Présidentielle américaine : le climat absent de la campagne de Kamala Harris par crainte "de faire fuir certains électeurs", selon un spécialiste

François Gemenne, spécialiste des questions de géopolitique de l'environnement et des migrations, pointe notamment trois raisons majeures pour expliquer l'absence de ce sujet dans la course à la Maison Blanche.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Le candidat républicain à l'élection présidentielle américaine Donald Trump serre la main de son adversaire démocrate Kamala Harris, au début du premier débat télévisé les opposant à Philadelphie, en Pennsylvanie (Etats-Unis), le 10 septembre 2024. (SAUL LOEB / AFP)

Des feux toujours incontrôlables en Californie, des températures caniculaires sur une partie de l'ouest américain et une tempête qui fait craindre d'importantes inondations en Lousianie... La météo américaine est, pour le moins, agitée ces derniers jours. Or, malgré ces évènements majeurs, le sujet du climat reste le grand absent de la course à la Maison Blanche. Ainsi, lors du débat télévisé qui a opposé Donald Trump et Kamala Harris, le 10 septembre, le dérèglement climatique n'a occupé que 2 minutes 30 de temps d'antenne.

"Kamala Harris redoute de faire fuir certains électeurs qui pourraient la considérer comme trop pro-environnementaliste", avance ainsi François Gemenne spécialiste des questions de géopolitique de l'environnement et des migrations, sur franceinfo. Selon lui, le bilan de Joe Biden est "plutôt bon, voire excellent", selon lui, mais la candidate estime que le sujet "pourrait lui faire perdre des voix", notamment dans des États clés, plutôt industriels, comme la Caroline du Nord, l'Ohio ou la Pennsylvanie. "Dans ces États, la transition climatique est perçue comme une menace pour l'emploi", explique François Gemenne.

franceinfo : Pourquoi Kamala Harris ne parle-t-elle pas d'environnement ?

François Gemenne : Ce n'est pas son sujet. Elle n'est pas connue pour ses positions pro-environnementales. Ce n'est pas un sujet auquel elle s'est intéressée dans sa carrière. On peut imaginer qu'elle ne soit pas très à l'aise sur ce sujet. La deuxième raison, c'est qu'elle mène une campagne globalement au centre. Elle redoute de faire fuir certains électeurs qui pourraient la considérer comme trop pro-environnementaliste. Il y a aussi évidemment le souvenir d'Al Gore qui avait mené en 2000 une campagne très écolo et on sait que ça lui avait sans doute coûté l'élection. Elle ne le perçoit pas du tout comme un argument qui pourrait lui rapporter des voix, mais au contraire comme quelque chose qui pourrait lui faire perdre des voix du côté des républicains modérés. La troisième raison, c'est que l'élection va se jouer dans des États qui sont souvent des États industriels : la Caroline du Nord, l'Ohio, la Pennsylvanie. Dans ces États, la transition climatique est perçue comme une menace pour l'emploi. Elle ne veut pas effrayer les électeurs de ces États clés.

L'environnement ne parle pas aux classes moyennes ?

Très peu. Mais c'est la même chose en Europe. On se rend bien compte que c'est un sujet qui a un peu disparu des écrans politiques ces derniers mois, parce que c'est un sujet qui n'est pas porteur électoralement, qui ne rapporte pas de voix, notamment parce qu'il est perçu largement comme une contrainte plutôt que comme un projet. 

"Aucun candidat, évidemment, ne veut s'afficher avec ce qui est perçu comme une contrainte. C'est devenu un sujet de plus en plus clivant, de plus en plus idéologique."

François Gemenne

à franceinfo

Je suis frappé de voir comme on s'attache souvent à des polémiques symboliques qui vont cliver l'opinion plutôt qu'à l'éléphant dans la pièce, c'est-à-dire la décarbonation de nos économies.

Pourtant le bilan de Joe Biden est plutôt positif ?

On peut dire que le bilan de Joe Biden en matière d'environnement est plutôt bon, voire excellent. La loi Inflation Reduction Act est sans doute le plus grand plan d'investissement dans les infrastructures vertes du pays. Biden restera comme un président très écolo, au même titre que Theodore Roosevelt ou Richard Nixon.

Très écologique, mais en protégeant sa propre industrie...

Bien sûr, il y a toujours du protectionnisme. Simplement, ce qui est intéressant, c'est qu'on l'a transformé un peu en protectionnisme vert, avec notamment des droits de douane très importants sur les voitures chinoises, même électriques. Effectivement, son plan de relance est avant tout un plan de relance de l'industrie américaine.

Pendant ce temps-là, la maison brûle...

On sait que ces incendies sont d'énormes contributeurs au réchauffement climatique. On n'a pas encore les chiffres pour les incendies en Californie. Mais les incendies qui avaient ravagé le Canada il y a quelques années avaient produit l'équivalent des gaz à effet de serre d'une année au Japon. C'est absolument considérable, parce qu'évidemment, des arbres qui brûlent vont relâcher dans l'atmosphère tout le carbone qu'ils ont accumulé dans leurs troncs et dans leurs branches qu'ils ont accumulé au cours de leur vie. Il ne faut pas oublier que malgré tout, il y a une transition qui s'effectue à bas bruit. Beaucoup d'industries, aujourd'hui même aux États-Unis, ont engagé la décarbonation de leur processus industriel, que le déploiement des énergies renouvelables bat son plein, y compris dans des États républicains comme le Texas. Il y a effectivement une transition qui se passe malgré tout, mais le sujet a disparu des radars politiques.

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