Alain Chouet, spécialiste du Proche-Orient, sur la famille Tlass en Syrie
Qui sont les Tlass ?
Il s’agit d’une famille sunnite, originaire du village de Rastane, à mi-chemin entre Homs et Hama, dans le centre sunnite du pays. Une famille, une gens au sens latin du terme, affidée avec sa clientèle au régime Assad. Le père, Mustapha, officier dans l’armée, a grimpé tous les échelons du régime avant de terminer comme inamovible ministre de la Défense. Mais c’était un alibi sunnite du pouvoir alaouite : il avait en fait très peu de pouvoir.
Son fils, Manaf, général de la garde républicaine, a été élevé parmi les enfants privilégiés du régime. Il a fait du business avec le frère cadet de Bachar, Maher. Arrivé au pouvoir en 1970, Hafez al-Assad avait fidélisé sa clientèle dans les différentes communautés du pays en partageant le pouvoir économique, tout en privilégiant sa propre communauté, en l’occurrence les alaouites.
Quand il a succédé à son père, Bachar a voulu ouvrir le système, notamment sur le plan politique. Mais il a été vite rappelé à l’ordre par la vieille garde. Il a pourtant mis à l’écart certains caciques, dont Mustapha Tlass, en profitant de leur départ en retraite. Comme d’autres, celui-ci est parti pour Paris d’où il peut comploter contre le régime.
Les rats quittent le navire ! Comme d’autres, Manaf sent le vent tourner, il a rejoint son cher papa à Paris. Sa famille est très proche de l’Arabie saoudite et de ses milieux d’affaires, notamment grâce à sa sœur, Najeh, veuve du milliardaire et marchand d’armes saoudien Akram Ojjeh, qui elle aussi habite Paris. C’est donc un interlocuteur possible et présentable pour Washington et Ryad.
Pourtant, il ne faut pas surestimer son importance. D’abord parce que ce n’est pas la première défection d’un officier. Ensuite, c’est vrai qu’il était général de la Garde républicaine. Mais il faut voir que c’est surtout un titre honorifique. Il n’avait pas de pouvoir effectif car les vrais régiments d’élite et les unités vraiment opérationnelles sont commandés par des alaouites fidèles au pouvoir. On dit de lui qu’il a tenté des médiations à Rastane avec l’opposition. C’est possible. Mais il ne peut pas jouer de rôle crédible dans le système actuel : il est trop sunnite pour les alaouites et trop compromis pour sa communauté d’origine.
Je pense que l’on s’achemine vers une guerre civile à la libanaise, avec un réduit pour les 2 millions d’alaouites autour de Lattaquié (nord). Un réduit suréquipé, notamment en routes, par le régime Assad, qui peut le fermer du jour au lendemain. Quant aux autres confessions, chrétiens, druzes, kurdes, leurs représentants n’ont aucune envie d’être commandés par les Frères musulmans. On pourrait donc assister à une guerre de longue durée.
Le pouvoir syrien a des bases beaucoup plus solides que d’autres Etats de la région. Pour autant, il ne pourra pas éternellement résister à la pression de puissances d’argent aussi considérables que les Etats-Unis, l’Arabie saoudite ou l’Europe. Outre leur soutien financier, les USA préparent depuis Amman la relève des services secrets à Damas. La question que je me pose est celle de savoir quel intérêt ont les Européens à soutenir la position américaine. Laquelle parie sur l’arrivée des islamistes au pouvoir à peu près partout, seule capable, à ses yeux, de contrôler le terrorisme jihadiste.
La défection du général Tlass: un coup porté au régime ?
BFMTV, 6-7-2012
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