Turquie: une économie de plus en plus fragilisée par l'insécurité
Après avoir cassé la baraque depuis l'arrivée au pouvoir en 2002 de l'AKP, le parti islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan, et avoir été longtemps la favorite des investisseurs, voici la Turquie sous la menace de dégradations durables de son économie.
Du miracle au mirage économique
Pendant près de dix ans, le pays de 76 millions d'habitants a été présenté comme un modèle parmi les pays émergents. Il lui est même arrivé d'afficher un taux de croissance proche des 10%, «à la chinoise». A l'issue du krach de 2008/2009, la Turquie s'est aussi vite et bien rétablie, faisant preuve d'une résilience spectaculaire. Mais la machine s'est grippée et aujourd'hui, rares sont les indices économiques satisfaisants.
Le frôlement de la croissance à deux chiffres n'est désormais plus qu'un souvenir. La Turquie avait tablé sur une progression de 4% en 2015 mais la plupart des experts ont ramené la perspective de croissance annuelle à 2,2%.
Du côté de l'inflation, les chiffres ont grimpé plus que prévu pour atteindre 8% en septembre 2015, ce qui mine le pouvoir d'achat. Les prix de l'immobilier grimpent, quant à eux, deux fois plus vite que les salaires.
S'agissant de la monnaie, la livre turque, attaquée sur les marchés, elle aligne ses plus bas face au dollar (en baisse de 20% depuis janvier 2015). Une situation qui renchérit le prix des importations des matières premières, en particulier le pétrole dont la Turquie est très dépendante.
Le tourisme en forte baisse
Autre préoccupation: la chute de l'activité touristique. Au cours du seul deuxième trimestre de l’année 2015, la baisse des revenus du tourisme a atteint 13,8 %, selon l’Institut turc de la statistique. Un revers pour la Turquie, sixième destination touristique du monde, qui a accueilli près de 40 millions de personnes en 2014. Premier contingent de touristes en Turquie, les Russes, eux-mêmes affectés par le ralentissement de leur économie, n’ont été que 1.45 million à passer leurs vacances dans ce pays cette année, contre 2 millions en 2014. Il est clair que l'insécurité aussi nuit au tourisme qui, en Turquie, pèse 30 milliards de dollars, soit 3% du PIB.
Enfin, le chômage atteint 9,3% de la population active au premier semestrre 2015, tandis que chez les jeunes de moins de 25 ans, le chiffre passe à 18,5%.
Autant de clignotants orange-rouge à trois semaines de nouvelles élections parlementaires. L'absence d'accord de gouvernement à l'issue des législatives de juin 2015, marquées à la fois par la perte de la majorité absolue pour l'AKP, le Parti de la justice et du développement, et la poussée, avec 13% des voix, du parti kurde HDP, a en effet permis au pouvoir d'organiser à nouveau un scrutin le 1er novembre, quitte à entretenir une incertitude politique. A l'heure qu'il est, rien n'indique d'ailleurs que l'issue du prochain scrutin sera plus nette que lors des résultats du 7 juin.
La dérive autoritaire du pouvoir rebute les investisseurs
Recep Tayyip Erdogan devenu président de la Turquie en 2014, après avoir été longtemps son Premier ministre, concentre tous les pouvoirs: exécutif, législatif et judiciaire. Jusqu'à peu, les investisseurs se satisfaisaient de la politique pro-marché, dynamique et libérale de la Turquie sans trop se soucier de son conservatisme souvent liberticide. L'essentiel du développement de la patrie fondée par Mustapha Kemal repose d'ailleurs sur cet argent venu de l'extérieur qui a encouragé la consommation des ménages.
Mais aujourd'hui, le pouvoir de plus en plus démonstratif dans son autorité fait peur aux investisseurs étrangers. Le renoncement de ces derniers porterait un coup sévère à l'économie turque tout entière.
«Nous avons clairement un problème de confiance» de leur part, analyse Sylvain Bellefontaine, économiste à la BNP Paribas, spécialiste de la Turquie, interrogé par La Tribune. «Dans sa guerre contre le terrorisme, on a l'impression que Ankara dépense plus d'énergie à attaquer les rebelles kurdes du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) qu'à combattre Daech à la frontière turco-syrienne, poursuit-il. Erdogan s'est lancé dans un processus de la terreur pour regagner les élections de novembre. Et c'est tout ce contexte qui contribue à la dépréciation de la devise et au ralentissement de l'économie.»
Dès 2014, un analyste de Morgan Stanley, friand de néo-appellations, classait déjà la Turquie parmi les «Cinq Fragiles», aux côtés du Brésil, de l'Inde, de l'Indonésie et de l'Afrique du Sud.
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