Syrie: quand les hommes d'Eglise deviennent des cibles
Frans van der Lugt, 75 ans, considérait la Syrie comme sa patrie et ne voulait pas la quitter. «Le peuple syrien m'a tant donné, tant de gentillesse, tant d'inspiration, et tout ce que je possède. Maintenant qu'il souffre, je dois partager sa peine et ses difficultés», avait-il déclaré en février 2014, dans une interwiew réalisée par l'APF sur Skype.
Le père Frans avait alors lancé un appel à l'aide internationale, assurant que la situation à Homs était devenue «intolérable»: «Je suis le seul prêtre et le seul étranger à être resté. Mais je ne me sens pas comme un étranger, mais comme un Arabe parmi les Arabes», disait-il. «Nous avons très très peu à manger. Les gens dans la rue ont le visage fatigué et jaune (...). C'est la famine ici, mais les gens ont également soif d'une vie normale. L'être humain n'est pas seulement un estomac, il a aussi un cœur, et les gens ont besoin de voir leurs proches», ajoutait-il.
Quelques jours plus tard, 1.400 personnes ont été évacuées de la vieille ville en vertu d'un accord négocié par l'ONU entre le régime et les rebelles qui contrôlent cette zone. Mais lui avait choisi de rester dans le quartier chrétien de Homs bombardé et assiégé par les troupes de Bachar al-Assad depuis deux ans. «Je ne vois pas les gens comme des musulmans ou des chrétiens , je vois d'abord un être humain», avait expliqué le prêtre avant cette évacuation.
Le religieux avait fait une description apocalyptique au Daily Telegraph des conditions de vie des derniers chrétiens de Homs: «Notre ville est devenue une véritable jungle. Nous faisons de notre mieux pour agir fraternellement, de manière à ne pas nous retourner les uns contre les autres à cause de la faim.» «Les enfants sont ceux qui souffrent le plus. Les mères ne peuvent plus allaiter car elles sont trop faibles. Nous cherchons partout du lait, et quand nous en trouvons, nous le coupons avec de l’eau», avait-il ajouté.
Installé en Syrie depuis 1966, le père Frans raconte également que la vieille ville abritait autrefois quelque 60.000 chrétiens et que les zones actuellement assiégées regroupaient une dizaine d'églises. «Aujourd'hui, en dehors de moi, il ne reste plus que 66 chrétiens».
Rappelant que le prêtre hollandais «avait dénoncé récemment l'intolérable situation de souffrance à Homs, où la population est menacée de mourir de faim», le préfet de la Congrégation vaticane pour les Eglises orientales, Leonardo Sandri, a lancé un nouvel appel «pour que la conscience des parties en conflit et de la communauté internationale se réveille». «Nous pensons aux évêques, prêtres et simples citoyens enlevés», a ajouté Mgr Sandri.
Paolo Dall 'Oglio porté disparu
Depuis le 29 juillet 2013, on est sans nouvelles d'un prête jésuite italien de 59 ans, Paolo Dall 'Oglio, disparu à Raqa dans le nord de la Syrie. Alors que des nouvelles contradictoires ont circulé sur le sort de ce religieux, aucune revendication, ni preuve de vie n’ont filtré, huit mois après sa disparition.
Ce militant du dialogue islamo-chrétien a vécu 30 ans en Syrie avant d’être expulsé en juin 2012 par les autorités syriennes qui lui reprochaient d’avoir apporté son soutien aux opposants du régime du président Bachar al-Assad. Ses positions tranchées n’ont pas toujours été vues d’un bon œil au Vatican, car jugées imprudentes. Dans les années 80, il avait fondé de la communauté du monastère cyriaque-catholique de Mar Moussa, au nord de Damas.
La guerre en Syrie a rallumé la question sur le sort des chrétiens d’Orient et le risque d'émigration massive qui résulte de la poussée islamiste dans la foulée des révoltes arabes. Les chrétiens syriens représentent 5% des 22 millions d’habitants du pays et 10% de la population d'Alep (nord).
A Rome, le pape François, lui-même jésuite, a récemment reçu le nonce apostolique de Damas, Mario Zenari, le chargeant de «se faire l'interprète de sa proximité auprès de toute la population qui souffre», selon Radio Vatican. Depuis le début du conflit en mars 2011, plus de 150.000 personnes ont été tuées en Syrie, selon l'OSDH, et plus de 9 millions forcées à quitter leurs foyers, d'après l'ONU.
Selon le témoignage de confrères, le père Frans a été «enlevé par deux hommes armés qui l'ont battu et puis l'ont tué de deux balles dans la tête», a indiqué Federico Lombardi, porte-parole du Vatican. «C'est ainsi que meurt un homme de paix qui, avec un grand courage, a voulu rester fidèle, dans une situation extrêmement risquée et difficile, à ce peuple syrien à qui il avait donné depuis longtemps sa vie et son assistance spirituelle», a ajouté le père Lombardi, jésuite lui aussi.
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