Iran affaibli, Russie dispersée, Turquie à la manœuvre : comment le contexte international a favorisé la chute de Bachar al-Assad
Damas est tombée. Les rebelles et islamistes radicaux ont annoncé la chute du président syrien Bachar al-Assad, dans la nuit du samedi 7 au dimanche 8 décembre. Après une offensive fulgurante lancée depuis le nord de la Syrie le 27 novembre, les combattants hostiles au régime se sont emparés de la capitale. Bachar al-Assad a pris "la fuite", ont-ils assuré sur Telegram, avant de proclamer la "libération" de Damas à la télévision. En moins de deux semaines, ces groupes armés ont donc mis fin à plus de cinq décennies de règne de la famille Assad.
La réussite de cette offensive éclair s'explique en partie par le contexte international. Le régime syrien est principalement soutenu par la Russie et l'Iran, tandis que les factions rebelles, dont l'Armée nationale syrienne, sont épaulées par la Turquie.
Les pourparlers entre ces trois Etats, au cours du processus dit d'Astana, avaient abouti à un cessez-le-feu en 2020, neuf ans après le début de la révolution syrienne, en 2011. "Moscou et Téhéran se sont mobilisés pour sauver le régime de Bachar al-Assad en 2015. S'il était au pouvoir depuis, ce n'était pas grâce à un Etat fort et à une adhésion de la population, mais parce que deux puissances sont intervenues directement", expose Adel Bakawan, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
L'Iran et ses alliés affaiblis
"L'évolution du contexte géopolitique fait que les rapports de force ont changé", souligne Bayram Balci, chercheur au Centre de recherches internationales de Sciences Po Paris. L'Iran et ses alliés, d'abord, sont fortement affaiblis depuis le massacre du 7-Octobre, commis par le Hamas sur le sol israélien. Le mouvement islamiste palestinien, soutenu par Téhéran, a été largement décimé par les bombardements d'Israël dans la bande de Gaza, tout comme son allié libanais, le Hezbollah, "dont 80% de la capacité militaire a été anéantie", note Adel Bakawan.
"L'Iran n'a jamais été aussi massivement attaqué par Israël qu'aujourd'hui."
Adel Bakawanà franceinfo
L'offensive syrienne a d'ailleurs été lancée le 27 novembre, jour de l'entrée en vigueur d'une trêve entre l'Etat hébreu et le Hezbollah après plus d'un an d'hostilités, qui avaient viré à la guerre ouverte en septembre. "On a d'ailleurs vu une partie des islamistes [à l'origine de l'offensive en Syrie] remercier Israël pour avoir cassé cet axe de la résistance qui leur faisait obstacle", affirme Myriam Benraad, professeure en relations internationales à l'université Schiller et autrice de Mécanique des conflits : cycles de violence et résolution.
L'Iran est également aux prises avec l'Etat hébreu. Encore fin octobre, Téhéran essuyait des frappes israéliennes, menées "en réponse à des mois d'attaques continues du régime iranien", avait déclaré Tsahal.
Sur la scène nationale enfin, Téhéran doit aussi faire face à un mouvement de contestation depuis la mort de Mahsa Amini, survenue le 16 septembre 2022 après son arrestation par la police des mœurs pour un hijab jugé "inapproprié". "Tous ces éléments font que l'Iran n'avait plus les moyens militaires et économiques pour s'engager directement" auprès de Bachar al-Assad face aux rebelles et islamistes, estime Adel Bakawan.
La Russie, empêtrée dans sa guerre avec l'Ukraine
Du côté de Moscou, le rapport de force n'était pas non plus à son avantage. "La Russie est affairée sur le front ukrainien. Elle a des moyens limités et s'est dit qu'elle n'allait pas pouvoir réagir à temps", analyse Myriam Benraad. D'après l'Observatoire syrien des droits de l'homme, une ONG qui documente la situation dans le pays, l'aviation russe est toutefois venue épauler l'armée syrienne, notamment lors des combats dans les villes d'Alep et Hama.
Mais selon une note de l'Institute for the Study of War, le 3 décembre, "la Russie a évacué des effectifs de sa base navale dans le port de Tartous, ce qui pourrait suggérer qu'elle n'a pas l'intention d'envoyer des renforts importants pour soutenir le régime du président syrien Bachar al-Assad à court terme".
"Moscou a surestimé la force du régime syrien."
Myriam Benraadà franceinfo
Ce retrait crée aussi des doutes sur la volonté du Kremlin d'intervenir. "Vladimir Poutine sait qu'il a rendez-vous avec l'histoire le 20 janvier, date de l'investiture du président américain Donald Trump, rappelle Adel Bakawan. Il sait qu'il devra négocier et mobilise donc toutes ses forces sur le front ukrainien pour avoir le plus de terrain possible au moment de l'ouverture des pourparlers."
A la place, le chef du Kremlin a joué la carte de la diplomatie en échangeant avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, auprès de qui il a insisté sur "l'importance cruciale d'une coordination étroite" entre Russie, Turquie et Iran "pour normaliser la situation en Syrie".
La Turquie, désormais "au cœur du jeu"
Car la troisième force en présence n'est autre qu'Ankara. Si la Turquie a balayé l'idée d'une "quelconque ingérence étrangère" dans l'offensive, lundi, reste que le pays est un fidèle soutien de factions rebelles. "Depuis 2011, la Turquie finance, entraîne et ouvre ses portes à l'opposition syrienne. Il y a au moins 75 à 100 000 combattants armés et financés par la Turquie" dans les rangs des rebelles, juge Adel Bakawan.
"L'avancée des [opposants] se poursuit en ce moment même. Idlib, Hama, Homs… et l'objectif, c'est Damas. Notre souhait est que cette avancée se poursuive sans incident", a déclaré le président turc pendant l'incursion, tout en appelant Bachar al-Assad à se "réconcilier avec son peuple".
"Ankara n'a pas encouragé les combattants, mais ne les a pas arrêtés non plus. C'est un soutien sur le temps long qui a payé."
Bayram Balcià franceinfo
Cette offensive est intervenue alors qu'Ankara tente depuis des mois de normaliser ses relations avec Damas, pour obtenir le retour d'une partie des trois millions de réfugiés syriens actuellement sur le sol turc. "Recep Tayyip Erdogan suppliait presque Bachar al-Assad d'accepter une discussion avec lui. Maintenant, il est au cœur du jeu", pointe Adel Bakawan.
Au Forum de Doha (Qatar), samedi, l'Iran et la Russie se sont d'ailleurs tournés vers leur camarade turc pour essayer de trouver une issue au conflit syrien. En vain, comme le formule Adel Bakawan : "La diplomatie consiste à tenter des choses, n'est-ce pas ? Mais ce qui se passe sur le terrain a largement dépassé tout le monde."
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