Pourquoi les législatives britanniques sont d'un ennui mortel et pourquoi vous devriez (malgré tout) vous y intéresser
La campagne n'a pas tenu ses promesses. Pourtant, jamais le suspense n'aura été aussi intense pour des élections législatives au Royaume-Uni. Et rarement un scrutin n'a comporté autant d'enjeux. Explications.
Morne, terne, d'un ennui mortel… La presse britannique se désespère à J-1 des élections législatives qui se tiendront jeudi 7 mai au Royaume-Uni. La campagne électorale n'a pas tenu ses promesses. Pas de grands débats d'idées, pas de joutes oratoires… Les candidats ont pris soin de ne pas ou peu s'affronter. "Bien que cela soit l'événement le plus important de l'année, qui déterminera le futur du Royaume-Uni pour les cinq prochaines années, nous devons tous admettre que cette campagne a été aussi excitante qu'un match de boxe pacifique", ironise Metro (article en anglais), en listant les "sept preuves qui montrent à quel point la campagne a été ennuyeuse".
Sur les réseaux sociaux, l'expression "most boring general election campaign in living memory" ("la campagne la plus ennuyeuse d'aussi loin que l'on s'en souvienne") revient en permanence. Qui sont les coupables et pourquoi ces élections méritent-elles que l'on s'y intéresse quand même ? Eléments de réponse.
Une coupable idéale...
Elle s'appelle Charlotte, Elizabeth, Diana. La naissance tardive de la princesse royale a éclipsé la campagne électorale dans les médias britanniques et internationaux, ainsi que dans les conversations. L'insoutenable attente, l'annonce de la naissance d'une petite fille, sa première sortie médiatique accompagnée de ses parents, la diffusion de ses prénoms… Autant d'occasions de faire la une à grand renfort de photos et de superlatifs enthousiastes, et ainsi de reléguer le scrutin et ses enjeux au second plan. La famille royale, qui plus est en cas de naissance royale, reste un élément fédérateur puissant du peuple britannique. "Surtout, c'est un événement heureux ! A compter de la naissance de ce nouvel enfant, les Britanniques vont vivre, toute leur vie, avec lui, le voir grandir... Un Royal Baby est une star", explique à francetv info Hélène Catsiapis, spécialiste de la littérature anglaise contemporaine.
... et plusieurs suspects
Si le Royal Baby constitue un coupable idéal, les chefs de file des partis politiques britanniques ont leur responsabilité dans cette campagne atone. Des déplacements rapides, millimétrés et orchestrés à l'avance, des séances photos et des bains de foule entre les candidats et leurs supporters qui n'ont rien de naturel, pas de grands meetings, mais des petites phrases et des formules choc. Le Premier ministre conservateur, David Cameron, n'a accepté de participer qu'à un seul débat face à l'ensemble des candidats de l'opposition. Nombreux sont les observateurs qui lui reprochent son manque criant de motivation pour rempiler au 10 Downing Street.
En dehors des candidats des petites formations (Nigel Farage, du parti europhobe et populiste Ukip, ou les candidats des partis indépendantistes, en particulier, l'Ecossaise Nicola Sturgeon), les poids lourds de la scène politique britannique ont peiné à se départager. Accusé de manquer de charisme, considéré comme peu crédible au poste de Premier ministre, le principal rival de Cameron, le travailliste Ed Miliband, a repris un peu de poil de la bête en fin de campagne. Quant au libéral-démocrate Nick Clegg, allié des conservateurs depuis cinq ans, et qui joue son avenir dans cette élection, il laisse planer le doute sur le choix d'alliance des centristes après les résultats. Le slogan des lib-dems est certes efficace mais flou voire opportuniste : "Les libéraux-démocrates ajouteront un cœur à un gouvernement conservateur et un cerveau à un gouvernement travailliste."
Mais un suspense total...
"Ce degré de suspense et d’incertitude est totalement inédit", assure à francetv info Sarah Pickard, maître de conférences et chercheuse en civilisation britannique à l'université Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Les sondages donnent les conservateurs et les travaillistes au coude-à-coude. Une certitude, ces élections vont marquer la fin du traditionnel bipartisme. Tout le jeu politique britannique s'en trouve chamboulé. A droite, c'est le parti europhobe Ukip qui pourrait faire perdre David Cameron. A gauche, les travaillistes auront sans doute à composer avec les indépendantistes écossais, qui devraient ravir l'immense majorité des sièges de l'Ecosse et qui ont fait des appels à Miliband pour s'allier et "chasser" David Cameron du 10 Downing Street.
Conséquence : après le vote du 7 mai et la publication des résultats, une période d'intenses tractations va s'ouvrir en vue de former une majorité. Plusieurs scénarios sont possibles et les partis minoritaires, dont les nationalistes écossais, se retrouvent "faiseurs de roi". Coalition, alliance pour un soutien lors des votes importants au Parlement ? Les discussions devraient durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
... et des enjeux importants
Encore un paradoxe. Malgré une campagne figée, les enjeux électoraux ne manquent pas et ils sont de taille. En cas de victoire des conservateurs, David Cameron s'est engagé à organiser un référendum sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne. Cette perspective suscite de nombreuses inquiétudes dans le pays et au-delà, car l'issue de ce scrutin paraît totalement incertaine.
Le bilan économique de Cameron ne semble pas lui profiter : un taux de croissance supérieur à la moyenne européenne et un chômage en baisse, mais une précarité en hausse et un pouvoir d'achat qui stagne. Miliband a ainsi promis de réduire les inégalités quand son rival conservateur s'est engagé à ne pas augmenter les impôts ni la TVA.
L'immigration a aussi fait partie des enjeux de la campagne. Sous la pression du Ukip, conservateurs et travaillistes promettent de réduire le nombre de migrants. Le National Health Service (NHS), la sécurité sociale britannique, est également au cœur de la campagne. Dernier avatar de l'Etat providence présent outre-Manche, le NHS, gros employeur du pays, traverse une crise profonde. L'hôpital public n'arrive plus à faire face à l'afflux de malades. Travaillistes et conservateurs s'opposent sur les méthodes à adopter pour sauver le NHS : investissements ou austérité ? Autant de sujets primordiaux pour un scrutin qui ne l'est pas moins.
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