On a passé au crible cinq idées reçues sur la présidentielle russe
Mainmise de Vladimir Poutine sur l'élection, campagne sans intérêt ni suspense... Franceinfo tord le cou (ou pas) à cinq clichés particulièrement tenaces.
Un scrutin attendu, mais sans suspense. Dimanche 18 mars aura lieu l'élection présidentielle russe, dont l'issue ne fait aucun doute : Vladimir Poutine, aux commandes du pays depuis 2000 (comme président jusqu'en 2008 et depuis 2012 et Premier ministre entre ces deux dates), devrait être réélu.
Manque d'opposition réelle, d'intérêt pour la campagne, Vladimir Poutine parti pour s'accrocher au pouvoir jusqu'au bout... Vue de loin, la vie politique russe ne fait pas franchement envie. A raison ? Franceinfo a voulu passer en revue cinq idées reçues sur le sujet.
1Poutine n'a pas de véritables opposants
Pas tout à fait. Dimanche, les électeurs auront le choix entre huit bulletins à glisser dans l'urne. Ils ne trouveront toutefois pas celui du principal opposant à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny, déclaré inéligible fin décembre en raison d'une condamnation judiciaire qu'il dénonce comme montée de toutes pièces. Il a depuis appelé au boycott du scrutin, promis des actions de protestation et veut envoyer des observateurs traquer les fraudes dans les bureaux de vote.
Les concurrents de Vladimir Poutine finalement qualifiés ne servent-ils pour autant qu'à entretenir l'illusion d'un pluralisme politique ? Pas complètement, assure à franceinfo Arnaud Dubien, directeur de l'Observatoire franco-russe et chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Selon lui, plusieurs candidatures relèvent effectivement d'une opposition de façade, comme celle du candidat communiste Pavel Groudinine, qui "vient d'un parti d'opposition coopté et qui certes critique parfois l'entourage de Vladimir Poutine, mais sans l'attaquer frontalement, et qui soutient sa politique étrangère", ou celle de Vladimir Jirinovski, traditionnel représentant de l'extrême-droite "qui occupe un créneau qu'on qualifierait en France d'antisystème mais qui ne sert qu'à capter une partie du vote protestataire et n'est jamais en opposition à la Douma [le Parlement russe]".
Pour autant, deux candidats de l'opposition extra-parlementaire "font vraiment campagne contre Poutine", explique Arnaud Dubien. D'abord, Grigori Iavlinski, qui a fondé le parti Iabloko peu après la chute de l'URSS. Il s'agit de l'un des rares hommes politiques d'orientation libérale à avoir un poids en Russie, même si sa candidature à la présidentielle, la troisième, est perçue avec scepticisme. Les intentions de vote en sa faveur ne dépassent pas 1%.
La révélation de la campagne est, selon ce spécialiste, Ksenia Sobtchak, journaliste de télévision proche de l'opposition libérale, et ex-star de la téléréalité, qui s'est lancée dans la course avec le slogan "Contre tous".
"Certains ont jeté le doute sur la sincérité de sa démarche, en raison des relations de sa famille [son père Anatoli, ancien maire de Saint-Pétersbourg, était l'un des mentors du président dans les années 1990], mais elle fait entendre une petite musique très différente des autres dans cette campagne, et qu'il faudra suivre après l'élection", estime le chercheur. "Elle est par exemple la seule à clamer sur les plateaux de télévision nationaux que la Crimée est ukrainienne."
2La campagne électorale n'a intéressé personne
Vrai. Vladimir Poutine, au pouvoir depuis dix-huit ans, a évité toute campagne directe, refusant de participer aux débats télévisés et se passant de meetings électoraux. En son absence, les Russes ont surtout retenu un échange musclé survenu lors d'un débat le 28 février, au cours duquel le candidat d'extrême-droite Vladimir Jirinovski a traité Ksenia Sobtchak d'"idiote" et de "pute" avant de recevoir un verre d'eau dans la figure de la part de l'intéressée.
Pour Arnaud Dubien, ce désamour pour la politique n'est toutefois pas propre à ce scrutin. "Les Russes sont encore marqués dans leur chair par le traumatisme des années 1990, lorsque les politiques de transition vers une économie de marché se sont accompagnées d'une baisse de 43% du PIB, ce qui représente un choc économique comparable à celui d'une guerre", analyse le directeur de l'Observatoire franco-russe. "Les Russes comparent cette période de survie à celle des années Poutine et se contentent du fait que la situation soit désormais meilleure qu'avant. Même les plus jeunes préfèrent se replier sur la sphère familiale et se détourner de la chose publique", explique le spécialiste.
3Il n'y a pas de liberté de la presse dans le pays
Vrai. Dans son dernier Classement mondial de la liberté de la presse, publié en avril 2017, Reporters sans frontières classe la Russie au 148e rang, sur 180 pays notés. L'organisation estime que "la pression sur les médias indépendants ne cesse de s'intensifier depuis le retour de Vladimir Poutine au Kremlin en 2012 : lois liberticides, asphyxie ou reprise en main de titres de référence, blocage de sites d'information…". La répression n'épargne pas les blogueurs : fin janvier, un blogueur de Sotchi, critique à l'égard des personnalités de sa ville, a été placé en détention et mis en examen pour extorsion de fonds à l'égard d'un député local. Une accusation "sans fondement", selon RSF.
Autre manifestation spectaculaire des pressions : la fermeture brutale du site d'information Russiangate, le 24 janvier dernier. Ce site d'investigation, créé en 2016, avait publié la veille une enquête sur des propriétés immobilières non déclarées par le chef des services secrets russes, Alexandre Bortnikov. Le site a instantanément été bloqué en Russie, avant d'être à nouveau disponible, mais expurgé de l'enquête en question. Sa rédactrice en chef a annoncé que les investisseurs du site avaient décidé de ne plus financer ce média.
4Il n'y a aucun suspense
Vrai... et faux. Selon le dernier sondage officiel autorisé avant le scrutin et publié lundi 12 mars, Vladimir Poutine recueille 69% des intentions de vote. Les concurrents du président sortant enregistrent des scores de 7-8% pour le candidat du Parti communiste russe Pavel Groudinine, 5-6 % pour l'ultra-nationaliste Vladimir Jirinovski, 1-2% pour la journaliste libérale Ksenia Sobtchak, et environ 1% pour le vétéran libéral Grigori Iavlinski.
L'enjeu principal du scrutin réside en fait dans le taux de participation, qui devrait se situer en-deça de celui de 2012 (65,27%). "Un taux inférieur à 50% serait dramatique pour Vladimir Poutine, même si le scrutin ne serait pas légalement invalidé", juge Arnaud Dubien, qui estime que le grand absent du scrutin, Alexeï Navalny, ne se privera pas pour revendiquer une abstention importante.
Il faudra aussi observer l'orientation politique de Poutine pour ce quatrième mandat. On peut s'attendre à une dichotomie intéressante, avec une inflexion libérale sur le plan économique tout en restant inflexible avec les Occidentaux sur la scène internationale, et notamment en Syrie.
Arnaud Dubienà franceinfo
5Poutine ne lâchera jamais le pouvoir
Plutôt faux. Interrogé vendredi 9 mars par NBC pour savoir s'il comptait suivre l'exemple du président chinois Xi Jinping qui pourrait se maintenir au pouvoir sans limite de temps, Vladimir Poutine a répondu par la négative. "Je n'ai jamais modifié la Constitution, je l'ai encore moins fait pour que cela m'arrange et je n'ai aucune intention de ce genre aujourd'hui", a-t-il assuré.
"Il serait même crédible de le voir partir avant le terme de son mandat en 2024, car il aime par dessus tout surprendre. Lui-même a accédé au pouvoir par anticipation, avec un effet de surprise majeur à l'époque", estime Arnaud Dubien.
Reste à se trouver un successeur. En la personne d'un nouveau Premier ministre qui prendrait la place de Dmitri Medvedev après la victoire à la présidentielle ? "Si Poutine nomme effectivement un nouveau Premier ministre, il ne faudra pas forcément interpréter ce choix comme celui d'un dauphin car il sera chargé de faire passer des mesures impopulaires qui risqueraient de le 'griller', comme la refonte du financement de la Sécurité sociale et le relèvement de l'âge de départ à la retraite. La question se posera plus précisément autour de 2020", ajoute le directeur de l'Observatoire franco-russe.
Interrogée par franceinfo, Cécile Vaissié, professeure en études russes et soviétiques à l'Université Rennes 2, juge pour sa part "qu'on a pu voir, depuis des années, monter ce qu'on peut appeler une 'génération Navalny'. C'est-à-dire une génération de très jeunes gens, qui ont de 15-16 ans à 25-30 ans, des gens qui n'ont pas connu l'Union soviétique, qui sont très sensibles au discours d'Alexeï Navalny", qui dénonce notamment la corruption de la classe politique. De quoi, peut-être, changer la donne pour l'après-Poutine.
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