En Syrie, la chute de Bachar al-Assad met fin à cinq décennies d'un régime autoritaire et sanglant

La prise de Damas par les rebelles signe la fin d'une ère marquée par la répression politique, entamée en 1970 par l'accession au pouvoir de Hafez al-Assad.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Un portrait de Bachar al-Assad, président syrien déchu, piétiné par la foule, le 8 décembre 2024, devant l'ambassade syrienne à Istanbul (Turquie). (KEMAL ASLAN / AFP)

"La Syrie est à nous, elle n'est pas à la famille Assad !" Dans les rues de Damas, l'heure était à la liesse, dimanche 8 décembre. Quelques heures plus tôt, les rebelles menés par des islamistes radicaux annonçaient à la télévision publique la chute du président Bachar al-Assad et la "libération" de la capitale syrienne, après une offensive fulgurante.

"Après cinquante ans d'oppression sous le pouvoir du [parti] Baas et treize années de crimes, de tyrannie et de déplacements, nous annonçons aujourd'hui la fin de cette ère sombre et le début d'une nouvelle ère pour la Syrie", ont déclaré les rebelles. Franceinfo revient sur ces cinq décennies de dictature, qui ont profondément meurtri le pays.

Une prise de pouvoir par la force avec Hafez al-Assad 

Avant Bachar al-Assad, il y a eu son père, Hafez al-Assad. A la tête du parti Baas, celui-ci avait imposé lors d'un putsch le 16 novembre 1970 un régime opaque et paranoïaque, où le plus infime soupçon de dissidence pouvait faire expédier quelqu'un en prison.

Hafez al-Assad fait emprisonner pendant vingt-trois ans le président déchu, Noureddine al-Atassi. Une nouvelle Constitution adoptée l'année suivante fait du parti Baas le "dirigeant de l'Etat et de la société", et instaure le "référendum présidentiel". 

La famille al-Assad, en 1985, avec notamment le président Hafez (assis), son épouse Anissah Makhlouf (assise) et son fils Bachar (2e à gauche). (AFP)

Elu président de la République par référendum en 1971, Hafez al-Assad le restera jusqu'à sa mort en 2000. Pendant trois décennies, le pays se referme sur lui-même : l'opposition et la presse sont muselées, les manifestations bannies et l'état d'urgence décrété.

En février 1982, le pouvoir mate dans le sang une insurrection des Frères musulmans, sa bête noire, dans la ville de Hama, dans le centre du pays. En raison d'un black-out médiatique, les estimations du bilan humain varient entre 10 000 et 40 000 morts. "Il a fallu plus de trois semaines aux forces syriennes, qui ont eu recours à l'artillerie et aux blindés, pour venir à bout de ce soulèvement, au prix de destructions et de pertes humaines considérables. Selon des témoignages, plus de 10 000 soldats furent mobilisés", relève France 24. 

Un bref espoir de modernisation avec l'arrivée de Bachar al-Assad

Hafez al-Assad meurt le 10 juin 2000 après plus de vingt-neuf années de présidence. Son fils Bachar n'est pas destiné à lui succéder, mais son destin change radicalement quand l'aîné de la fratrie, Bassel, meurt dans un accident de la route en 1994.

L'ophtalmologue de formation arrive alors au sommet de l'Etat à l'âge de 34 ans, moins que l'âge requis pour accéder à la fonction suprême, alors fixé à 40 ans. Les opposants dénoncent l'avènement d'une "République héréditaire". Mais Bachar al-Assad prend bien les rênes du pays, sans avoir été élu démocratiquement. En l'absence d'opposition, le nom du candidat à la présidence est proposé par le parti, puis soumis à un référendum. Lors de chaque scrutin, Hafez puis son fils Bachar al-Assad sont ainsi "élus" à plus 90% des voix. 

Le président Bachar al-Assad salue ses partisans, après avoir prêté serment, devant le Parlement à Damas, le 17 juillet 2000. (LOUAI BESHARA / AFP)

L'arrivée au pouvoir du fils Assad est néanmoins synonyme d'espoir dans la population. "La succession au début des années 2000 est annoncée à l'époque avec la promesse de réformes", observe pour franceinfo Myriam Benraad, professeure en relations internationales à l'Université internationale Schiller. 

"Bachar al-Assad avait lancé une politique de promotion de jeunes entrepreneurs. Il voulait initialement se défaire des vieilles structures du régime."

Myriam Benraad, professeure en relations internationales à l'Université internationale Schiller

à franceinfo

Bachar al-Assad incarne alors pour de nombreux Syriens en quête de liberté l'image d'un réformateur, en mesure de mettre fin à des années de répression et d'instaurer une économie plus libérale dans ce pays au contrôle étatique étouffant. Au début de sa présidence, le jeune dirigeant apparaît en public au volant de sa voiture ou dînant au restaurant en tête-à-tête avec son épouse.

Il assouplit certaines des restrictions imposées par son père. "Des centaines de prisonniers d'opinion sont libérés et des forums de discussion fleurissent un peu partout dans le pays", rapporte encore Le Monde . 

La répression sanglante de la révolution de 2011

L'image du réformateur se dissipe avec l'arrestation et l'emprisonnement d'intellectuels, d'enseignants ou d'autres adhérents au mouvement de réforme, au terme d'un bref "printemps de Damas". Quand le Printemps arabe gagne la Syrie en mars 2011, des manifestations pacifiques appellent au changement. "Plus populaire que ne l'étaient Ben Ali [en Tunisie] et Moubarak [en Egypte], le président syrien se croit immunisé contre un soulèvement général. Il laisse ses forces de sécurité tirer sur les manifestants, les rafler et les torturer, ce qui contribue à la propagation de la colère", rappelle Le Monde.

Des rebelles de l'Armée syrienne libre participent à une manifestation contre le pouvoir de Bachar al-Assad le 7 mai 2012 à Qousseir, dans la région de Homs. (AFP)

Dans le cadre des réformes promises, le gouvernement syrien annonce cependant la tenue d'un référendum le 26 février 2012 sur une nouvelle Constitution qui met fin à la prédominance du parti Baas et instaure théoriquement le pluralisme politique. Trop peu pour calmer la colère. 

Bachar al-Assad, qui est également commandant des armées, mène alors une répression brutale qui tourne à la guerre civile. Pendant la guerre, qui a fait plus de 500 000 morts et a provoqué le déplacement de la moitié de la population, le dirigeant est toujours resté ferme sur ses positions. "Le régime a toujours été autoritaire et répressif. La répression n'était pas militarisée au départ, elle l'est devenue à partir de 2012. A partir de ce moment-là, les forces démocratiques qui appelaient à une transition ont été mises en marge par les factions les plus dures", relève Myriam Benraad.

Bachar al-Assad parvient aussi à écraser toute résistance par l'utilisation d'armes chimiques. Le 21 août 2013, 1 200 habitants de la Ghouta, l'un des quartiers à la pointe de la rébellion contre le régime, en banlieue de Damas, succombent par suffocation après une attaque au gaz sarin.

Cette attaque avait conduit les États-Unis, la France et le Royaume-Uni à planifier des bombardements sur des postes stratégiques pour le pouvoir avant qu'un accord de dernière minute soit finalement conlu entre Washington, Moscou et Damas.

Un régime soutenu par la Russie et l'Iran

En 2014, le groupe Etat islamique (EI), venu d'Irak, conquiert de nombreux territoires en Syrie avec notamment la prise de Raqqa, qu'il proclame comme sa capitale. Au fil des mois, une coalition internationale contre le groupe islamiste, menée par les Etats-Unis, se forme.

"En 2015, la Russie s'engage directement sur le champ de bataille aux côtés de Bachar al-Assad, qui a demandé officiellement l'aide de Moscou, reconnaissant la fatigue de son armée qui a subi plusieurs défaites, relate Le Figaro. Présente militairement en Syrie notamment grâce à sa base navale de Tartous, l'armée russe est un soutien crucial pour Damas qui va commencer à engranger des victoires importantes."

A la faveur du soutien de ses parrains iranien et russe, le chef d'Etat syrien réussit alors à reconquérir les deux tiers du territoire. En 2017, le groupe EI perd Raqqa, tandis que deux ans plus tard, le leader du mouvement, Abou Bakr al-Baghdadi, se tue avec sa veste explosive lors d'une opération des forces spéciales américaines.

Même au pic de la guerre civile, le président syrien reste imperturbable, convaincu de sa capacité à écraser une rébellion qu'il dénonce comme "terroriste" et fruit d'"un complot" ourdi par des pays ennemis pour le renverser.

Un déclin et une fuite

Néanmoins, les combattants jihadistes restent opérationnels dans certaines zones, bien qu'ils ne contrôlent plus de territoire. A la fin de l'année 2024, les rebelles, dont les jihadistes du groupe Hayat Tahrir al-Sham emmené par Abou Mohammed al-Joulani, reprennent les combats contre les forces loyalistes et l'emportent en quelques jours. Le président syrien est en fuite.

Syrie : la capitale aux mains des rebelles islamistes

"Ce qui est surprenant, c'est la dégringolade de ce qui reste de l'armée syrienne, mais aussi le retrait et la fin du soutien de ses deux alliés", l'Iran et la Russie, affirme à franceinfo le directeur du Centre d'études sur le monde arabe et méditerranéen, Hasni Abidi.

Le régime de Bachar al-Assad a "perdu ses derniers remparts, les soldats et la population, ce qui a facilité la tâche à cette opposition".  Parmi les symboles les plus forts de la chute de Damas figure la libération de la sinistre prison de Saidnaya, où furent emprisonnés, torturés et assassinés des milliers d'opposants à la dynastie al-Assad.

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