Chute de Bachar al-Assad en Syrie : "l'abattoir humain" de Saydnaya, prison symbole de la violence du régime
Des images de joie mêlée de peur. Depuis la nuit du samedi 7 au dimanche 8 décembre, les rebelles syriens qui ont chassé le dictateur Bachar al-Assad s'emploient à libérer les prisons du régime, dont celle de Saydnaya, perchée sur les hauteurs à quelques dizaines de kilomètres au nord de Damas. Quelques heures après la prise de la capitale dimanche, les rebelles menés par le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ont ouvert les portes de ce vaste centre pénitentiaire. Son exploration a permis aux rebelles et aux équipes de secours de libérer des centaines de personnes, dont de nombreuses femmes, parfois accompagnées de jeunes enfants. "Dans les cellules, il y a des gamins nés de viols", a assuré le journaliste de France 24 Wassim Nasr, spécialiste du Proche-Orient.
Ce vaste complexe souterrain, profond de cinq sous-sols, était connu comme le plus tristement célèbre centre de torture du gouvernement de Bachar al-Assad. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses vidéos montrent des cellules ouvertes à la volée, dévoilant des détenus visiblement en mauvaise santé et qui ne semblent ne pas oser croire à leur libération. Selon l'Association des détenus et disparus de la prison de Saydnaya (ADMSP), tous les prisonniers avaient été libérés lundi 9 décembre en fin d'après-midi.
Pour beaucoup de familles, ces libérations représentent un nouvel espoir de retrouver des proches arrêtés et disparus dans les geôles du régime. Après l'annonce de la prise de la prison, des centaines de personnes ont afflué vers le bâtiment, comme en témoignent des images partagées sur le réseau social X. Dans une autre vidéo, une détenue peine à croire qu'elle est réellement libre.
Un dédale de cellules et de pièces souterraines
À l'intérieur de la prison, les rebelles ont été confrontés au labyrinthe de cellules, et notamment à des pièces souterraines lundi matin, selon des sources partagées par The Guardian, et par le journaliste Wassim Nasr sur X. "Il y a trois personnes disparues dans ma famille. Ils nous ont dit qu'il y avait quatre niveaux sous terre et que des gens suffoquaient à l'intérieur, mais nous ne savons pas où c'est", a témoigné auprès du journal britannique Ahmad al-Shnein, un Syrien à la recherche de détenus.
Les autorités de la province de Damas, ont, elles, demandé aux anciens soldats et employés de prison du régime de Bachar al-Assad de fournir aux forces rebelles les codes des portes électroniques souterraines de "l'aile rouge", une section souterraine où des détenus étaient "presque morts d'étouffement" en raison du manque d'air, a rapporté la BBC. De leur côté, les Casques blancs, ces bénévoles secouristes de la défense civile syrienne, ont annoncé sur X avoir déployé "cinq équipes d'urgence spécialisées" dans la prison pour enquêter sur d'éventuelles cellules souterraines dissimulées. Les secouristes syriens ont annoncé mardi la fin de leurs opérations de recherche, "sans avoir trouvé de lieux secrets ou cachés".
Dans le chaos de l'évasion, des registres contenant des noms et des détails sur les prisonniers ont été emportés par les familles à la recherche de proches, a rapporté le journaliste Qouteiba Yassine dans une vidéo sur X. D'après The Guardian, plusieurs ONG de défense des droits de l'homme ont lancé cette mise en garde : sans registre, le sort des 136 000 personnes arrêtées par le régime de Bachar al-Assad, et potentiellement détenues jusqu'à sa chute, risque de ne jamais être connu.
Un "outil de terreur " depuis près de quarante ans
L'inauguration de cette sinistre prison remonte à la fin des années 1980, alors que la Syrie était dirigée d'une main de fer par Hafez al-Assad, père de Bachar, qui lui a confié les rênes à sa mort en 2000. L'établissement a ouvert en 1987, avec une particularité : il était destiné à la détention de prisonniers politiques civils, mais aussi militaires, notamment des soldats jugés déloyaux envers le régime. La prison était officiellement placée sous le contrôle du ministère de la Défense syrien, en lien avec les services de renseignement.
A partir de 2011, et l'éclatement de la guerre civile dans le pays, la prison prévue pour accueillir 5 000 personnes a vu sa population exploser, pouvant grimper jusqu'à 10 000, voire 20 000 détenus à certains moments, selon un rapport d'Amnesty International publié en février 2017. "La prison de Saydnaya était un outil pour maintenir le pouvoir, un outil de terreur", a expliqué lundi sur RFI Majd al-Dik, opposant syrien réfugié en France.
Au fil des années, le secret et les rumeurs d'extrême violence entourant la prison de Saydnaya ont poussé les ONG à enquêter sur ce complexe composé de deux bâtiments, l'un en forme de "L" et l'autre construit comme une étoile à trois branches, surnommé "la roue de Mercedes" par les gardes et détenus, rapporte Amnesty. Entre 2011 et 2015, plusieurs dizaines d'exécutions par pendaison y ont été menées chaque semaine, généralement la nuit et à l'abri des regards. Le rythme effréné et le grand nombre de mises à mort ont conduit l'ONG à qualifier la prison "d'abattoir humain".
"Rien que cette prison justifie vingt révolutions"
D'anciens prisonniers racontent y avoir vu des salles de pendaison par groupe, ainsi que des pièces remplies de sel, surnommées "les saloirs", dans lesquelles de nombreux cadavres étaient entreposés avant d'être enterrés dans des fosses communes en banlieue de Damas, rapportait en 2022 l'ADMSP (lien PDF).
Sur la base de témoignages de survivants, mais aussi de gardes, Amnesty International et l'ONG Forensic Architecture ont publié en 2017 un site interactif permettant de "visiter" en trois dimensions la prison, où il était courant de trouver jusqu'à neuf prisonniers dans une cellule d'à peine quatre mètres carrés. En 2022, malgré des engagements pris par Bachar al-Assad contre la torture, l'ONU pointait (lien en PDF) que cette pratique restait "systématique (...) notamment dans la prison de Saydnaya et dans plusieurs lieux de détention gérés par les services de renseignement syriens".
Au total, selon l'ADMSP, plus de 30 000 prisonniers de Saydnaya sont morts ou ont été exécutés durant leur détention. Dans l'une des vidéos partagées en ligne ces dernières heures, un membre de l'Association des médecins indépendants, une ONG syrienne, peine à cacher ses émotions alors qu'il parcourt les couloirs. "Rien que cette prison justifie vingt révolutions", l'entend-on dire, face aux cellules vides pour la première fois depuis trente-sept ans.
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