Cet article date de plus de neuf ans.

Russie: qui sont les «anti-Maïdan»?

De nombreux Russes accusent le «climat de haine» actuel d'être responsable de l'assassinat de l'opposant Boris Nemtsov, le 28 février 2015 à Moscou. Le week-end précédent, une démonstration de force spectaculaire avait réuni en Russie des milliers d'adversaires de la révolution ukrainienne, partisans d'un nationalisme exacerbé. Mais qui sont ces «anti-Maïdan» ?
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
En lettres de feu : «Maïdan, un an. Nous n'oublierons pas, nous ne pardonnerons pas». Sur les drapeaux, le ruban orange et noir de Saint-Georges qui symbolise la victoire russe sur le nazisme lors de la Seconde Guerre mondiale. (Photo REUTERS/Sergei Karpukhin)
Ils ont défilé le 21 février 2015, veille de la commémoration à Kiev de l'anniversaire du Maïdan. Les participants se comptaient par milliers sur la place Rouge (35.000, selon la police), pour une manifestation haute en couleurs et en slogans martiaux. A Moscou, mais aussi Saint-Pétersbourg, Ekaterinenbourg (Oural), Vladivostok (Extrême-Orient russe), Simferopol, capitale de la Crimée... aux côtés des soutiens des forces pro-russes dans le conflit ukrainien (volontaires combattants dans l'est de l'Ukraine, députés ukrainiens pro-russes, ressortissants du Donbass...) s'étaient donné rendez-vous tous les courants réactionnaires de la société russe : politiciens patriotes, vétérans de la guerre d'Afghanistan, cosaques venus en force, comme le relate Isabelle Mandraud dans le Monde.

Des manifestants payés ?
Mais la marche «anti-Maïdan» avait recruté plus large : côté société civile, des secouristes, fonctionnaires venus à l'appel de leurs syndicats, délégations du Parti communiste, de muftis, de Tchétchénie. Côté sportif, des associations de motards tels les «Loups de la nuit» (que Poutine appelle ses frères), clubs de supporters de foot, pratiquants d'arts martiaux… Et des mères de famille, des retraités, des jeunes (écoles et universités ayant largement appelé à participer à l'événement). Tout ce monde défilant sous sa propre bannière, sans se mélanger.


Des bus avaient été affrétés pour acheminer gratuitement les manifestants. Des centaines d'entre eux, selon la Novaïa Gazeta, avaient fait la queue pour toucher de 300 à 500 roubles (de 5 à 7 euros environ). Ce qui rappelle les carrousels de la présidentielle...

«Les esclaves de Poutine ont été amenés à l'anti-Maïdan.» (en haut à droite) «300 roubles, c'est peu» et «Nous exigeons une revalorisation» (pancarte en bas). (Twitter)

Mots clés, slogans et symboles
Le trajet s'achevait sur l'emblématique place Rouge, où un écran géant diffusait chants patriotiques et vidéos de propagande montrant une Ukraine à feu et à sang. En ouverture du show et en lettres de feu : «Maïdan un an. Nous n'oublierons pas, nous ne pardonnerons pas». Dans la foule, ces pancartes : «Aujourd'hui Maïdan, demain le chaos», «Maïdan, c'est le fascisme», «Poutine et Kadyrov ne laisseront pas Maïdan arriver ici», «Marioupol (port de l'est ukrainien convoité par les séparatistes - NDLR), n'aie pas peur, nous sommes avec toi»

Les Etats-Unis et l'Union européenne sont accusés d'attiser le conflit : «Obama est un pauvre type», «L'Europe et les Etats-Unis tuent les enfants du Donbass», «Je ne mange pas de biscuits, les pains d'épices (russes) sont meilleurs» (allusion à la distribution de cookies à Maïdan par la secrétaire d'Etat américaine Victoria Nuland). D'autres conspuent, comme à l'époque soviétique, l'Occident «décadent» : «Non à l'idéologie occidentale et aux gay prides».

«Je suis pour Poutine» (photo de gauche) ; «Stop Maïdan. La 5e Colonne attise Maïdan en Russie», «Non à Maïdan à Saint-Pétersbourg et en Russie», «Non à Maïdan». Pour de belles images de cosaques, de Loups de la Nuit ou de ménagères pro-Poutine, voir les diaporamas de Gazeta.ru ou Snob.ru. (Photos REUTERS/Maxim Zmeyev)


Et partout, des déclarations de soutien à Poutine : «Le poutinisme pour toujours», «Poutine, Patrie, Prospérité», «Poutine, aide-nous à détruire la Cinquième Colonne». Avec «Poutine», «patrie» était l'autre maître «mot-clé» d'une démonstration qui recyclait chants des années 40 et ruban noir et orange de Saint-Georges, symbole de la victoire sur le nazisme de la Seconde Guerre mondiale.

Qui étaient les organisateurs ?
Le site Global Voices décrit ces «nouveaux activistes» et leur projet. La création du mouvement «Antimaïdan» a été annoncée le 15 janvier sur Twitter par la Fraternité de combat, un groupe de vétérans, notamment d'Aghanistan : «Vous voyez dans quoi vous vous êtes fourrés (les Ukrainiens)?» Le chef de cette Fraternité de combat, Dmitri Sabline, a été député de Russie unie (le parti de Vladimir Poutine).

Coorganisateur de l'Antimaidan, Alexandre Zaldostanov, dit «le Chirurgien», chef des Loups de la nuit... est aussi un ami de Vladimir Poutine. Il est également célèbre pour avoir fêté en Crimée l'annexion de la péninsule. A la coprésidence du mouvement, on trouve Nikolaï Starikov, un écrivain admirateur de Staline qui copréside par ailleurs le parti Grande Patrie. Il a mis en garde «ceux qui cherchent à bousculer la Russie» et appelé en vidéo «tous ceux qui se sentent concernés» à venir manifester. Parmi les dirigeants de l'Antimaïdan, la championne de boxe et de combat libre Julia Berezikova, s'est dite «prête à prendre les armes».

Au-dessus du tweet de lancement de l'Antimaïdan, le député Dmitri Sabline, l'écrivain Nikolaï Starikov, la championne Julia Berezikova. A droite, le manifeste du mouvement... et Vladimir Poutine avec son ami Alexander Zaldostanov. (Photo J. Berezikova : REUTERS/Kioshi Ota, site bratstvo.com, Twitter, Photo Poutine et Zaldostanov : REUTERS/Alexei Druzhinin)


Nébuleuse  et connexions
L'Antimaïdan est-il le dernier avatar (en plus vieux) des Nachi, les jeunesses poutiniennes, ou de la Jeune Garde, deux mouvements adeptes des actions coups de poing, créés par le Kremlin en 2005 pour contrer la Révolution orange… ukrainienne ? Le journaliste politique Oleg Kachine y voit une version simplifiée et bas de gamme des néonazis du Born, organisation de combat des nationalistes russes. 

Pour les médias russes indépendants, ces activistes Antimaïdan sont un équivalent russe des titouchki ukrainiens, supporters de clubs de foot engagés par le gouvernement pour provoquer ou intimider les manifestants de Maïdan. Le rédacteur en chef de la Novaïa Gazeta souligne, dans une interview à la radio Echo de Moscou (lien en russe), des connexions via leur coordinatrice ukrainienne, la journaliste Oxana Schkoda.

Programme et ambitions
«Nous nous rassemblons afin de ne pas permettre les "révolutions de couleur" (...). Nous ne laisserons pas la maîtrise de nos villes à ces forces qui haïssent une Russie souveraine et libre et reçoivent l'approbation et le soutien de l'étranger», proclame le manifeste du mouvement.

Dans une interview à l'agence d'information RBK (lien en russe), Sabline explique qu'il sera dirigé par un état-major de coprésidents et un comité exécutif. Mille personnes l'ont déjà rejoint et il table sur 10.000 membres. Force numérique nécessaire pour s'inviter dans les manifestations (non autorisées) de l'opposition, son objectif premier. Pacifiquement… mais l'usage de la force est envisagé pour remettre à la police les «provocateurs». «Comme dans notre mouvement il y a surtout des militaires, nous savons nous y prendre», assure Sabline.

Outre le sabotage des manifestations de l'opposition, l'Antimaïdan projette d'installer des camps d'entraînement spéciaux. Mais sa vocation n'est pas seulement guerrière : il se verrait bien donner des cours dans certaines universités. Dans cette veine «culturelle», une exposition dénonçant «le visage de la démocratie américaine» (lien en anglais) a été organisée dans le centre de Moscou.

Pour inaugurer son lancement, l'Antimaïdan a fait irruption dans une manifestation en faveur de Navalny, principal opposant de Poutine. Avec Boris Nemtsov, assassiné le 28 février à quelques pas du Kremlin, il faisait partie des organisateurs de la grande manifestation «anticrise» de printemps du 1er mars 2015, annulée et remplacée par une marche à la mémoire du disparu.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.