n'ont pas croisé le sourire de "Poppy". Ils ne trouveront pas non plus les tracts rouges préparés par Nathan dans leur boîte aux lettres. L'extrémité de la circonscription est un tout autre monde, d'un bout à l'autre d'une simple ligne de bus. "Personne ne fait campagne ici", confirme un retraité rencontré dans un vaste parc coincé entre des petits pavillons et des entrepôts. "C'est normal, nous savons tous ce que nous allons voter. Ça ne sert à rien d'essayer de nous convaincre !" Si les convictions ne s'affichent pas aux fenêtres, la réponse est limpide : "Conservateur."
Ici, pour beaucoup, les habitants votent "pour qu'elle puisse mener à bien le Brexit", explique Tina, 56 ans. "Elle", c'est Theresa May, la Première ministre britannique que cette employée de l'université de Brighton cite fréquemment sans jamais la nommer. Pour Tina, le référendum de 2016 importe d'ailleurs davantage dans le choix que les électeurs feront jeudi, que les récents attentats de Manchester et de Londres. "J'ai voté pour le Ukip l'an dernier, parce que j'en avais assez que Bruxelles nous dicte sa politique. Donc pour moi, c'est logique de voter pour les Tories qui promettent de négocier fermement, en pensant à nous, pour une fois, argumente-t-elle. Corbyn, on ne peut pas lui faire confiance. Et je vous assure qu'autour de moi, au travail ou ici, on est tous sur la même longueur d'onde. Les Tories vont garder la circonscription", prédit cette dame avenante, à la lutte avec quatre petits chiens hyperactifs.
Autour d'elle, en ce mercredi après-midi, une poignée d'ados s'amuse dans un skatepark, quelques jeunes mamans baladent des poussettes, tandis que des personnes âgés - beaucoup de personnes âgées - promènent leur chien. "Après avoir vécu à Brighton, on est beaucoup à s'être installé dans le coin, pour être au calme", confirme d'ailleurs un retraité. Lui aussi fervent défenseur de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne - une solution qui n'a pourtant convaincu que 30% de la population dans le coin, contre 70% de remainers -, il ne croit pas non plus à la vague rouge dont rêvent l'autre moitié de sa circonscription. "Nous ne faisons pas de bruit, nous sommes ici, au calme, mais nous sommes bien présents", souligne-t-il.
Populaire et familiale pour l'essentiel, parfois cossue et âgée, cette zone si ordinaire pour le Royaume-Uni se révèle atypique, selon les critères électoraux des circonscriptions de Brighton.
Hove et Pavilion, "une bulle" unie contre les Tories
A quelques heures des élections, "je suis à la fois optimiste et terrifié", résume Jason, 55 ans. S'il n'y a guère de suspense dans sa circonscription de Pavilion (dans le centre de Brighton) tenue depuis 2010 par l'écologiste et toute première députée verte, Caroline Lucas, le reste du pays l'inquiète. "A chaque élection, c'est pareil : je me sens triste et déconnecté. Après les résultats, en 2015, je n'en revenais pas. Naïvement peut-être, je me suis demandé comment autant de gens pouvaient penser si différemment de nous ?", explique cet auteur satirique et musicien, à l'origine de la très loufoque "République populaire de Brighton et Hove".
Partie d'une blague, la page Facebook qu'il a créée ce jour-là demeure active "comme une communauté ou un groupe de soutien pour les gens du coin qui se retrouvent frustrés en voyant ce qu'il se passe ailleurs dans le pays", explique-t-il depuis sa petite maison aux briques vert clair, installée dans un quartier de ruelles étroites qui surplombe le centre-ville.
"Après le Brexit, j'étais encore plus bouleversé ! Quarante ans de coopération à la poubelle, à cause de problèmes qui ne sont même pas liés à l'Europe. Ça m'a scié, lance-t-il en riant jaune. En regardant les résultats du référendum, nous avons bien vu qu'il n'y avait plus dans ce pays que des petits îlots urbains et progressistes, comme ici à Brighton. Nous sommes dans des bulles." Sa bulle, cet originaire de Twickenham (sud-ouest de Londres) l'a choisie en 1985 , soigneusement, "justement parce que je savais qu'ici, à Brighton, il y avait des gens qui me ressemblaient," sourit-il. Et cette année, il attend de voir si cela se vérifie à nouveau.
Pour tenter de s'en extraire, Lisa se fait violence. Depuis le Brexit, "je lis davantage de médias grand public comme le Daily Telegraph. Ça ne fait pas du bien au moral, mais c'est important pour moi de savoir ce qui se dit dans les publications qui ne s'adressent pas aux gens comme moi", confie cette commerçante qui vient d'ouvrir une boutique de vêtements non-genrés, à Hove, la troisième circonscription de Brighton. Jeudi, cette membre du Green Party, le parti écologiste britannique, souhaite que sa circonscription reste entre les mains du Labour.
Or, selon le mode de scrutin au Royaume-Uni, c'est le candidat qui obtient le plus de voix au premier et unique tour qui l'emporte. Alors pour ne pas trahir ses convictions écologiques, elle a "échangé" son vote avec un membre du Labour. "Chez lui, à Pavilion, il faut voter vert pour desservir les conservateurs, car les écologistes arrivent en tête. A l'inverse, chez moi, à Hove, il faut absolument soutenir le Labour, au lieu de diviser les voix des progressistes, ce qui favoriserait mécaniquement les conservateurs", explique-t-elle. Elle a donc promis de mettre un bulletin Labour dans l'urne à Hove, tandis que le militant travailliste avec qui elle est en contact votera pour les écologistes à Pavilion. Des tactiques offensives pour un îlot qui se voit davantage comme une lueur d'espoir que comme une bulle en état de siège.
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