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Erdogan, l'homme qui divise la Turquie

Dimanche, les Turcs voteront par référendum pour ou contre une réforme constitutionnelle visant à renforcer les pouvoirs du chef de l’État. Le scrutin, à l’issue incertaine, divise le pays entre pro et anti-Erdogan.

Article rédigé par Franck Mathevon
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le scrutin de dimanche pourrait être déterminant pour l'avenir du pays, divisé entre pro et anti-Erdogan. (ADEM ALTAN / AFP)

La Turquie va-t-elle donner encore davantage de pouvoirs à son président, Recep Tayip Erdogan ? Après-demain, le pays vote par référendum pour ou contre une réforme constitutionnelle qui vise à renforcer les pouvoirs du chef de l’État. Le scrutin, à l’issue incertaine, divise profondément le pays, fracturé en pro et anti-Erdogan.

Erdogan, l'homme qui divise la Turquie - Franck Mathevon

Les supporters d’Erdogan sont de loin les plus visibles : le "oui" est omniprésent dans les rues d’Istanbul et les soutiens du président turc tiennent des stands partout en ville. Dans le quartier de Besiktas, une militante harangue les passants. Voilée et vêtue d’un T-shirt à l’effigie d’Erdogan, elle appelle à voter "oui", "evet" en turc.

Beaucoup soutiennent sincèrement Erdogan

"Erdogan est un leader fort, l’un des meilleurs représentants de la Turquie depuis le début de la république", assure Ismael Yil-dirim. "Que ce soit au niveau de l’économie ou des relations internationales, c’est un grand leader, poursuit ce responsable local de l’AKP, le parti du président. Grâce à notre président, nous vivons une période de stabilité depuis quinze ans. Pour que cela continue ainsi, nous votons "oui" au référendum."

À Besiktas, la sono des bus crachent des chansons à la gloire d’Erdogan. La propagande fait son office mais beaucoup de Turcs soutiennent sincèrement leur président, voyant en lui un homme du peuple, un homme pieux, qui a rendu leur dignité aux conservateurs face aux élites laïques. Ils applaudissent par ailleurs les progrès économiques, même si la crise semble guetter le pays.

Les anti-Erdogan peinent à faire entendre leur voix

En face, les anti-Erdogan ont du mal à se faire entendre et les supporters du "non" au référendum sont bien plus discrets. Dans ce quartier de Besiktas, on assiste à une scène étonnante, kafkaïenne : le parti de gauche HDP, pro-kurde, partisan du "non", tient un stand entouré de barrières de sécurité et dont l’accès est surveillé par la police. Il est donc impossible pour ces militants de rencontrer le public.

"Il est très difficile de faire campagne pour le "non", déplore Kivanche Elian-chik, l’un des dirigeants du HDP. On peut même dire que c’est presque interdit. Depuis quelques mois, nous ne vivons plus dans une république. Un seul homme décide de tout : ce n’est plus une démocratie parlementaire." Dictateur, un grand mot ? Certes, selon lui. Et pourtant : "Erdogan dicte tout, veut tout contrôler. Tout : des partis politiques aux ONG, des feuilletons télévisés aux clubs de sport. Donc c’est une dictature..."

La répression est féroce

Ce militant est courageux : 6 000 membres du HDP, dont treize députés, y compris le chef de file du parti), sont actuellement en prison et certains sont poursuivis pour avoir tenu des propos similaires.

La répression du régime est féroce depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet dernier : les ONG évoquent 47 000 arrestations, 137 000 fonctionnaires licenciés depuis cet été. Erdogan vise surtout les soutiens du Fetullah Gulen, ce prédicateur exilé aux États-Unis accusé d’avoir fomenté le coup d’État, mais la répression touche tous les opposants ainsi que les médias et l’état d’urgence en vigueur permet aux autorités d’avoir la main lourde.

90% de la population a été muselée

La peur s’est emparée de la Turquie, selon Hussein Boatekin : "Les gens ne parlent plus aujourd’hui en Turquie, affirme cet avocat spécialiste des droits de l’homme. Ils ne partagent plus leurs opinions sur les réseaux sociaux, ne sortent plus dans la rue pour manifester. 90% de la population a été muselée." Depuis la tentative de coup d’Etat, la situation s’est dégradée : "Les droits de l’homme sont bafoués et cela a empiré depuis l’instauration de l’état d’urgence, poursuit Hussein Boatekin. Il n’est plus question désormais de droits fondamentaux et avec ce référendum, cet état de fait sera légalement entériné." 

La victoire du "non" pourrait braquer Erdogan 

La réforme renforcerait en effet considérablement les pouvoirs d’Erdogan, qui pourrait gouverner par décrets et sans Premier ministre, dont la fonction disparaîtrait. Pour Mine Kirikkanat, éditorialiste au Cumhurryiet, un quotidien dont onze journalistes sont actuellement en prison, une victoire du "non" est essentielle.

"Le "non" serait le début de la fin de l’ère Erdogan, estime Mine Kirikkanat. Parce que son gouvernement, sa force, tout cela, ne sont qu’un ballon. Et le "non" serait l’aiguille qui fera éclater ce ballon. Les Turcs, alors, cesseront d’avoir peur. Et quand un peuple cesse d’avoir peur, c’est très dangereux pour celui qui gouverne avec la peur." Mais d’autres pensent au contraire qu’une victoire du "non" pourrait braquer Erdogan, accentuer les tensions et ouvrir une nouvelle période d’instabilité en Turquie.

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