Conférence de Genève sur la Syrie: qui va négocier ?
L'émissaire spécial des Nations Unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, a refusé le 25 janvier de donner des détails sur les personnes qui seront invitées à Genève. «Les consignes du Conseil de sécurité de l'ONU» sur ces pourparlers sont d'«inclure le plus (grand nombre) possible de personnes», a-t-il dit, souhaitant notamment que des femmes et des représentants de la société civile y prennent part.
Laurent Fabius a précisé le 27 janvier que la délégation de l'opposition constituée en Arabie saoudite attendait des précisions sur les participants et l'ordre du jour pour décider si elle participait à la conférence.
Ces négociations ont pour cadre la feuille de route établie en décembre 2015 par le Conseil de sécurité de l'ONU (résolution 2254) qui prévoit notamment un cessez-le-feu, un gouvernement de transition dans les six mois et des élections dans les 18 mois.
Les parties en présence
Deux forces principales doivent théoriquement se retrouver pour négocier.
-Le pouvoir en place: il affirme vouloir jouer le jeu de la négociation de Genève. En attendant, il engrange les victoires sur le terrain grâce notamment à l'appui des Russes. Le chef de la diplomatie syrienne a souligné «la volonté de son pays de participer aux pourparlers de Genève comme prévu». Deux diplomates de haut niveau dirigeront la délégation du régime syrien aux négociations indirectes prévues à Genève. Cette délégation devrait être menée par le vice-ministre des Affaires étrangères Fayçal Moqdad et l'ambassadeur de Syrie à l'ONU, Bachar Jaafari.
Avant la conférence, Damas met comme priorité la lutte contre le terrorisme.
-L'opposition: il s'agit essentiellement de l’opposition armée adoubée par l’Arabie Saoudite. La coalition de l'opposition syrienne, la principale composante de l'opposition en exil constituée en décembre 2015 à Ryad et qui compte en son sein d'importantes factions rebelles armées, a finalement formé une délégation pour participer aux négociations.
La Coalition nationale de l'opposition (HCN) a nommé négociateur en chef Mohamed Allouche, membre du bureau politique du groupe armé rebelle Jaich al-Islam (armée de l’islam), soutenu par l'Arabie Saoudite.
«Le HCN fait l’objet d’intenses pressions diplomatiques et ne se sent plus soutenu que par ses alliés régionaux – Arabie saoudite, Qatar et Turquie – et la France. Selon un membre de l’opposition, la réunion, samedi (le 23 janvier), entre le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, et M.Hijab à Riyad, a été une catastrophe», affirme Le Monde. Les Américains auraient comme priorité la fin de l’EI, ce qui ne semble pas être celle du HCN qui s’inquière des pressions russes et est surtout intéressée par un départ d’Assad, ce qui n’est pas prévu dans le processus de l’ONU. De leur côté, les Russes estiment que le mouvement du négociateur est un mouvement terroriste… Le groupe, Jaich al-Islam, implanté dans la région de Damas, avait subi un important revers fin 2015 avec la mort de son chef.
«Jaich al-Islam appartient au Front Islamique patronné par Riyad qui unit sept mouvements salafistes dont le Ahrar al-Sham qui, lui, dépend aussi du Jund al-Malahim et qui a donc des relations avec le Front al-Nosra!», écrivait Alain Rodier, directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement dans Le Figaro.
Enfin, ajoute France 24, «l’opposition basée en Syrie et dite "tolérée" par le régime, malgré certaines arrestations, est absente. Le Comité pour le changement démocratique de Haytham al-Manaa s’est notamment retiré de la réunion, après avoir appris que le groupe Ahrar al-Sham y participerait. Sans avoir prêté allégeance à al-Qaïda, Ahrar al-Sham est un allié d’al-Nosra.» (Voir aussi notre article sur les différentes composantes de l'opposition syrienne).
D'autres représentants des oppositions auraient aussi été invités à cette conférence de Genève-3 (deux précédentes conférences n'avaient rien donné): Qadri Jamil, un ancien vice-Premier ministre qui avait été limogé en 2013 et entretient de bonnes relations avec la Russie; Haytham Manna, une figure de l'opposition qui est co-président du Conseil démocratique syrien (CDS, une alliance d'opposants kurdes et arabes, proche du PYD).
Et les Kurdes ?
Ils n’avaient pas été invités en Arabie Saoudite et de fait ils ont été exclus de la délégation «saoudienne». Mais le ministre russe des Affaires étrangères a affirmé le 26 janvier que Les Kurdes du Parti de l'union démocratique (PYD) doivent participer à la conférence de Genève. Ces négociations ne pourront pas «donner de résultat» si le principal parti kurde syrien n'est pas invité, a affirmé M.Lavrov. Il a cependant estimé que si le PYD n’était pas invité, la Russie n’imposerait pas pour autant son véto.
Le PYD est l’une des principales forces militaires présentes sur le sol syrien. Il contrôle avec ses alliés arabes des Forces démocratiques syriennes une large bande de territoire à la frontière turque. Il est aidé par les Américains et dans les combats au sol a infligé d’importantes défaites à Daech. Il est en situation de paix armée avec les forces du régime Assad.
Pour simplifier la question, la Turquie, qui a peur de toute autonomie kurde à sa frontière et a repris la guerre contre le PKK, a répété que son pays était fermement opposé à la présence du PYD dans le camp de l'opposition. Pour le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu, le PYD doit être intégré au camp pro-Bachar al-Assad. «Je trouve qu'un tel comportement d'Ankara dépasse les limites du tolérable», a estimé un responsable kurde.
Selon Sputnik, un leader du PYD, Salih Muslim, aurait été invité à Genève.
Des négociations ouvertes et longues
Prudent, le représentant de l’ONU a assuré que tout le monde pouvait venir à Genève. Détaillant le déroulement du dialogue, qui pourrait durer six mois, le diplomate prévoit une première phase d'une durée de deux à trois semaines centrée principalement sur la question d'un cessez-le-feu, la lutte contre l'organisation Etat islamique et l'accroissement de l'aide humanitaire.
Déjà l’opposition réunie dans le Haut Comité des négociations, organisation mise en place en décembre en Arabie Saoudite, a accusé la Russie et le gouvernement du président Bachar al-Assad, que Moscou soutient, d'entraver le lancement des discussions…
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