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Russie : chute du rouble et conséquences
Où en est le rouble ? Après un léger mieux dans une dégringolade historique, la monnaie russe est repartie à la baisse. Une glissade dangereuse, suivie avec inquiétude par le gouvernement et les consommateurs.
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Après une brève accalmie en fin de semaine dernière, la monnaie russe reprend sa chute. Le rouble a vécu pendant plusieurs jours une dégringolade proche de ses records de 2014. Mercredi 20 puis jeudi 21 janvier 2016, au plus fort de la descente, il fallait plus de 85 roubles pour acheter 1 dollar et plus de 93 roubles pour 1 euro.
Après un léger mieux vendredi 22 et lundi 25, le rouble est reparti à la baisse le mardi 26 (81,8 roubles pour 1 dollar et à 88,9 roubles pour 1 euro).
Taux de change rouble/dollar (en jaune) - Cours du pétrole brut (en gris)
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— Wall Street Journal (@WSJ) 24 Janvier 2016
Revoilà le spectre de la crise de 1998 (lien abonnés)... Cette fin janvier a vu souffler sur les marchés russes un vent de panique qui ressemble à celui de fin 2014. Le mardi noir du 16 décembre, l'euro avait atteint 100 roubles, rappelle Francetvinfo. Après avoir annoncé plusieurs fois en 2015 que «le pire de la crise (était) passé», Vladimir Poutine et le gouvernement russe s'alarment maintenant de la situation économique du pays. Au Forum économique de Gaïdar qui s'est tenu mi-janvier, l'heure n'était plus à la confiance et le Premier ministre Dmitri Medvedev envisageait désormais «le pire des scénarios» (lien abonnés) «si les prix du pétrole continuent à baisser», relate le Monde.
L'or noir a fait couler le rouble
Cette chute des prix de l'or noir suit directement la levée des sanctions économiques qui visaient l'Iran. Ce que «Le rouble n'a pas supporté», titrait le quotidien économique Kommersant (lien en russe) le 19 janvier. Téhéran a décidé d'augmenter sa production, faisant chuter le prix du baril, descendu jusqu'à 25 dollars alors que le gouvernement russe tablait sur 50.
La Russie reste structurellement dépendante de la rente pétrolière (qui représente, avec le gaz, plus de la moitié de ses revenus) et n'a pas assez préparé l'après-pétrole, ni attiré les investisseurs étrangers. Un manque à gagner de «plus de 3000 millliards de roubles (plus de 35,3 milliards d’euros) dans le budget 2016 si le prix du pétrole se maintenait à 25 dollars le baril» inquiète le ministre des Finances russe Anton Silouanov, cité par Courrier international. Cette conjoncture difficile s'ajouterait au coût des sanctions économiques liées au conflit en Ukraine (25 milliards d'euros en 2015, selon le ministre du Budget Alexeï Likhatchev, mais elles pourraient être levées côté français l'été prochain) et à celui, à venir, des interventions militaires en Ukraine et en Syrie...
Corrélation quasi parfaite entre le #Rouble et le #pétrole ( $USDRUB $BRENT ) pic.twitter.com/GMbO0wYkNF
— Xavier FENAUX (@XFenaux) January 18, 2016
Quel plan anticrise ?
Pour le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, il n'y a pas d'«effondrement du rouble» ; la banque centrale se veut rassurante quant à la stabilité financière du pays, mais sa présidente a tout de même annulé sa participation au Forum mondial de Davos. L'ancien président de l'URSS Mikhaïl Gorbatchev, lui, s'alarme de l'absence de programme face à ces difficultés.
Le gouvernement planchait en tout cas dès la semaine dernière sur des coupes budgétaires et un plan anticrise. Lundi 25 janvier, l'agence Reuters révélait que, selon plusieurs sources haut placées, une enveloppe de 135 milliards de roubles (env. 1,5 md d'euros) serait allouée en priorité (pour 50 milliards) au secteur automobile, puis aux secteurs des chemins de fer, machines agricoles, contruction et biens de consommation courante. Cette enveloppe proviendrait de fonds inemployés en 2015, mais le ministère des Finances ne souhaite pas la débloquer entièrement. Une troisième source évoquait une éventuelle rente (d'une «probabilité très faible», selon Reuters) de 340 milliards de roubles (env. 3,9 mds d'euros) obtenue grâce au gel des pensions de retraite.
Les retraités pénalisés ?
Lors de sa conférence de presse annuelle, Vladimir Poutine avait écarté l'idée de toucher aux pensions de retraite, une idée particulièrement impopulaire en Russie. Il faut dire que les retraités russes représentent la part la plus active de l'électorat. Ces pensions (11.000 roubles en moyenne, soit quelque 127 euros au cours actuel) sont déjà très insuffisantes pour vivre et ne constituent souvent qu'un revenu d'appoint.
Les dépenses de santé des retraités vont en outre être lourdement impactées, puisque le gouvernement table sur une hausse moyenne du prix des médicaments de 20% en 2016. Mais bien qu'on les voie désormais souvent faire le tour des pharmacies à la recherche du prix le plus bas, ils n'en veulent pas forcément à Vladimir Poutine, rapporte le site d'information luxembourgeois le Jeudi.
La chute du rouble pourrait gravement nuire à la santé, et pas seulement des personnes âgées. L’ONG «Mouvement contre le cancer» alerte sur des «conséquences fatales» pour les malades, poursuit le Jeudi. Selon cette directrice d'un réseau pharmaceutique moscovite, «certains médicaments de chimiothérapie les plus courants, comme l’endoxan, ne sont plus livrés, de même que leurs substituts russes produits avec des substances d’Allemagne». La pénurie de certaines molécules menace. D'après le même article, les infrastructures sanitaires subissent la crise de plein fouet : les médecins sont licenciés par milliers, les hôpitaux ferment par dizaines, et un tiers des pharmacies pourraient en faire autant.
Fini le temps des nouveaux riches
Les ménages, qui souffrent déjà des taux de crédit élevés, se préparent à se serrer la ceinture un peu plus : le FMI table sur une rétractation supplémentaire du PIB de 1% (déjà 3,7% cette année). La classe moyenne, socle de l'électorat de Vladimir Poutine, va-t-elle finir par lui en tenir rigueur ? En novembre 2015, peu après les premières frappes en Syrie, le président russe caracolait à... 89,9 % d'opinions positives, selon un sondage du centre Vtsiom.
Pourquoi les Russes plébiscitent-ils un dirigeant qui leur inflige tant de privations via sa politique étrangère ? C'est que «les privations, les Russes y sont habitués», écrit Semion Novoproudski dans une analyse publiée par Gazeta.ru, traduite par Courrier international (lien abonnés). En revanche, ils auraient «la phobie de devenir un pays ordinaire». Paradoxe, la fin de quinze années d'avidité (lien abonnés) pourrait même être ressentie avec un certain soulagement : plus besoin de «jouer au jeu assommant de la bourgeoisie» !
Une nouvelle (extrême) pauvreté
Pour la majeure partie de la population, la question de la fin ou non de l'avidité ne se pose pas. Les retards dans le paiement des salaires (qui ne sont pas rares en Russie) font maintenant place à leur réduction : moins 10% en un an. Moins 13%, en un an toujours, pour les ventes de détail, moins 42% pour celles d'automobiles, selon Libération. Plus de 70 banques sur 800 ont perdu leur licence. Certains produits d'alimentation ont connu des hausses de 15 à 40% par rapport à 2015.
L'extrême pauvreté, considérée comme éradiquée en 2013, représente à nouveau une menace. «Fin 2015, 21,7 millions de Russes (15% de la population) vivaient sous le seuil de pauvreté, 2,8 millions de plus qu’en 2014», souligne Veronika Dorman. La correspondante en Russie de Libération cite un sondage du centre Levada : en décembre 2015, 48% des Russes se plaignaient de la détérioration de la situation économique au sein de leur famille, contre 32% en décembre 2014. Les nouveaux riches font place aux nouveaux pauvres : de 30 à 50% de la population risquent de venir grossir leur nombre, selon l'Institut d'analyse et de prévision de l'Aremap (cité dans un article du quotidien économique Kommersant).
Et pas moyen de noyer ses soucis dans l'alcool (sinon de contrebande), il va encore augmenter... Heureusement (enfin une bonne nouvelle), le nombre de personnes dépendantes à l'alcool ou à la drogue serait en baisse en Russie.
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