L'affaire O.J. Simpson : deux décennies d'un feuilleton judiciaire devenu une poule aux œufs d'or
Un petit gars parti de rien. Un champion entré au Hall of Fame. Une icône publicitaire. Un acteur qui a donné la réplique à Steve McQueen et à Lee Marvin. Un play-boy invétéré. L'accusé le plus célèbre des Etats-Unis. Un détenu tout sauf ordinaire. Et, depuis dimanche 1er octobre, O.J. Simpson est redevenu un homme libre. Le dernier épisode d'une saga ultra-bankable.
Né dans le bagout
Derrière le sourire ultra-bright d'Orenthal James Simpson se cache une enfance difficile, dans les quartiers noirs de San Francisco. Une enfance honteuse, d'abord, à cause de son père violent, drag-queen la nuit, qui n'a jamais aimé sa mère mais l'a épousée pour sauver les apparences. "A l'époque, c'était la pire chose qui pouvait vous arriver", rappelle, dans le documentaire de la chaîne américaine ESPN O.J. Simpson, made in America, son ami d'enfance Joe Bell, à qui O.J. s'était confié. Une enfance souffreteuse pour le jeune O.J., atteint de rachitisme. Sa mère lui bricole des attelles pour que son corps pousse droit. "On m'appellait 'le compas' à l'école", se souvient O.J. qui, pour toute séquelle de cette maladie infantile, marche toujours en cowboy.
L'argent se faisant rare à la maison, il développe son petit business devant le stade des 49ers. Sa technique est imparable : repérer un type qui attend devant les grilles et lui demander s'il n'a pas un ticket en trop. L'homme fixe un prix, 3,50 dollars. O.J. n'a pas assez, juste deux dollars en poche. "C'est tout ce que j'ai", pleurniche l'enfant (qui a caché sa menue monnaie dans ses chaussettes). "A tous les coups, la femme du type disait 'oh, laisse-lui le ticket'", raconte O.J. à Rolling Stone. "Ensuite, je faisais le tour du stade, je repérais les gens qui étaient à la recherche d'une place. Pour un gros match, je pouvais les fourguer à 30 ou 40 dollars."
Il avait un bagout qui lui permettait de se sortir de toutes les situations, même quand il méritait de se faire sérieusement botter les fesses.
Ado, Simpson crève l'écran sur les terrains de football de son quartier, et devient chef des différents gangs locaux. C'est parti pour une dizaine d'années de gloire. La belle gueule des Buffalo Bills fera chavirer plus d'une groupie. "Quand on était à l'aéroport, les gens rataient leur avion pour obtenir un autographe", se souvient son ex-coéquipier Earl Edwards dans Sports Illustrated. Dans l'intersaison, il s'essaye avec succès au cinéma – il décroche même un rôle dans La Tour infernale, sorti en 1974, quand il est encore pro – et devient un acteur de série B (il aura un rôle récurrent dans les Y a-t-il un flic... ?). Mais c'est surtout pour ses spots publicitaires pour Hertz qu'il devient une tête connue dans les foyers américains.
L'Amérique les yeux rivés sur sa course-poursuite
Jusqu'à ce surréaliste 17 juin 1994. Quelques jours plus tôt, Nicole Simpson-Brown a été retrouvée dans une mare de sang. A ses côtés, le corps de son ami Ron Goldman, lui aussi lardé de coups de couteau. Les soupçons se tournent naturellement vers l'ex-mari de Nicole, O.J., avec qui elle a gardé contact. Une affaire de violences conjugales, pour laquelle l'acteur avait été condamné à une amende ridicule de 200 dollars en 1989, refait surface. Le soir du drame, Nicole a appelé le 911 : "O.J. s'est introduit chez moi !"
Il faut quand même quelques jours à la police pour se décider à interpeller O.J.. Quand les policiers se présentent à son domicile, Simpson a pris la poudre d'escampette et laissé une lettre équivoque où il mentionne un possible suicide. Plusieurs heures seront nécessaires avant de le localiser, sur le périphérique embouteillé de Los Angeles. Un hélicoptère de la télévision aussi l'a repéré. Ne faisant pas dans la demi-mesure, toutes les chaînes nationales interrompent leurs programmes pour retransmettre la course-poursuite.
Oubliez les dérapages contrôlés, les pneus qui crissent et le pied qui écrase l'accélérateur, la chasse du Ford Bronco blanc de la star se passe au ralenti. Les policiers craignent que Simpson ne se suicide en direct. Lui a demandé à son chauffeur de ne pas faire vrombir le moteur pour pouvoir écouter les dernières minutes de la finale de NBA entre Houston et New York. Simpson finit par se rendre, devant 150 millions de téléspectateurs. La moitié de la population. Un score qui ratatine ceux du Super Bowl ou des soirées électorales. Le mythe O.J. Simpson vient de naître, sur le goudron de L.A..
"Je ne suis pas noir, je suis O.J."
Simpson, fort de sa fortune estimée à 11 millions de dollars s'entoure d'une dream team d'avocats. Robert Shapiro, l'homme qui a sauvé la tête du fils de Marlon Brando ; Alan Dershowitz, qui s'est occupé du cas Mike Tyson, et Johnnie Cochran, le défenseur de Michael Jackson. Ce dernier va trouver la faille dans l'accusation : jouer à fond la carte du racisme. Les études d'opinion sont formelles : une écrasante majorité de Noirs croient que Simpson est innocent, alors que deux bons tiers des Blancs sont persuadés qu'O.J. mérite la chaise électrique.
Non qu'O.J. Simpson soit un fervent militant des droits civiques. Peu avant les Jeux de Mexico, alors qu'il n'est qu'un espoir de la NFL, il évite de prendre parti dans l'appel au boycott mené par Tommie Smith et Juan Carlos. On prête même à celui qui est devenu un habitué des golfs les plus sélects de Californie la phrase : "Je ne suis pas noir, je suis O.J." Pire, quand il a découvert les dizaines de supporters massés devant sa maison du très chic quartier de Brentwood après son interpellation, il a lâché : "Que font tous ces nègres ici ?", assure un des policiers dans le documentaire d'ESPN.
Peu importe. La personnalité de l'accusé passe au second plan. Le procès d'O.J. Simpson devient celui de la police raciste et corrompue de Los Angeles. Le jury, composé en majorité de femmes noires, parvient sans peine à se convaincre que la police a pu fabriquer des preuves ou truquer des empreintes. "Vous allez payer", a glissé l'un des jurés au début du procès, relate Vox. L'affaire Rodney King, du nom de ce Noir passé à tabac par la police en mars 1991, à l'origine des émeutes de Watts, est dans tous les esprits. Simpson est acquitté après 266 jours d'audience et trois heures de délibérations, expédiées par des jurés sur les rotules, enfermés dans un hôtel pendant toute la durée du procès.
Pendant les débats, Simpson ne la joue pas profil bas, bien au contraire. L'ex-footballeur en profite pour arrondir ses fins de mois, en signant en prison des ballons destinés aux collectionneurs. Gain estimé : trois millions de dollars. La mise en scène d'une fausse paparazzade juste avant qu'il soit enfermé représente presque de l'argent de poche en comparaison.
Même son chien a droit à son livre sur l'affaire
"Nous aurions gagné s’il n’avait pas été si célèbre", regrette après coup la procureure Marcia Clark, qui s'est reconvertie dans le roman policier. Sa vocation d'écrivain est peut-être née quand un éditeur lui a proposé un joli chèque pour raconter le procès vu de l'intérieur. Car le procès O.J. Simpson est un phénomène littéraire en plus d'être un feuilleton médiatique.
Des protagonistes du procès, seul le juge, Lance Ito, n'a pas couché ses souvenirs sur le papier, note Vanity Fair. Un recueil de blagues – franchement douteuses – sur l'affaire s'est écoulé comme des petits pains. Le père de Nicole Brown a vendu aux tabloïds le journal intime de sa fille, où elle décrit un homme violent, même quand le couple faisait l'amour. Même le chien de Simpson, Ato, a été le héros d'un livre où il raconte ce qui s'est vraiment passé ce funeste soir de juin 1994. Avant le documentaire d'ESPN et la série de Netflix en 2016, l'affaire Simpson avait aussi inspiré... une comédie musicale. Simpson n'est pas le dernier à avoir cherché à profiter de la manne. Lors d'une interview au Los Angeles Times en 1996, il refuse de répondre à plusieurs questions, ajoutant, sybillin :
Je raconterai tout dans une vidéo que je vendrai par correspondance. 29,95 dollars. Il suffira de composer le numéro 1-800-OJTELLS [O.J. dit tout].
La procureure Clark demeure convaincue de la culpabilité de Simpson. Elle est loin d'être la seule. Au civil, Simpson a été condamné à 33 millions de dollars d'amende. Pour éviter que tous ses biens soient saisis, il décampe en Floride, Etat à la législation favorable. "Ils ont débarqué chez moi, et ils ont tout pris, tout vendu. Je suis parti jouer au golf", se rappelle Simpson, qui n'aurait à ce jour versé qu'une petite partie de l'amende.
Le graal de la première interview
La vie d'après d'O.J. Simpson se passe dans une relative indifférence : "Bien sûr, c'est arrivé que des gens quittent un restaurant parce que je venais d'y entrer, que des gars cassent l'antenne de ma voiture ou crachent dessus", confie Simpson à Playboy en 2003. L'odeur de soufre qui plane autour de Simpson n'a pas que des inconvénients. O.J. a décrit avec gourmandise à Playboy son plaisir de voir atterrir dans son jardin des sous-vêtements féminins, balancés par-dessus la grille. "Depuis que j'ai ce côté mauvais garçon, c'est comme si mon corps exsudait du 'Spanish Fly' [un célèbre aphrodisiaque]. Sérieusement. Je pense que la science devrait se pencher là-dessus."
L'odeur de soufre ne s'est guère dissipée avec l'imbroglio du livre If I Did it ("Si je l'avais fait" en VF). Un livre écrit par un nègre, qui raconte à la première personne comment le footballeur aurait pu tuer Nicole Brown et Ron Goldman. Simpson l'a-t-il dicté ? Contre 600 000 dollars, il affirme que oui, via son manager dans une interview au Huffington Post : "Tout le monde pense que je suis le meurtrier, de toute façon. Ce n'est pas un livre qui les fera changer d'avis." Le manuscrit est finalement racheté par la famille Goldman, qui en publie une version à charge.
En 2008, Simpson finit par être condamné à trente-trois ans de prison. Pour une curieuse affaire de vol avec séquestration, afin de remettre la main sur des souvenirs qui lui appartenaient, affirme-t-il. Cette fois, pas question de jouer la carte du racisme au procès. En prison, il se conduit en détenu modèle, entraîne l'équipe de basket des détenus, fuit les conflits et poursuit son étude de la Bible et du Coran. "Il n'a jamais parlé de l'affaire. Et il s'est montré très clair sur le fait de ne jamais l'aborder à ce sujet", raconte Steven Speidel, un ancien codétenu, à Sports Illustrated.
Dimanche 1er octobre, après neuf ans de prison, les portes de la prison de Las Vegas se sont ouvertes pour O.J. Simpson. Télés et magazines se battent déjà à coups de zéros pour obtenir sa première interview. "Il était incontournable, se souvient le chroniqueur sportif David Israel. Plus que LeBron James. Plus que Michael Jordan. Il aurait mis le feu à Twitter."
Même ternie, sa légende continue de faire vendre. Le Ford Bronco blanc immortalisé lors de la course-poursuite a trouvé preneur, moyennant 700 000 dollars quand le même modèle s'échange contre quelques billets verts sur eBay. O.J. Simpson, 70 ans, ne se fait en tout cas pas de souci sur son avenir. Celui qui s'est toujours revendiqué croyant n'a aucun doute quant à sa destination après avoir passé l'arme à gauche. "J'irai au paradis."