: Témoignage "L'impression qu’on est dans un rêve" : en Syrie, un journaliste raconte l'étrange goût de la liberté d'expression depuis la chute de Bachar al-Assad
Trois jours après le départ de Bachar al-Assad, il y a toujours des scènes de liesse à Damas, la capitale syrienne, contrôlée par le groupe rebelle Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Le monde entier reste désormais attentif à la manière dont se comportent ces troupes rebelles menées par des islamistes. L'une des preuves qu'après plusieurs décennies de dictature, la situation a clairement évolué, c'est la découverte, ces derniers jours, de la liberté d'expression pour la grande majorité des Syriens.
Parler librement, exprimer ses opinions politiques, notamment : les Syriens s'initient à la caricature, l'irrévérence, s'échangent désormais des images de Bachar al-Assad que l'on compare à un chien, que l'on place dans des situations grotesques et humiliantes. On rigole, on se moque des dignitaires du régime, on se lâche après avoir été muselé pendant plusieurs décennies.
Concrètement, cela signifie aussi que les journalistes peuvent travailler librement. C'est ce qu'explique Mohammed al Tawalbi. Ce journaliste travaille pour un média jordanien et dit avoir été arrêté pendant huit mois à cause d'un reportage qui n'a pas plu au régime de Bachar al-Assad. Il redécouvre son métier depuis quelques jours. "En tant que journaliste, je suis tellement content parce que je peux aller où je veux, prendre des images et interroger qui je veux", raconte-t-il.
"Les rebelles ne nous interdisent rien, on peut faire notre métier, alors qu'avant, sous Bachar, c'était totalement impossible."
Mohammed al Tawalbi, journaliste en Syrieà franceinfo
"Trois jours après le départ de Bachar al-Assad, j'ai toujours l'impression qu’on est dans un rêve, que ça n'est pas la réalité, j'ai du mal à réaliser, poursuit le journaliste. J'ai rencontré un journaliste tout à l'heure avec qui on discutait de ça justement, de la liberté d'expression, et on se disait qu'on était sûrement atteints du syndrome de Stockholm. C'est très étrange, on trouve ça difficile de parler librement."
La crainte d'une situation "temporaire"
Le syndrome de Stockholm est un mécanisme censé expliquer l'attachement psychologique de victimes ou d'otages envers leurs bourreaux. Le journaliste, s'il fait comprendre qu'il n'est pas facile d'être libre, a le sentiment que cette liberté d'expression s'exerce désormais en Syrie. Les habitants peuvent ainsi dire ce qu'ils pensent et aussi exprimer leurs doutes, par exemple sur la fiabilité de ces rebelles.
"Là, je ne parle pas en tant que journaliste, mais plutôt en tant que civil, ajoute Mohammed al Tawalbi. J'ai toujours peur que cette situation soit temporaire, que ce qu'on vit là ne durera qu'un temps, et que tout ça sera interdit. C'est vraiment ce que je crains. On est évidemment soulagés, heureux de vivre ça, mais je ne peux pas m'empêcher d'être inquiet, de me poser des questions."
"Je ne sais pas comment les rebelles vont se comporter avec les minorités, ils prônent un islam assez dur, donc est ce qu'ils vont nous laisser tranquilles ? Va-t-on rester libres ? Ça, je ne le sais pas."
Mohammed al Tawalbi, journaliste en Syrieà franceinfo
Après plusieurs décennies de dictature, la méfiance reste de mise. Même si, comme l'indique l'ONU mardi soir, le groupe HTS a jusqu'à présent envoyé des "messages positifs" aux Syriens. Des habitants célèbrent toujours cet événement, avec par exemple des tirs de feux d'artifice sur une colline de Damas mardi après-midi.
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