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Dorothea Lange : des clichés inédits qui montrent l'internement des Américains d'origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale

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Article rédigé par franceinfo - Aude Lambert
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Une série inédite de clichés présentés dans l’exposition "Dorothea Lange, Politiques du visible", à Paris retrace une période sombre des Etats-Unis durant la Seconde Guerre mondiale, l’internement de plus de 110 000 Américains d’origine japonaise dans des camps aux Etats-Unis.

C’est un portrait marquant de deux jeunes enfants. Ils se tiennent droits, une étiquette en papier est accrochée autour de leur cou. La légende indique Enfants japonais portant des étiquettes d’identification, Hayward, California, 8 mai 1942. Prise par la photographe américaine Dorothea Lange, l’image illustre le recensement de milliers de familles américaines d’origine japonaises avant leur internement dans des camps de détention sur le sol américain. Une facette moins exposée du travail de Dorothea Lange, surtout connue pour son célèbre portait Migrant Mother.

Le 7 décembre 1941, la base navale de Pearl Harbor est attaquée, sans déclaration de guerre, par le Japon. Les Etats-Unis entrent en guerre. Quelques mois plus tard, le 19 février 1942, par crainte d’opérations de sabotage et d’espionnage sur le territoire, le président Roosevelt signe un décret qui établit des "zones militaires" d’exclusion pour certaines personnes. Victimes de racisme et désormais suspects aux yeux des autorités, les citoyens Nippo-Américains vont être "évacués" sans chef d’accusation, ni procès, et "relocalisés" dans dix camps situés dans plusieurs Etats. Certains y vivront jusqu'à la fin de la guerre.

Dorothea Lange embauchée par l'armée

Dans ce contexte, l’agence fédérale chargée des opérations d’expulsion, la War Relocation Authority (WRA), va alors embaucher Dorothea Lange pour constituer des archives. "A partir de mars 1942, Dorothea Lange va photographier tout le processus d’internement et suivre chacune des étapes", explique la commissaire du Jeu de Paume, Pia Viewing.

Toutes ces personnes ont dû quitter leur quartier, leur commerce, leur ferme. Vendre leurs maisons à des prix très bas, c’était scandaleux.

Pia Viewing, commissaire de l'exposition

à franceinfo

Sur plusieurs photographies, les familles, expulsées précipitamment, attendent le bus devant leur maison, entourées de leurs valises et objets personnels. Si les autorités semblent vouloir capter le bon déroulement de la procédure, Dorothea Lange va montrer un aspect différent de la réalité. "Elle a posé un regard tendre et humain sur les familles. Dans ces photographies, on voit la dignité des personnes", explique la commissaire.

La volonté des familles de montrer leur patriotisme transparait, comme sur ce cliché d’une devanture de magasin sur laquelle une affiche indique en gros caractère "I am an American". Le propriétaire sera évacué dans un camp pendant toute la période de la guerre, note la photographe.

Un récit qui "garde la mémoire collective"

Lange va avoir accès au camp de Manzanar, en Californie. "Ils auront des conditions à respecter : ne pas photographier les barbelés, les militaires armés, tout ce qui fait penser à des camps de concentration", précise Pia Viewing. Une photographie du camp montre les immenses baraquements au milieu du désert et reflète le caractère hostile et aride des lieux. A travers cette série et des notes de terrains détaillées, Dorothea Lange livre un travail documenté et pose un regard compassionnel pour montrer l’injustice et le déracinement des familles. Elle est renvoyée quelques mois plus tard.

"Nous avons une maladie", déclarera la photographe. "C’est la discrimination et la haine du Japonais. En travaillant sur ce sujet, j’ai vécu une expérience que je n’oublierai jamais ; elle m’a beaucoup appris, même si mon travail n’a servi à rien." Si les photographies furent classées archives militaires et publiées pour la première fois en 2006, elles participent aujourd’hui à un travail mémoriel souligne la commissaire de l'exposition. "Dans tout le travail de Lange, il y a le respect de l’autre et la volonté de créer un récit avec l’image et l’écrit qui garde la mémoire collective. Avec ces longues légendes, elle a pu enregistrer une certaine histoire orale."

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