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Taxes douanières sur les produits mexicains : "Ça donne une image d'un homme très puissant auprès de ses électeurs"

Le président américain a annoncé, jeudi 30 mai, qu'il allait imposer, dès le 10 juin, des droits de douane de 5% sur les produits en provenance de son voisin du sud, accusé de laxisme sur le dossier de l'immigration clandestine.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Donald Trump, le 30 mai 2019 lors d'une cérémonie militaire dans le Colorado (Etats-Unis). (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)

Donald Trump a annoncé jeudi 31 mai que les États-Unis prélèveraient à partir du 10 juin des droits de douane de 5% sur tous les produits importés du Mexique et que ces taxes, progressivement relevées jusqu'à 25% au 1er octobre, resteraient en vigueur tant que les flux de migrants clandestins ne seraient pas stoppés.

Les droits de douane semblent donc devenus l'arme favorite du président américain, une "marque de fabrique" même, estime vendredi 31 mai sur franceinfo Jean-Éric Branaa, spécialiste des États-Unis et auteur de Et s’il gagnait encore ? (le 27 juin aux éditions VA Press). L'universitaire-chercheur confirme que "c'est totalement contestable" mais rappelle que "la diplomatie n'est pas l'affaire de Donald Trump".

franceinfo : Les droits de douane sont-ils devenus l'arme favorite de Donald Trump ?

Jean-Éric Branaa : C'est exactement cela. Donald Trump a mis sa marque de fabrique sur les droits de douane parce qu'en réalité ce qu'il est en train de faire, c'est quelque chose qui est très connu aux États-Unis : se servir du pouvoir économique dans le cadre de son pouvoir d'urgence, ce qui est largement utilisé, plus de 70 fois si on prend les 30 dernières années. Au total, 54 états d'urgence ont été déclenchés, 29 sont toujours en cours. Ce qui n'a jamais été fait encore, c'est effectivement les droits de douane comme arme économique dans le cadre de cet état d'urgence et surtout contre un allié très fort puisque 345 milliards de dollars de biens sont échangés chaque année [avec le Mexique] et alors qu'il y a la relance de ce plan qui a été négociée par Donald Trump pour remplacer l'ALENA [accord de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique], l'USMCA. Ça donne une image d'un homme très puissant auprès de ses électeurs, qui ne lâche pas l'affaire et qui veut gagner ce qu'il appelle une "guerre" contre l'immigration. Il estime que le pays est en danger et veut être le président puissant qui va proposer au pays une nouvelle règle migratoire qui serait une règle de migration choisie, un petit peu comme le font ses voisins puisqu'au Canada c'est déjà appliqué ou comme on le fait en Australie. C'est là tout l'enjeu. Bien sûr, le Congrès ne le fera jamais puisque la Chambre des représentants n'est pas de son bord et que les démocrates n'en veulent pas. Mais même au sein des Républicains, beaucoup n'en veulent pas, estimant que ce n'est pas dans la tradition américaine.

Est-ce que ça va marcher ?

On pense que ça va marcher puisque tout de suite le président mexicain a réagi en appelant au calme et en tendant la main, en expliquant qu'il fallait se mettre autour d'une table et trouver des solutions ensemble. L'enjeu pour Donald Trump c'est que ce soit les autorités mexicaines qui agissent et non plus les autorités américaines, qu'elles agissent sous la pression si possible, c'est-à-dire dans le sens de ce que voudront les Américains, et il y a fort à parier vu les intérêts des uns et des autres, qu'il y a des chances de réussir de ce côté-là. Alors [Andres Manuel] Lopez Obrador va avoir un petit peu les mêmes problèmes que [Enrique] Pena Nieto [son prédécesseur]. En ayant l'impression de céder à Donald Trump, ça pourrait à son tour lui coûter son poste comme ça l'a coûté à Pena Nieto quand il avait laissé venir Donald Trump pendant la campagne et lui avait donné un véritable statut d'homme présidentiable. Donc effectivement, ils sont dans un piège et ils ont beaucoup de mal à en sortir parce que les secteurs qui sont touchés sont forts nombreux, les autos, les machines-outils, le matériel médical mais aussi les légumes, les tomates, les avocats… Enfin les choses qu'on achète tous les jours et qui vont coûter fort cher désormais aux États-Unis. Et même si les Américains payent plus cher, il ne faut pas oublier que ceux qui paieront le plus cher sont quand même les Mexicains parce que s'ils ne peuvent pas écouler leurs produits et qu'ils sont en concurrence avec d'autres marchés, il va y avoir du chômage qui sera en augmentation chez eux.

Sur le plan diplomatique, c'est une arme massive, une méthode quand même contestable ?

C'est totalement contestable. Mais la diplomatie n'est pas l'affaire de Donald Trump. Il joue sans les règles établies, il a affolé les marchés diplomatiques dès qu'il est arrivé. C'est à chaque fois la panique parce que quand on dit qu'il se rend incompréhensible, c'est surtout qu'il est très brutal et qu'il ne s'encombre pas des règles du jeu. Il joue à sa façon en pensant que dans le cadre d'une négociation, tout est autorisé, un petit peu comme il le faisait dans le cadre des marchés qu'il avait à établir auparavant à New York dans l'immobilier. Maintenant c'est un peu plus compliqué parce qu'effectivement on ne s'embarrasse pas des humains qu'il y a de l'autre coté, des droits humains et des dégâts qu'on peut faire de part et d'autre. En même temps, il ne faut pas oublier que ses électeurs apprécient en se disant que la puissance américaine est devenue une surpuissance américaine, en ne rendant pas compte qu'ils sont en train de s'aliéner la plupart des pays du monde.

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