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Khodorkovski, Pussy Riot... que cachent les libérations voulues par Poutine?

Le président russe Vladimir Poutine a gracié l'ex-magnat Mikhaïl Khodorkovski et amnistié les deux membres du groupe Pussy Riot. Une façon de montrer aux Russes que rien ne menace sa suprématie dans son pays. Et «aux Occidentaux qu'il sait être magnanime avec quelques uns de ses opposants», comme l'explique le correspondant permanent de France 2 à Moscou, Alban Mikoczy.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Maria Alyokhina et Nadezhda Tolokonnikova, deux des Pussy Riot, se retrouvent à l'aéroport de la ville sibérienne de Krasnoïarsk, au lendemain de leur libération, le 23 décembre 2013. (AFP PHOTO / VASILY MAXIMOV)

Pourquoi Vladimir Poutine gracie-t-il Mikhaïl Khodorkovski et les Pussy Riot?
Avant tout ce sont deux opérations qui procèdent d'une mécanique juridique différente.
 
Pour les Pussy Riot, comme d'ailleurs pour les trente militants de Greenpeace toujours astreints à résidence à Saint-Pétersbourg, c'est la loi d'amnistie qui s'applique. Voulue par Vladimir Poutine, votée le 18 décembre par les députés russes, cette loi concerne le délits de «troubles sociaux» engendrant des peines inférieures à trois ans de détention, mais aussi des «délits économiques».

Au total, quelques milliers de personnes sont concernées. Leur période de détention prend fin, elles sont libérées et leur condamnation est abrogée. Notons que cela concerne aussi quelques hommes politiques proches du pouvoir qui avaient été inquiétés, principalement pour des faits de corruption ou de fraudes fiscales. Cette opération de pardon général concerne aussi les affaires en instruction et non encore jugées. C'est le cas des militants de Greenpeace.
 
Pour Mikhaïl Khodorkovski, il s'agit d'une grâce personnelle du président Vladimir Poutine, officiellement par signe de bienveillance du Kremlin. L'ancien oligarque a écrit deux lettres au numéro un russe pour lui demander de suspendre sa détention en raison de l'état de santé de ses parents. Cela fait dix ans que Khodorkovski est retenu dans différents camps de détention ; il était libérable à partir de l'été prochain. Mais l'ombre d'un troisième procès pour complicité de meurtre, cette fois-ci, se profilait. Une condamnation probable aurait maintenu l'ancien patron du groupe pétrolier Ioukos en prison pour de très longues années.

Donc, il semble qu'il y ait un marché entre lui et le pouvoir. En clair, pas de troisième procès et la liberté en Allemagne contre ces lettres qui valent de fait reconnaissance de la culpabilité dans les deux premières affaires. Conséquences : Khodorkovski renonce de fait à toute poursuite contre l'Etat russe ou des personnes privées pour spoliation de biens dans l'affaire Ioukos et surtout aux yeux des Russes, il est donc coupable et l'a accepté. Dès lors que valent ces dénégations répétées de si longues années et que valent aussi ces remarques sur le système politique russe.

Toutes ces libérations ont-elles le même sens?
Oui profondément. Pour Vladimir Poutine, le profit est double. Fort de ses succès diplomatiques en 2013 (Syrie, Iran, Ukraine), il montre aux Occidentaux qu'il sait être magnanime avec quelques uns de ses opposants et prive au passage les critiques internationaux de profils médiatiques de prisonniers politiques russes, à quarante jours de l'ouverture des Jeux Olympiques de Sotchi.

En interne, il montre aux Russes que le juge suprême c'est lui. Il se pose en père sévère mais protecteur ; c'est le fond de sa communication politique depuis toujours. S'opposer à Vladimir Poutine serait donc une voie sans issue, implorer sa clémence en cas de difficultés est en revanche une attitude valorisée.

Notons toutefois que Maria Alekhina, l'une des deux Pussy Riot libérées, a déclaré dès sa sortie de camp, le 23 décembre à Nijni-Novgorod : «Je ne voulais pas de cette amnistie, je n'ai demandé aucune grâce à Vladimir Poutine. Notre combat continue.» On verra très vite quelle latitude lui sera laissée.
 
Remarquons au passage qu'Alexeï Navalny, le plus charismatique des adversaires résolus au pouvoir n'a lui bénéficié d'aucune mesure de clémence, pas plus que Boris Nemtsov, l'éternel opposant. Preuve sans doute que Vladimir Poutine sait où est le véritable danger en matière d'opinion publique. 
 
Quelles réactions ont-elles provoqué en Russie? 
Surtout de l'indifférence. En ce qui concerne Khodorkoski, l'opinion majoritaire est qu'il est normal qu'il paie pour les conditions douteuses de son enrichissement. On pourrait objecter que bien d'autres oligarques ont fait bien pire en matière de fraude fiscale et d'escroquerie. La propagande est telle ici depuis dix ans que Khodorkovski est jugé de fait coupable par 80% de la population. Il ne suscite pas une sympathie particulière et une grande majorité des Russes se contentera parfaitement du fait qu'il vive désormais discrètement à l'étranger.

Pour les Pussy Riot, c'est encore plus net. Seuls 6% des Russes adhèrent à leur combat politique. La Russie est un pays culturellement conservateur. La profanation de la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou passe mal. Elles sont vues comme de jeunes ecervelées et devront changer de type d'expression si elles veulent élargir leur base de soutien. Mais ce n'est pas forcément ce qu'elles cherchent.

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