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Turquie : trois mois après le putsch, l'économie marque le pas

Trois mois après le putsch avorté en Turquie, le pays devrait décider mercredi 19 octobre de reconduire l'état d'urgence. Le président Erdogan bénéficie toujours du soutien d'une grande partie des Turcs, pour qui il a réussi à redresser l'économie du pays.

Article rédigé par Alice Serrano
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le drapeau turc s'affiche partout dans le quartier de Kasimpasa en soutien à Erdogan. (ALICE SERRANO / RADIO FRANCE)

La Turquie devrait reconduire mercredi 19 octobre, l'état d'urgence instauré après le putsch manqué du 15 juillet dernier et ses 270 victimes. Grâce à un fort soutien populaire, le président turc est parvenu à se maintenir au pouvoir et a lancé une véritable chasse aux sorcières à l'encontre des gulénistes, cette communauté musulmane conservatrice, accusée d'être derrière le coup d'État. Depuis juillet, 30 000 personnes ont été arrêtées, plus de 90 000 fonctionnaires mis à pied.

Pour autant, Recep Tayyip Erdogan bénéficie toujours du soutien indéfectible d'une grande partie de la population turque. Notamment parce que, depuis son arrivée au pouvoir en tant que Premier ministre en 2003, puis au poste de président en 2014, Erdogan a réussi à redresser l'économie du pays.

Istanbul, vitrine de la fierté turque

Dernière réalisation pharaonique en date : un troisième pont sur le Bosphore. "C'est un rêve centenaire qu'il est le seul à avoir pu accomplir !" commente Erdel, chauffeur de taxi. Un Stambouliote particulièrement fier de tous ces chantiers et de cette Turquie qui s'affiche en nouvelle puissance économique. "Dans ce pays, il y a des attentats tous les jours, il y a eu une tentative de coup d'État il n'y a pas longtemps... Et pourtant, l'euro et le dollar n'ont pas explosé face à la livre turque. Cela prouve qu'Erdogan a réussi à gagner la confiance", explique Erdel.

Erdogan, c'est notre Mitterrand, c'est notre grande figure nationale

Erdel, chauffeur de taxi

Cheveux en bataille, cigarette aux lèvres, ce quadragénaire confie qu'il votait traditionnellement pour l'extrême droite. Désormais, il donne sa voix à Erdogan. "Erdogan, c'est un grand président et je ne vois pas qui pourrait le remplacer. S'il n'avait pas été au pouvoir ces dix dernières années, on ne connaîtrait pas une aussi bonne situation économique que celle d'aujourd'hui. Il vient du peuple et connaît les besoins du peuple, c'est pour ça qu'il sait répondre à ses attentes."

Les chiffres le confirment : depuis 15 ans, l'économie du pays est florissante, 40% de croissance entre 2002 et 2008.

La prospérité, synonyme de fierté retrouvée

 Alim tient une droguerie dans le quartier populaire de Kasimpasa, où a grandi le président Erdogan. "Cela fait 35 ans que je travaille. La période actuelle de prospérité, je ne l'ai jamais connue. Avant, il y avait des crises économiques à répétition. Dès qu'on avait un peu d'argent, on le changeait en dollar ou en or. Erdogan a mis fin à tout cela ! Il y a 15 ans, la Turquie quémandait de l'argent au FMI, maintenant c'est fini ! Si on continue comme ça, dans dix ans, on sera l'un des pays les plus puissants au monde !"

La stabilité économique de la Turquie est liée aux réformes imposées par le FMI. Aujourd'hui, Erdogan surfe sur ce bilan, sur cette fierté retrouvée, symbolisée par les drapeaux rouges qui s'affichent un peu partout dans la ville, aux balcons, sur les façades des bâtiments publics. Ce drapeau, Mozafer l'a accroché à la devanture de son magasin de vêtements. Le septuagénaire a le sentiment de compter à nouveau. "Dans les années 70-80, je n'avais pas assez d'argent pour me faire soigner à l'hôpital, du coup je n'y allais pas. Grâce à Erdogan, ma femme qui était mourante a pu se faire soigner, elle peut même se rendre plusieurs fois par semaine à l'hôpital gratuitement."

Erdogan a en effet beaucoup œuvré pour les plus démunis en leur ouvrant l'accès aux soins. En dix ans, le produit intérieur brut (PIB) par habitant a été multiplié par trois et atteint désormais 10 000 dollars. Des milliers de personnes sont sorties de la pauvreté.

Les touristes ont déserté Sultanahmet

Mais ce bon bilan économique est terni depuis un an. Par les attentats, par l'embargo russe en vigueur depuis que l'armée turque a abattu un avion de chasse russe à la frontière syrienne fin 2015, et surtout par les purges liées au putsch manqué de l'été dernier.

Aujourd'hui, le tourisme est la première victime d'une économie en souffrance. Sedat est restaurateur : "Vous voyez toutes ces tables, normalement, à midi, elles devraient être pleines. En dix ans c'est la première fois que je les vois vides."

Le plus embêtant pour nous, c'est d'avoir perdu ces touristes des navires de croisière qui ne font plus de halte à Istanbul

Sedat, restaurateur

Les Européens et les Russes ont déserté les rues de Sultanahmet, le quartier touristique d'Istanbul, à deux pas de la Mosquée bleue. D'ordinaire, en cette saison, il grouille de monde. Siname a lui aussi la mine sombre : "La situation est très mauvaise. On a perdu 70% de notre chiffre d'affaire en un an, à cause de la politique de notre président qui nourrit ce vieux fantasme de dictateur, celui de faire revivre l'Empire ottoman."

Les terrasses restent vides dans le quartier touristique de Sultanahmet à Istanbul. (ALICE SERRANO / RADIO FRANCE)

Ce genre de critique est plutôt rare en ce moment dans les rues d'Istanbul. Mais la situation est tellement catastrophique que les commerces les plus fragiles commencent à fermer.

Des prévisions de croissance à la baisse

L'impact de ce tourisme en souffrance est loin d'être anecdotique, prévient l'économiste Ahmet Insel : "Le tourisme est très important. La balance commerciale turque est structurellement déficitaire, c'est-à-dire que les exportations couvrent 60% seulement des importations. La différence est en grande partie comblée par le tourisme. Si le tourisme ne parvient plus à combler cette différence, l'économie turque entrera dans le cycle infernal augmentation des taux d'intérêt, augmentation du niveau d'endettement du pays, etc."

Les purges en cours dans les milieux d'affaires n'arrangent rien. L'agence de notation Moody's a d'ailleurs abaissé la note du pays, provoquant l'ire d'Erdogan. La Turquie s'attend, l'an prochain, à une croissance de 2%, deux fois moins élevée que prévu. Mais "le président turc est pragmatique, prévient Ahmet Insel, et pourrait rectifier le tir avant la prochaine échéance électorale."

Après les purges, la fin du boom économique turc ? Le reportage d'Alice Serrano.

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