Turquie : avec le blocage de Twitter, Erdogan se tire une balle dans le pied
Le site est en partie inaccessible dans le pays depuis vendredi, en représailles à la diffusion sur les réseaux sociaux d'enregistrements mettant en cause le Premier ministre dans un scandale de corruption.
Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre turc, a mis sa menace à exécution : jeudi 20 mars au soir, il a interdit Twitter, qui compte plus de dix millions d'abonnés dans le pays. La veille, le chef du gouvernement conservateur avait déjà menacé le réseau social, coupable de diffuser des enregistrements d'écoutes téléphoniques le mettant en cause dans un scandale de corruption, à l'origine de manifestations houleuses.
Vendredi matin, l'accès au réseau était donc impossible sur une partie des téléphones portables du pays. Cette décision du gouvernement a provoqué de nombreuses réactions outrées. Certes, il s'agit d'une démonstration de force, à dix jours du scrutin municipal du 30 mars. Mais censurer les réseaux sociaux peut être contre-productif pour le régime.
Il pousse les internautes à contourner la censure
"Dans les trois heures qui ont suivi l’interdiction, en effet, plus de 2,5 millions de tweets ont été postés, c’est-à-dire 50% de plus que durant une pleine journée en moyenne", relève RFI. Comment ? Il suffisait de suivre les instructions de Twitter. Le site lui-même a publié un message "expliquant la méthode à suivre pour envoyer des messages sur le réseau social grâce aux SMS", rapporte Numerama, qui note que l'astuce "circule évidemment ailleurs [que sur Twitter], sous d'autres formats".
Turkish users: you can send Tweets using SMS. Avea and Vodafone text START to 2444. Turkcell text START to 2555.
— Policy (@policy) March 20, 2014
D'autres "arrivent à contourner le blocage via des serveurs proxy et des réseaux VPN", indique 20minutes.fr.
Il alimente la colère des opposants
Un dirigeant du Parti républicain du peuple (CHP), principale formation d'opposition, a déclaré que son parti allait exercer un recours en justice contre le blocage de Twitter et déposer une plainte contre Recep Tayyip Erdogan pour violation des libertés individuelles. "Twitter n'a même pas été interdit en Syrie alors que ce pays est en guerre depuis trois ans", a déclaré le député du CHP Aykan Erdemi. Selon lui, "la Turquie fait désormais partie des pays les plus autoritaires en matière de liberté sur le net". L'Association des avocats de Turquie a également déposé un recours.
Des rassemblements ont été annoncés pour ce vendredi à Ankara, Istanbul et Izmir, pour protester contre le gouvernement et dénoncer, entre autres, cette mesure.
Il s'attire les critiques du président turc
Le président de la République, Abdullah Gül, adepte des réseaux sociaux, a lui-même réagi sur Twitter. "Les réseaux sociaux ne peuvent être complètement fermés", écrit-il vendredi. Et d'ajouter : "J'espère que cette pratique ne durera pas trop longtemps."
Sosyal medya platformlarının tamamen kapatılması tasvip edilemez.
— Abdullah Gül (@cbabdullahgul) March 21, 2014
Umarım bu uygulama uzun sürmez.
— Abdullah Gül (@cbabdullahgul) March 21, 2014
Il se met la communauté internationale à dos
"Je me moque de ce que pourra dire la communauté internationale", a prévenu Erdogan jeudi devant des milliers de partisans, lors d'un rassemblement électoral. "Ils verront alors la force de la Turquie."
Les réactions indignées ne se sont pas fait attendre, vendredi. La commissaire européenne en charge des Nouvelles technologies, Neelie Kroes, a vivement dénoncé, sur Twitter, l'annonce du Premier ministre turc. "L'interdiction de Twitter en Turquie est sans fondement, inutile et lâche, a-t-elle affirmé. Le peuple turc et la communauté internationale verront cela comme de la censure. Ce qui est bien le cas."
The Twitter ban in #Turkey is groundless, pointless, cowardly. Turkish people and intl community will see this as censorship. It is.
— Neelie Kroes (@NeelieKroesEU) 20 Mars 2014
D'autant que ces déclarations d'Erdogan contre les réseaux sociaux interviennent après le vote d'une loi renforçant le contrôle d'internet. Un texte qui avait déjà été dénoncé comme "liberticide" en Turquie comme dans plusieurs capitales étrangères, notamment à Bruxelles et à Washington.
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