Comment l'offensive turque en Syrie risque de relancer une crise migratoire
Recep Tayyip Erdogan souhaite que les quelque 3,6 millions de réfugiés installés en Turquie occupent une zone tampon dans le nord-est de la Syrie. Face à l'indignation des Européens, il menace de laisser ces réfugiés partir pour l'Europe.
En moins de trois jours, l'offensive unilatérale de la Turquie contre les Kurdes du nord-est de la Syrie a déjà mis 100 000 personnes sur les routes, selon l'ONU. En réponse aux critiques de la communauté internationale sur son intervention, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a menacé d'envoyer en Europe des millions de Syriens aujourd'hui réfugiés en Turquie. Vendredi 11 octobre, le président du Conseil européen, Donald Tusk, a assuré que l'Union européenne n'accepterait pas ce "chantage".
Comment les réfugiés syriens sont-ils devenus "une arme" utilisée pour "faire chanter" l'Europe, selon les termes employés par Donald Tusk ? Franceinfo revient sur les conséquences redoutées de l'offensive turque sur les flux migratoires locaux et internationaux.
Erdogan souhaite réinstaller les réfugiés syriens dans leur pays
L'opération turque vise la principale milice kurde de Syrie, les Unités de protection du peuple (YPG), assimilées à des "terroristes" par Ankara. Si l'objectif est d'empêcher l'apparition d'une région autonome kurde non loin de sa frontière sud, l'enjeu migratoire est aussi déterminant dans la décision de la Turquie d'intervenir dans le nord de la Syrie. Selon Recep Tayyip Erdogan, cette opération militaire doit permettre la création d'une "zone de sécurité", longue de 120 kilomètres et profonde d'une trentaine de kilomètres, où les autorités turques souhaitent installer 2 des 3,6 millions de Syriens actuellement réfugiés dans le pays. Selon le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés, la Turquie est le pays qui a accueilli le plus de Syriens. En deuxième position arrive le Liban, pays de 6 millions d'habitants qui accueille 920 000 réfugiés.
Avec cette opération, la Turquie espère renvoyer ses réfugiés syriens dans le nord de la Syrie, à l'abri des bombardements du régime syrien, tout en court-circuitant les velléités séparatistes des Kurdes aux abords de ses frontières. A la place des Kurdes, la zone frontalière serait ainsi occupée par des populations arabes, essentiellement sunnites. Mais cette offensive mettra inévitablement une autre population sur les routes : les Kurdes.
L'offensive provoque un exode kurde à l'intérieur de la Syrie
Depuis le début de l'offensive turque, Ras al-Ain, Tal Abyad et d'autres villes à la frontière entre la Turquie et la Syrie ont été presque désertées par leurs habitants, provoquant une grande vague de déplacements. Les Nations unies ont chiffré à 100 000 le nombre de personnes ayant fui les bombardements pour se diriger plus à l'est, vers Hassaké, une ville épargnée par les combats. "Les civils partent de la zone [syrienne kurde]. Ils paniquent. Ils ne peuvent pas se réfugier en Turquie. Ils plient bagage mais ne savent pas où aller", rapporte Shona Bhattacharyya, l’envoyée spéciale de France 24 à Akçakale, près de la frontière turco-syrienne.
Etienne Copeaux, historien spécialiste du nationalisme turc, interrogé par la chaîne, évoque une "expulsion de masse" visant les Kurdes du nord-est de la Syrie. En février 2018, un scénario semblable s'était joué dans l’enclave kurde d’Afrin, dans le nord-ouest de la Syrie. "Autrefois placée sous protection russe, [elle] avait été livrée aux forces turques. Elles l’occupent à présent avec des milices supplétives à coloration islamiste. Après un exode massif, les habitants restés sur place continuent à subir des exactions, des rançons et des spoliations diverses aux mains des miliciens qui y tiennent désormais le haut du pavé", explique Le Monde.
La Turquie menace de renvoyer les réfugiés aux portes de l'Europe
"Si vous essayez de présenter notre opération comme une invasion, nous ouvrirons les portes et vous enverrons 3,6 millions de migrants", a tancé, mercredi, Recep Tayyip Erdogan. Une menace que les Européens ne prennent pas à la légère. "Personne n'oublie le million de réfugiés syriens qui ont déferlé sur l'Europe en 2015, avec les conséquences que l'on connaît : la montée un peu partout du populisme et des extrêmes droites", a rappelé jeudi sur France 3 le correspondant de France Télévisions au Moyen-Orient, Dominique Derda. "Depuis, l'Union européenne s'est empressée de signer un accord avec la Turquie qui stipule que la Turquie doit retenir sur son sol les réfugiés syriens en échange de 6 milliards d'euros", a-t-il expliqué.
Reste que seuls 3 milliards d'euros ont été versés pour le moment, poussant la Turquie à régulièrement remettre en cause ce deal économique. Le flux de migrants depuis la Turquie vers l'Europe s'est toutefois considérablement tari depuis la conclusion de cet accord, en 2016, entre Ankara et l'Union européenne.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.