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Le combat contre les trafics d’antiquités en Irak et en Syrie: un vœu pieux?

Au niveau mondial, les trafics de biens culturels figurent parmi les plus importants du genre avec ceux de drogues et d’armes. Ces trafics d’objets, souvent issus de fouilles clandestines, sont particulièrement intenses à partir de l’Irak et de la Syrie. Comment combattre un tel fléau? Des initiatives existent, coordonnées notamment par l’Unesco.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Tablettes cunéiformes, découvertes en Irak et saisies par la douane libanaise en octobre 2008. Elles ont été introduites illégalement au Liban par des contrebandiers avec des dizaines d'autres objets antiques. (AFP - STR)
«Dans les pays qui ont un patrimoine très riche, les trafics d’antiquité ont toujours existé. Mais à partir du moment où il n’y a plus de contrôle exercé par l’Etat, les gardiens disparaissent. Et les sites, délaissés, sont investis» par les populations, explique Edouard Planche, juriste à l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco), et spécialiste de la question. Dans certains cas, des bâtiments sont construits sur ces sites, les pierres des ruines récupérées. Et l’on y entreprend des fouilles clandestines.
 
«Sur place agissent toujours des gens qui connaissent le terrain, notamment les habitants qui n’ont plus de revenus. Ensuite, le trafic est pris en charge par des réseaux de criminalité structurés», poursuit le représentant de l’organisation internationale. Dans certains cas, les clients passeraient directement commande. On s’est ainsi posé beaucoup de questions lors de «l’étrange pillage du musée de Bagdad» (Libération) en 2003. «Tout le monde s’était alors étonné que le bâtiment, qui abrite des collections exceptionnelles, ne soit pas protégé, comme l’était par exemple le ministère du Pétrole. On a soupçonné la complicité de certains militaires américains et de journalistes étrangers», raconte un connaisseur du dossier. Ces dernières années, des objets venus du pillage ont été récupérés jusqu’au Pérou.  
 
Ces trafics sont donc très organisés. En Irak et en Syrie, les objets sortent par les pays voisins: Turquie, Liban, et Israël, dans une moindre mesure. Par la suite, ils prennent la direction de Dubaï, considéré par les experts comme une plaque tournante de ce commerce frauduleux. Ils sont aussi envoyés vers la Thaïlande ou Singapour, territoire possédant un port franc. Ces deux derniers Etats, avec les Emirats arabes Unis et Israël, n'ont pas signé la convention de 1970 sur le trafic illicite des biens culturels. 
 
De là, les antiquités pillées passent sur le marché international en partant pour l’Europe (Grande-Bretagne, France…), les Etats-Unis, le Japon, la Chine, les pays du Golfe. Dans les Etats dits «émergents», certains acheteurs, qui se sont enrichis récemment, «entendent se mettre à la hauteur d’un nouveau statut social», constate Edouard Planche.


Clip de l'Unesco contre le pillage des biens culturels, 2 décembre 2014

L’Unesco à la manœuvre
Reste à voir ce qui peut être fait pour lutter contre la dispersion de patrimoines culturels inestimables. Au niveau mondial, cette lutte est menée par l’Unesco. «Nous collaborons ainsi avec les services des douanes, Interpol, les grandes maisons de ventes aux enchères. Il s’agit de les aider à mieux coordonner leurs efforts», explique Nada al Hassan, spécialiste du programme culture à l’organisation onusienne. A écouter certains, des maisons de vente aux enchères ne feraient pas toujours les efforts nécessaires...
 
Ladite organisation joue un rôle technique, mais aussi de sensibilisation et d’éducation. L’une de ses missions est ainsi de rappeler aux belligérants l’importance des monuments et des zones archéologiques, les premières mesures à prendre en cas de destruction.
 
Elle tente aussi de faire se rencontrer les parties en conflit sur la question spécifique du patrimoine et de sa protection. En novembre 2014, elle a organisé à Beyrouth une réunion, consacrée à la Syrie, regroupant des policiers et des douaniers syriens, et d’autres venus de pays voisins (Liban, Jordanie, Turquie…). Il s’agissait d’informer les participants sur les trafics. Mais aussi de faire en sorte que des acteurs de nationalités différentes puissent échanger malgré la méfiance et les tensions existant, par exemple, entre la Turquie et le régime de Bachar al Assad.
 
Bas-relief en basalte, représentant des taureaux, taillé pendant la période hittite (1420-1200 avant J.-C.). Cet objet a été découvert dans les restes d'un temple situé à l'intérieur de la forteresse d'Alep. (Reuters - Malika Brown)

En mai, l’Unesco a réuni à Paris 150 experts syriens et internationaux autour de la question spécifique du patrimoine, toujours en Syrie: archéologues, responsables de musée, universitaires… «A cette occasion, nous avons évité de publier une liste des participants car il y avait là des gens qui risquaient leur peau en venant à Paris», raconte Nada al Hassan. Des représentants des camps adverses, gouvernement et rebelles, ont ainsi pu se parler.
 
Efforts dérisoires quand on sait les ravages subis par le patrimoine culturel en Syrie et en Irak ? D’une manière générale, «nous nous efforçons d’avoir un rôle positif sur le terrain», rétorque la représentante de l’Unesco. En clair un rôle susceptible d’aboutir à des effets concrets dans ces pays en guerre. Il s’agit notamment de contribuer à la conclusion de «petits accords locaux sur des questions précises». Exemple : l’ONU tente de mettre en place un gel des combats à Alep entre forces du régime et insurgés. Le cessez-le-feu concernerait ainsi notamment la zone de la vieille ville, inscrit au Patrimoine mondial et durement touchée par la guerre.
 
Problème : si les Nations Unies discutent avec le régime Assad et les rebelles reconnus par les Occidentaux, elles n’ont apparemment pas de contact avec l’organisation de l’Etat islamique (EI). Aux dires des observateurs, celle-ci pratique le trafic des objets archéologiques pour financer ses activités. Et détruit méthodiquement le patrimoine dans les zones qu’elle occupe. A tel point qu’à l’Unesco, on n’hésite pas à parler de «nettoyage culturel», expression qui rappelle le «nettoyage ethnique» pratiqué notamment dans les années 90 dans les Balkans. «La protection du patrimoine n’est plus seulement une urgence culturelle, mais un impératif politique et de sécurité», explique l’organisation onusienne. Reste à en persuader les belligérants… 

Le patrimoine culturel mondial en Syrie menacé par le conflit

France 24, 12 février 2014

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