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Persécutions des homosexuels en Tchétchénie : "Ces violences se perpétuent dans l’impunité la plus totale"

Francinfo a interrogé Aude Merlin, spécialiste du Caucase du Nord, sur les exactions commises en Tchétchénie contre les personnes LGBT. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des manifestants pour les droits des personnes LGBT rassemblés place de la Bourse à Bruxelles (Belgique) pour dénoncer la répression contre les homosexuels en Tchétchénie, jeudi 20 avril 2017.  (ALEXANDROS MICHAILIDIS / SOOC / AFP)

Ramzan Kadyrov a démenti toute arrestation d'homosexuels en Tchétchénie. Le président de la République russe du Caucase a dénoncé, mercredi 19 avril, des "provocations" pour désigner les articles de presse faisant état de la traque des personnes LGBT dans le pays.

Le 1er avril, une enquête du journal indépendant Novaïa Gazeta a révélé qu'une vague de répression s'était soldée par l'arrestation de plus de 100 homosexuels et la mort de trois d'entre eux, tués par leur tortionnaire ou par leur famille, selon la loi coutumière de cette république extrêmement conservatrice. Chercheuse au Centre d'études de la vie politique (Cevipol) et à l'université de Bruxelles, Aude Merlin est spécialiste du Caucase du Nord. Elle a répondu aux questions de franceinfo. 

Avez-vous été surprise par les révélations du bihebdomadaire, Novaïa Gazeta, selon lesquelles des homosexuels sont torturés dans des prisons secrètes, en Tchétchénie.

Pas du tout et ce, pour plusieurs raisons. La première tient à la nature du régime politique tchétchène, sous la houlette de Ramzan Kadyrov. C’est un régime autoritaire extrêmement dur et violent. La Tchétchénie est d'ailleurs définie par l’ONG Memorial comme étant "un Etat totalitaire au sein de l’Etat russe". Ce régime repose sur la terreur, l’arbitraire et la violence politique combinés à des logiques de cooptation et de séduction matérielle. 

Ensuite, il faut prendre en compte le cadre général en Russie. Comme nous l'avons vu en 2012, avec l'adoption d'une loi pénalisant la "propagande homosexuelle à l'égard des mineurs", le pouvoir russe n’est pas tolérant envers les minorités sexuelles. Enfin, la société tchétchène elle-même est assez perméable à des logiques de répression contre l’homosexualité car il s'agit d'une société assez traditionnelle. D'ailleurs, Kadyrov œuvre fortement à cette "re-traditionnalisation" de la société. Au cours des années précédentes, il a donné une très grande licence a tout ce qui est violences domestiques, humiliation des femmes, polygamie, etc.  

Police, militaire, forces de sécurité... Sait-on qui mène cette répression ?

Evidemment, c’est le régime qui emprisonne et qui torture les homosexuels. Ces violences se perpétuent dans l’impunité la plus totale, par les agents de l’Etat. Les témoignages décrivent des hommes cagoulés et non identifiés, mais ils font partie de l’organigramme du pouvoir politique tchétchène. Ils dépendent soit du ministère de l’Intérieur tchétchène, soit de la garde personnelle de Ramzan Kadyrov, par exemple. Cette répression fait partir intégrante du régime politique à l’œuvre et il ne s’agit aucunement de bavures ou de dérives. Ces exactions sont commises dans un organigramme officiel et si les prisons sont secrètes, clandestines, les agents qui perpétuent ces violences sont des agents de l’Etat tchétchène.

Cette fois, nous parlons des homosexuels. Mais ils sont loin d'être les seules victimes. L’année 2016 a été particulièrement dure en termes de répression politique à l’encontre de dissidents : il y a eu des violences contre des chercheurs, des journalistes, des intellectuels ont été violentés, torturés, passés à tabac, etc.

Les homosexuels qui ont accepté de témoigner ont évoqué la crainte d'être abattus par des membres de leurs propres familles, sous couvert d'une justice informelle. Quel est le poids de ces traditions ? 

Dans ce contexte d'homophobie ambiante, qui traverse à la fois les élites russes et tchétchènes et au sein de cette société tchétchène gouvernée par la terreur, la société civile est prompte à condamner les minorités sexuelles. C'est un sujet tabou dans le Caucase.

Par ailleurs, il y a une justice coutumière en Tchétchénie qui existe depuis des centaines d’années. Le fait est que le président de la République, Ramzan Kadyrov, a ouvertement exprimé la tolérance qu’il avait vis-à-vis des crimes d’honneur et certain d’entre eux continuent d’être pratiqué dans la société tchétchène. 

Dans ces conditions, une enquête indépendante est-elle possible sur ces exactions ? 

Il y a une législation en Russie qui est propice à des formes d'arbitraire et de répression contre les minorités sexuelles. Donc, je vois assez mal une commission d'enquête diligentée par Moscou. Mais on ne sait pas. Si d'aventure le pouvoir russe voulait marquer un point en termes de communication vis-à-vis du monde extérieur et montrer une certaine diligence à enquêter sur ce point, ce n'est pas impossible. Mais rappelons qu'il s'agit d'un sujet qui est tabou dans le Caucase et en particulier en Tchétchénie. Surtout, le contexte - ce régime en place - rend une enquête très compliquée simplement du fait de la peur.

Reste la possibilité d'une enquête internationale puisque la journaliste Elena Milashina et ses collègues de Noveïa Gazeta ont réussi à faire sortir tous ces témoignages, lesquels ont été repris par les ONG internationales de défense des droits de l'homme. Mais qu'une commission d'enquête russe aille enquêter sur ces exactions, personnellement j'en doute. 

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