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Mort de George Floyd : Donald Trump peut-il vraiment envoyer l’armée américaine contre son propre peuple pour rétablir l’ordre ?

Pour contenir les émeutes qui agitent les États-Unis après la mort de George FloydDonald Trump a menacé d’envoyer des troupes pour rétablir l’ordre. En a-t-il vraiment le droit ? Éléments de réponses avec Karine Walther, professeure d’histoire à la Georgetown University, au Qatar.

Article rédigé par Ludovic Pauchant
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des forces de l'ordre américaines lors d'une manifestation, en 2015. (BRENDAN DONAHUE -LIVE MUSIC/PORT / MOMENT OPEN)

Des "milliers de soldats", "lourdement armés", en patrouille dans les rues américaines pour faire respecter l'ordre. Le sériephile averti pourrait retrouver dans ce sombre tableau une évocation de The Handmaid's Tale ("La Servante écarlate"), la série inspirée du roman dystopique de Margaret Atwood, lors de laquelle une secte politico-religieuse protestante prend le pouvoir après un coup d’État sanglant.

Ces mots, bien réels, ont été lancés mardi par Donald Trump, le président des États-Unis, comme un ultimatum menaçant à l'encontre de ceux qui participent aux émeutes qui secouent l’Amérique après le meurtre de George Floyd, cet homme afro-américain décédé le 25 mai 2020 après que l'officier de police de Minneapolis Derek Chauvin s'est agenouillé sur son cou pendant plusieurs minutes.

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Le président des États-Unis invoque L'Insurrection Act de 1807, qui permet le recours à l’armée sur le territoire américain pour faire cesser des troubles civils. Le peut-il vraiment ? Karine Walther, professeure d’histoire à la Georgetown University, au Qatar, propose quelques éléments de réponses.

L’armée peut intervenir si les droits des citoyens sont menacés

"Grâce à l’Insurrection Act, une loi fédérale de 1807, explique Karine Waltherle président américain peut envoyer l’armée américaine dans certaines circonstances, notamment en cas de rébellion contre le gouvernement local ou fédéral, ou en cas de désordre public majeur." "La loi a été modifiée en 2006 pour s’étendre aux catastrophes naturelles et aux cas de terrorisme, poursuit l'universitaire, après la réponse jugée défaillante du niveau fédéral à l’ouragan Katrina." Ainsi, si le président constate que les droits des citoyens sont menacés et que les pouvoirs locaux sont incapables de protéger ces droits ou ne le veulent pas, il peut recourir à l’armée, quand bien même le gouverneur de l’État en question s’y opposerait.

Il existe des précédents : l'armée a ainsi été envoyée dans les années 1950 lorsque plusieurs gouverneurs d’États du sud ont refusé d’accepter des élèves noirs dans des écoles jusqu’alors réservées aux enfants blancs, alors que la Cour suprême avait jugé la ségrégation inconstitutionnelle. "En 1957, le président Eisenhower a ainsi envoyé l’armée, contre l’avis du gouverneur de l’Arkansas, pour protéger les étudiants noirs et s’assurer qu’ils pouvaient bien entrer dans l’école, indique Karine Walther. Plus récemment, en 1992, le président Bush a, lui aussi, envoyé des troupes à Los Angeles lors des émeutes qui suivirent l'acquittement des quatre policiers impliqués dans l'agression de Rodney King, un Afro-américain passé à tabac le 3 mars 1991 après une course poursuite."

Il est peu probable que l’armée s’oppose à une intervention

Le recours à l’Insurrection Act est cependant encadré. "Historiquement, et pour des raisons politiques, les présidents américains ont limité son usage à la force majeure, rappelle la professeur d'histoire. Ne serait-ce que par respect de la séparation des pouvoirs entre États et gouvernement fédéral. Pour autant, dans la pratique, Donald Trump a souvent pris l’habitude d’ignorer les protocoles du passé. Il lui suffit d’ailleurs, de procéder à une déclaration formelle, comme une sommation, pour laisser aux citoyens de l’État concernés l’opportunité de cesser l’insurrection."

L’armée et les soldats pourraient résister à cet ordre seulement s’ils constatent qu’il est illégal. "Dans le cas actuel, note Karine Walther, il est peu probable qu’ils s’opposent à l’ordre présidentiel, qu’il soit désastreux politiquement ou stratégiquement. Seul un gouverneur pourrait s’y opposer devant un tribunal en arguant qu’il a la volonté et la capacité de protéger les droits de ses citoyens."

Politiquement, Donald Trump risque gros

Ce message autoritaire, envoyé en pleine campagne présidentielle américaine, est-il une bonne stratégie pour le candidat Trump ? "En décidant d’envoyer des troupes, Donald Trump risque évidemment d’accroitre les tensions entre forces de l’ordre et manifestants, et d’aggraver la situation", estime Karine Walther. C'est sans compter, explique-t-elle, son effet désastreux dans l'opinion publique : "La violence de la police contre les manifestants noirs-américains dans les années 1950, rediffusée sur les chaînes de télévisions a durablement choqué le public et retourné l’opinion sur ces sujets. Par ailleurs, les attaques violentes de la police contre des manifestants pacifiques et des journalistes, filmées et rediffusées sur les réseaux sociaux, ont suscité une condamnation nationale quasi unanime."

Donald Trump s’est déjà lié à cette période sombre de l’Histoire américaine en tweetant le 29 mai la phrase "When the looting starts the shooting starts" ("Quand le pillage commence, la fusillade commence"), utilisée par un shérif de Floride en 1967 contre des manifestants noirs qui luttaient pour leurs droits civils. "Cette décision plaira à une minorité de ses partisans, nostalgiques des suprémacistes blancs, conclut Karine Walther. Mais il est évident que l’immense majorité des Américains n’entendent pas définir leur nation de cette manière".

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