Chute de Bachar al-Assad : quatre questions sur les jihadistes français présents en Syrie
Pour les jihadistes français aussi, la chute de Bachar al-Assad rebat les cartes. Alors qu'une offensive éclair de groupes rebelles dirigés par le groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS) a mis fin dimanche 8 décembre au pouvoir en place en Syrie, des interrogations surgissent sur le rôle joué dans ce coup de force par des Français partis faire le jihad en zone irako-syrienne dans les années 2000 et 2010, et la menace qu'ils peuvent représenter désormais. Franceinfo apporte des éléments de réponse.
1 Combien sont-ils et où se trouvent-ils ?
Dans une interview au Figaro publiée mardi 10 décembre, le procureur national antiterroriste, Olivier Christen, recense, sur 1 500 départs, "390 revenants en France, 500 décédés, une grosse centaine dans la poche d'Idlib [dans le nord-ouest de la Syrie], environ 150 détenus ou retenus dans le nord-est syrien et en Irak, mais aussi 300 disparus".
"Il y a deux types de jihadistes français en Syrie aujourd'hui", a-t-il exposé mardi soir sur France 2. "Il y a ceux qui sont dans le nord-est syrien, 66 femmes et 65 hommes, qui sont, actuellement, soit retenus, soit détenus dans les camps et les prisons qui sont contrôlés par les Kurdes", a d'abord détaillé Olivier Christen. Environ 120 enfants sont également enfermés dans des camps, dans des conditions très précaires. Au cours de ces dernières années, certains ont été rapatriés, mais toujours au compte-goutte.
"Et puis il y a ceux qui sont dans le nord-ouest syrien", a poursuivi le magistrat, en parlant des jihadistes présents "dans la poche d'Idlib", une ville proche de la frontière turque. "Ce que nous savons sur cette zone-là, c'est qu'il y a une grosse centaine de Français", avait-il déclaré un peu plus tôt sur RTL. "Nous avons dénombré, également présentes à Idlib, une trentaine de femmes évadées des camps ou qui s'y sont réfugiées avec la débâcle de l'Etat islamique", ajoute le procureur antiterroriste auprès du Figaro.
2 A quels groupes islamistes sont-ils liés ?
Les jihadistes français présents dans le nord-ouest de la Syrie se divisent en deux catégories. "Un certain nombre de personnes ont rejoint les rangs du HTS, depuis plusieurs mois, plusieurs années", a déclaré le procureur antiterroriste sur France 2. D'autres, qui forment un groupe "de l'ordre de 30 à 40 personnes", "étaient non pas ralliés à l'Etat islamique mais à Al-Qaïda", a-t-il souligné. Ils appartiendraient à la brigade d'Omar Omsen. Celle-ci "est en conflit avec le HTS, qui en 2018 a rompu officiellement avec Al-Qaïda et le jihadisme", a souligné Olivier Christen auprès du Figaro.
Omar Omsen, de son vrai nom Omar Diaby, est un ancien braqueur originaire de Nice, qui a quitté la France en 2013 pour faire le jihad en Syrie. Sur place, il a combattu le régime syrien aux côtés du Front Al-Nosra, une branche officielle d'Al-Qaïda, comme le montrait une émission du magazine "Complément d'enquête" diffusée en juin 2016. Considéré comme le recruteur de dizaines de personnes, il est toujours recherché en vertu d'un mandat d'arrêt international pour terrorisme.
3 Ont-ils participé au renversement du régime Assad ?
"Nous ne savons pas exactement combien de ces combattants ont participé à l'assaut de Damas et dans quelle proportion", a reconnu le procureur antiterroriste dans Le Figaro. Dix jihadistes français ont toutefois été identifiés dans les rangs du groupe rebelle islamiste HTS, a appris mardi matin l'Agence de Radio France, de source proche du dossier.
Dès dimanche soir, le journaliste de France 24 Wassim Nasr, spécialiste du terrorisme et également chercheur au Soufan Center, a diffusé sur les réseaux sociaux des vidéos dans lesquelles on voit et on entend des jihadistes parlant français juchés sur des véhicules militaires. Ils sont notamment salués en libérateurs devant l'église orthodoxe Saint-Elias de Kafr Buhum. Mardi soir, le journaliste spécialisé a également posté sur son compte X une vidéo de l'entrée de jihadistes français dans un convoi, acclamé, à Lattaquié, "au cœur du fief de l'ancien régime, sans combats".
Wassim Nasr affirme à franceinfo avoir obtenu ces vidéos "par les premiers concernés". Ces jihadistes français sont "encadrés par HTS" et regroupés "sous la bannière du groupe d'Ansar al-Tawhid, qui gère les combattants étrangers, et pas que français", précise-t-il. "Ils ne sont pas libres de leurs mouvements, ils n'ont pas le droit de se battre seuls comme ils veulent", insiste-t-il.
4 Représentent-ils une menace pour la France ?
Lors de son voyage en Arabie saoudite, Emmanuel Macron a exprimé son inquiétude sur le possible retour de ces combattants en France. "Nous avons dans la région des personnes qui ne sont pas sans représenter un certain danger", a alerté mardi le chef de l'Etat. Il faut "éviter la résurgence de mouvements terroristes qui puissent préparer des attentats projetés", a-t-il déclaré.
Le procureur national antiterroriste a adopté un ton plus rassurant mardi sur France 2 : "Tous font l'objet aujourd'hui d'enquêtes judiciaires, tous sont sous le coup de mandats d'arrêt ou de recherche. S'ils venaient à sortir de la Syrie aujourd'hui, ces dispositifs permettraient de les appréhender." Et d'insister : "Nous n'avons pas détecté très clairement de projet entièrement commandité, dans la période récente, depuis cette zone-là vers le territoire français."
Selon Olivier Christen, "les Français qui sont au sein de HTS le sont depuis extrêmement longtemps, totalement absorbés par la Syrie, sans beaucoup de liens avec la France". "Pour l'instant ils sont forcés de se tenir à carreau par HTS", observe sur France 2 Wassim Nasr. "Tous les individus qui sont partis en zone irako-syrienne pour combattre le régime Assad ne sont pas le couteau entre les dents pour frapper à tout prix l'Occident. Il y en a, oui, on le sait. (...) Certains autres individus sont motivés par autre chose, comme la libération du peuple syrien", a, de son côté, affirmé Florian Lastelle, avocat d'un ancien membre de la brigade d'Omar Omsen, sur France 2. "Ceux qui constituent une menace sont emprisonnés chez les Kurdes. (...) Ce qui pourrait changer la donne, c'est le retrait des armées américaines", analyse pour sa part Wassim Nasr, mercredi dans "Télématin".
De son côté, Jenny Raflik, professeure à l'université de Nantes et autrice de Terrorismes en France –Une histoire XIXe-XXIe siècle, rappelle à franceinfo que "le risque zéro n'existe pas". "L'évolution de la situation en Syrie rend incertains les itinéraires des jihadistes", estime l'enseignante-chercheuse. Actuellement, le groupe HTS a "un agenda local", mais cela ne signifie pas que ce sera toujours le cas à l'avenir. "C'est impossible à prévoir", estime Jenny Raflik. Elle considère que, près de dix ans après les attentats terroristes de janvier 2015 en France, "la nature" de la menace jihadiste "a évolué", en particulier depuis "le déclin" du groupe Etat islamique en 2019. "La menace constituée par les retours est mieux maîtrisée, les services de renseignement sont capables de l'endiguer, constate-t-elle également. On ne peut pas dire que cette menace n'existe pas, mais il est dangereux d'anticiper et de créer une peur."
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