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Quel avenir pour le groupe Wagner après la mort d'Evguéni Prigojine ?

La disparition du patron et de plusieurs figures du groupe paramilitaire russe dans un crash d'avion, mercredi, pose la question de son futur, en Russie comme à l'étranger.
Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Un mémorial en hommage à Evguéni Prigojine à Moscou (Russie), le 25 août 2023. (PELAGIYA TIHONOVA / ANADOLU AGENCY / AFP)

La mort d'Evguéni Prigojine, mercredi 23 août, dans le crash d'un avion entre Moscou et Saint-Pétersbourg (Russie), sonne-t-elle la fin de Wagner ? L'avenir du groupe paramilitaire, amputé de plusieurs de ses cadres, est désormais en suspens, deux mois après sa rébellion avortée.

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Dès vendredi, le président russe, Vladimir Poutine, a signé un décret obligeant les membres des groupes paramilitaires à prêter serment à la Russie, comme les soldats de l'armée régulière. Ils devront jurer "fidélité" et "loyauté" à Moscou. Une manière pour le Kremlin, qui dément toute implication dans le crash de l'avion, de réaffirmer son contrôle ?

Une véritable "décapitation" de Wagner

Le crash de l'avion, mercredi, n'a pas seulement emporté le patron du groupe Wagner. À bord se trouvaient aussi Valeri Tchekalov, chargé de la logistique de la milice, ou encore Dmitri Outkine, l'un des fondateurs de Wagner et bras droit d'Evguéni Prigojine. Il était aussi son commandant opérationnel, "responsable de graves atteintes aux droits de l'homme commises par le groupe" telles que des faits de tortures ou des exécutions sommaires, selon le Journal officiel de l'Union européenne.

"C'est une décapitation" de la milice, résume Ulrich Bounat, chercheur associé à l'Institut Open Diplomacy et auteur de La guerre hybride en Ukraine, quelles perspectives ? (éd. du Cygne, 2016). Pour Catrina Doxsee, chercheuse au Center for Strategic and International Studies, "la Russie va probablement mettre en place un nouveau leadership à la tête de Wagner, plus loyal envers le Kremlin et davantage surveillé que sous Prigojine, tout en maintenant un maximum de continuité sur le plan opérationnel".

"L'écosystème de Wagner et de l'ensemble des forces paramilitaires privées a pu être autorisé comme une forme de test", poursuit auprès de franceinfo Mathieu Boulègue, chercheur associé pour le programme Russie-Eurasie du Royal Institute of International Affairs, basé à Londres.

"Prigojine est allé un peu loin, s'est approprié trop de pouvoir. Cela sonne probablement la fin d'un système. Plus jamais on ne laissera autant de pouvoir."

Mathieu Boulègue, chercheur associé au Royal Institute of International Affairs

à franceinfo

Le chercheur s'attend ainsi à voir "une redistribution de ce gâteau [Wagner] au sein des élites restées fidèles à Poutine". Selon lui, des sociétés de l'oligarchie russe "pourraient récupérer certains segments" des activités de Wagner. Des entités paramilitaires plus proches du ministère de la Défense, les milices Redut ou Patriot par exemple, pourraient aussi prendre la tête d'activités du groupe de Prigojine, ajoute Ulrich Bounat.

Wagner, déjà affaibli après sa rébellion avortée fin juin, "va disparaître en tant qu'entité", prévoit-il. Néanmoins, "on ne sait pas vraiment si le Kremlin a l'intention de dissiper complètement Wagner, ou s'il projette de le reconstituer en une organisation beaucoup plus petite, entièrement subordonnée au ministère de la Défense russe", souligne le groupe de réflexion américain Institute for the Study of War. Une troisième hypothèse, celle d'un groupe qui resterait indépendant, mais sous la houlette d'un homme plus proche du Kremlin, semble moins probable pour l'institut.

L'avenir incertain des mercenaires

Après la tentative de rébellion, Vladimir Poutine avait proposé trois options aux paramilitaires : signer un contrat avec le ministère de la Défense russe "ou toute autre agence de sécurité", "rentrer chez vous" ou partir en Biélorussie. L'intégration des paramilitaires dans l'armée régulière ne s'annonce pas évidente pour les plus fidèles à Evguéni Prigojine, relève le groupe de réflexion Atlantic Council. "Une partie des unités d'anciens détenus [recrutés par Wagner] a déjà été réintégrée dans les unités Storm Z" russes, relève toutefois Ulrich Bounat.

Les milliers de membres de Wagner présents en Biélorussie depuis le début de l'été –environ 4 000 début août, selon le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki – resteront-ils dans le pays allié de la Russie ? "Les motivations des mercenaires de Wagner à rester en Biélorussie diminuent rapidement", pointe l'Atlantic Council. "La présence de Wagner en Biélorussie est minimale", poursuit Mathieu Boulègue. Son rôle dans le cadre de l'invasion russe de l'Ukraine est également moins important aujourd'hui, depuis l'annonce de son retrait de Bakhmout début juin.

L'une des questions qui se posent désormais est celle du maintien des activités de Wagner en Afrique. Ce continent est un terrain très important pour la milice, entre la Centrafrique, le Mali, ou encore le Soudan. Ses missions "vont continuer, mais de manière contrôlée par des émissaires du Kremlin", avance Mathieu Boulègue.

Des activités vitales pour Moscou en Afrique

Comme le rappelle Ulrich Bounat, "les missions de Wagner en Afrique sont fondamentales pour l'Etat russe". Elles permettent à Moscou de se maintenir sur la scène internationale face aux Occidentaux, dans un contexte où la Russie est isolée par la guerre en Ukraine. "Moscou ne peut pas se permettre de perdre cela et la manne financière" issue de cette présence en Afrique. En juillet, le groupe de réflexion Soufan Center estimait aussi qu'il était "presque certain que Wagner, ou une entité similaire sous un nouveau nom, [allait] continuer à mettre en œuvre la même stratégie : identifier des Etats fragiles auxquels apporter un appui sécuritaire, au sens large, en échange de l'accès aux ressources minières".

"C'est très important pour la Russie. Cela permet de contourner une partie des sanctions, et il y a aussi cette capacité à déstabiliser les Occidentaux en Afrique."

Ulrich Bounat, chercheur associé à l'Institut Open Diplomacy

à franceinfo

D'après l'Institute for the Study of War, des sociétés militaires privées sous le contrôle du ministère de la Défense russe ont commencé à recruter des membres de Wagner pour poursuivre des opérations à l'étranger. "Ces gens-là resteront [en Afrique], mais d'autres, qui détestent le ministère de la Défense, ne s'engageront pas" avec d'autres sociétés militaires privées, estime Ulrich Bounat. Le chercheur juge aussi qu'il sera difficile de reprendre la tête des activités de Wagner en Afrique, car il s'agit d'"une construction complexe" incluant "des relations bâties entre Prigojine et des politiques africains" et "une capacité à user de certaines activités pour en financer d'autres". Selon lui, ce changement de commandement pourrait, à terme, faire perdre à la Russie "une partie de ses capacités d'ingérence en Afrique".

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