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Proche-Orient: l'humour, une arme contre Daech

Depuis l'apparition d'Etat islamique en Syrie et en Irak, le monde arabe s'est emparé de l'humour pour combattre l'organisation djihadiste. Ses partisans entendent terroriser le monde notamment à coups de vidéos montrant des exécutions plus violentes les unes que les autres. De leur côté, des humoristes arabes s'amusent à les parodier pour prouver qu'ils n'ont pas peur.
Article rédigé par Amira Bouziri
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Capture d'écran d'«Al Basheer Show» sur Youtube  (DR)

Un show à l'irakienne
Ahmad al-Basheer, ancien journaliste irakien, a survécu à un attentat en 2011. Cet événement l'a décidé à quitter son pays, après la mort de son meilleur ami, de son père et de son frère. Installé en Jordanie, Ahmad al-Basheer est, depuis, devenu une star. Comme dans un divertissement à l'américaine, le présentateur d'«Al-Basheer show» débite des blagues, assis derrière un bureau, et prend pour cibles l'actualité irakienne. L'émission satirique est rythmée de sketchs et le présentateur pousse même parfois la chansonnette. Chaque semaine, des millions de téléspectateurs irakiens se pressent devant les écrans pour voir Ahmad al-Basheer ridiculiser, entre autres, les combattants de Daech.
 

Interrogé par l'AFP, il explique : «Les armes ne sont pas la meilleure solution. Nous combattons l'EI avec notre comédie satirique.» Un de ses sketchs les plus célèbres met en scène un comédien barbu qui présente un one-man-show. A ses côtés, un autre barbu avec une kalachnikov, est sommé de tirer sur les spectateurs qui refusent de rire à leurs blagues. Exemple: «Savez-vous quel est le nom de la première personne qui s'est fait exploser et qui s'est retrouvée au paradis ? Il s'appelait Boum». L'un des spectateurs éclate de rire. On lui demande de se lever et on l'abat d'une rafale. «Ceci n'était pas une blague. C'était un test. Est-ce que la mort d'un frère vous fait rire ?», commente l'animateur islamiste.
 
Habitué aux menaces de mort, Ahmad al-Basheer n'a qu'une motivation : «Nous essayons tout simplement de faire rire les Irakiens et leur permettre d'oublier leurs malheurs».
 
Le cardiologue égyptien qui fait mourir de rire
En 2011, Bassem Youssef est devenu la star du printemps égyptien. Pendant cette période, ce chirurgien cardiologue soignait les civils blessés avant de contribuer à la nouvelle liberté d'expression en se moquant du pouvoir en place. A l'époque, Bassem Youssef avait sa propre émission satirique sur la chaîne saoudienne MBC. Dans «El Bernameg» («Le Programme»), il décortiquait l'actualité et se moquait ouvertement de l'ancien président islamiste Morsi et des Frères musulmans puis, par la suite, de l'actuel gouvernement Al Sissi. Devenue une idole au Moyen-Orient, il a annoncé lui-même, en juin 2014, l'arrêt de son émission, regardée par des millions de téléspectateurs.
 

Pour Bassem Youssef, la situation de l'Egypte ne lui permet plus de s'exprimer librement, évoquant de nombreuses pressions sur lui et sur la chaîne. S'il n'a pas eu l'occasion de se moquer de Daech lors de son émission qui s'est arrêté trop tôt, il s'est rattrapé sur une tribune qu'il a écrite pour le Huffington Post. «Il faut vraiment s'inquiéter lorsque Ayman Al-Zawahiri, chef d'Al Qaida, regarde ce que fait Daech et dit "Oh mec, c'est quand même un peu extrême!"», écrit-il avant de se demander, «Pourquoi les musulmans devraient s'excuser pour l'Etat islamique? L'Occident n'a jamais eu à s'excuser pour les Kardashian 
 
L'ancien animateur termine sa tribune plus sérieusement en affirmant que Daech «est un groupe féroce qui devrait être éliminé» tout en estimant qu'ils représentent «la laideur du monde tel qu'il l'a toujours été». Ces propos gardent le même ton irrévérencieux qui manque aux Egyptiens depuis que Bassem Youssef a quitté la télévision. Cette année, il a refait une apparition dans l'émission de son homologue américain Jon Stewart sur le «Daily Show» en février 2015 et a enseigné à l'université de Harvard pendant un semestre. Mais on ne sait pas s'il reprendra, un jour, les rênes d'une émission.


 
Un Syrien qui prend tous les risques
Un groupe de jeunes humoristes syriens prennent pour cible Bachar al-Assad et l'Etat islamique dans des vidéos qu'ils postent sur le web depuis juin 2013. Maen Watfe, l'un des fondateurs de ce groupe, a expliqué son parcours au site des Observateurs de France 24. Après avoir été emprisonné et torturé par le régime syrien, Maen s'est réfugié en Turquie avec des amis. Pour continuer à soutenir la révolution syrienne, lui et ses amis ont pensé à l'humour : «Y'a-t-il meilleur moyen pour lutter contre la terreur?», déclare-t-il à France 24.
 
La tâche n'est pas facile pour eux qui vivent à quelques kilomètres de la frontière syrienne. Cibles de nombreuses menaces de mort, ils doivent prendre des précautions pour ne pas être tués. Dans la vidéo ci-dessous, Maen Watfe joue le rôle d'un émir de Daech qui boit de l'alcool, fume et envoie des selfies tout en écoutant de la musique pop. Lorsque un jeune Marocain approche, il cache son verre, change la musique et lui tend des explosifs pour qu'il aille mourir en martyr à Jérusalem. L'humoriste syrien explique son intention : «Nous voulions dénoncer à travers ce clip toute l'hypocrisie des chefs de l'EI et le lavage de cerveau qu'ils font subir aux jeunes.»


Humour noir à la saoudienne
«Selfie», c'était la série phare du mois de ramadan 2015 de la chaîne saoudienne MBC. Elle se moque de Daech tout en ayant recours à l'humour noir pour aborder les atrocités de l'organisation terroriste. Le scénariste, Khalaf al-Harbi, a expliqué à Associated Press : «Ce qui arrive (au Moyen-Orient) est bien plus sombre (que la série). Peut-être que je suis un peu pessimiste, et j'espère que je me trompe mais je ne pense pas.» Dans l'un des épisodes de la série, un père saoudien rejoint la Syrie et Daech dans l'espoir de retrouver son fils, embrigadé. Là, dans un marché de femmes, un combattant de l'EI choisit, sans le vouloir, un homme –habillé en femme- pour l'épouser.
 
Plus tard, le personnage principal va protester contre le mariage imposé par Daech à des enfants. A ses yeux, il s'agit d'un péché. Un chef extrémiste lui répond: «Dieu nous pardonne». Le comédien saoudien Nasser al-Qasabi, qui interprète plusieurs personnages pour raconter les différentes facettes d'Etat islamique, a dû faire face à de multiples menaces de mort. Au site d'information Al Arabiya, il réplique: «Informer les gens sur les actions de l'Etat islamique est le vrai djihad, parce que nous nous battons contre eux avec notre art et non par la guerre.»


Tous ces artistes du monde arabe se rassemblent derrière le même combat: celui de détruire l'image de l'organisation terroriste par l'humour. En ridiculisant ses militants, en montrant que, malgré l'apparence de surhommes qu'ils veulent se donner, ils restent des humains comme les autres.
 
«La liberté de se moquer»
Ailleurs, aux Etats-Unis, la célèbre émission comique «Saturday Night Live» s'était aussi emparé du sujet. Joué par Dakota Jackson, ce sketch, qui se moque du recrutement des jeunes par Daech, a fait polémique. Il montre une jeune femme se faire déposer à l'aéroport par son père, ému de la voir partir. On comprend qu'elle part à l'université jusqu'à ce qu'une Jeep arrive en trombe sur le parking, conduite par des djihadistes de l'EI.


Beaucoup d'internautes ont estimé que le sketch allait trop loin, mais l'acteur qui joue le rôle du djihadiste se défend sur Twitter : «La liberté de se moquer est notre plus grande arme.» Faites de l'humour, pas la guerre.

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