Présidentielle américaine : comment les minorités sont dissuadées de voter
Alors que l’élection américaine approche, les techniques pour décourager les communautés minoritaires – souvent démocrates – de se rendre aux urnes sont nombreuses.
Plus de 82 millions d’Américains ont déjà voté de manière anticipée pour le scrutin présidentiel du 3 novembre, un record. Facilitée par le recours au vote par correspondance, cette ruée vers les urnes n’est pas aussi simple pour tous les électeurs. Certains doivent affronter plusieurs heures de file d’attente ou parcourir des dizaines de kilomètres pour trouver leur bureau de vote. Ces méthodes de dissuasion envers les électeurs sont appelées "voter suppressions" (suppression d'électeurs en français). Franceinfo vous explique ce mécanisme ancré dans les pratiques politiques américaines.
Un processus aujourd'hui exploité par les républicains
Depuis l'entrée en vigueur du Voting Rights Act (loi sur le droit de vote) en 1965 aux Etats-Unis, les discriminations raciales sont interdites dans le cadre des élections. Les Etats restent libres de définir les modalités d'exercice du vote (par correspondance ou non, anticipé, dans quels délais, etc.), mais ne peuvent plus se baser sur la seule origine d'une personne pour le lui refuser.
Pour favoriser leur parti, certains élus usent de contournements légaux pour réduire le nombre d’électeurs, principalement ceux issus des minorités ethniques. "Les décisions sont prises à l’échelle d’un comté, voire d’un district", rapporte Steven R. Ekovich, professeur à l'université américaine de Paris. Depuis les années 1960, ce sont quasi-exclusivement les républicains qui ont recours à la suppression d'électeurs. Cela s'explique par le fait que les minorités ethniques sont plus favorables aux démocrates : en 2016, la communauté afro-américaine a voté à 90% pour Hillary Clinton.
Des techniques de vérification d'identité plus ou moins strictes
La façon la plus simple de limiter les voix des minorités est de restreindre l'accès aux méthodes de vote anticipé. Le vote par correspondance et le vote en bureau avant la date de l'élection sont extrêmement développés aux Etats-Unis, car l’élection a lieu un mardi et la journée n’est pas fériée. Pour de nombreux Américains, "voter impliquerait donc de perdre une journée de travail, ce qu’ils ne peuvent pas se permettre", analyse Paul Schor, maître de conférences à l'université de Paris, spécialiste de l'histoire des Etats-Unis.
Pour refuser le vote, des techniques de vérification d'identité renforcées ont été mises en place par certains Etats. Des critères stricts sont fixés pour accepter une pièce d'identité. Dans l’Indiana, par exemple, elle doit réunir quatre critères pour être valide : présenter une photo, un nom, être valable ou expirée depuis moins de 4 ans et être émise par l’Etat de l’Indiana. En résumé : si un électeur dispose seulement d’une pièce d’identité émise par un autre Etat américain, impossible pour lui de voter.
Au Texas, les restrictions sont similaires : un permis de port d'armes autorise le vote, quand la carte étudiante, qui présente les mêmes informations, est refusée. Le but : décourager le vote des étudiants, connu pour être davantage démocrate, comme l'explique Jayla Allen, militante des droits civiques, dans un extrait de l'émission Complément d'enquête.
"Beaucoup de gens n'ont pas de papiers d'identité, parce qu'ils n'en ont pas besoin. En exiger pour voter, ça élimine du scrutin les gens les plus précaires qui n’en ont pas. Les gens qui déménagent souvent n'ont pas de pièces à jour, et le permis a un coût", argumente Paul Schor. En effet, le document d'identité le plus commun pour les Américains est donc le permis de conduire, émis par leur Etat. Celui-ci est en possession* de 93% des Blancs, 90% des Latinos, mais seulement 79% des Afro-Américains.
Le Covid-19 a toutefois été un allié pour l'extension des droits civiques : face à la pandémie, de nombreux Etats ont simplifié le recours au vote par correspondance, pour éviter aux électeurs de se déplacer. Il a explosé dans le Kentucky (+584%) ou la Pennsylvanie (+408%), selon les données publiées par Les Echos. Cela explique les taux record : plus de 50 millions de bulletins par correspondance ont déjà été reçus par les services électoraux
Des quartiers particulièrement discriminés
Ces obstacles administratifs ne sont pas les seuls que rencontrent les minorités. Contrairement à la France, l’origine ethnique d’une personne est mentionnée lors du recensement. "On vote comme sa communauté : son église, son association. C’est un vecteur de préférence partisane très fort. Les gens emménagent dans des quartiers favorables à leurs idées politiques", indique Steven R. Ekovich. Ainsi, il est facile de définir quels quartiers et comtés sont majoritairement non-blancs dans un Etat. Et d'y supprimer des bureaux de vote pour compliquer l'accès aux urnes.
Conséquence : le nombre d’électeurs par bureau augmente et avec, les files d’attente. Par rapport à l'élection 2016, il y aura 250 bureaux de vote de moins dans le comté de Dallas, au Texas, rapporte le journal local Dallas Observer*. Un exemple clair de voter suppression, puisque 63% de la population* du comté est non-blanche. "C'est un facteur démotivant : si vous n'avez pas de voiture et que votre bureau est à 20 kilomètres de chez vous, vous n'y allez pas", fait valoir Paul Schor.
Dans le comté de Waller, à l'université de Prairie View, toujours au Texas, on vote démocrate. Mais avec un seul bureau de vote pour plus de 4 000 électeurs, le temps d'attente y est long. Et "lorsqu'on travaille ou qu'on a des obligations, on ne peut pas attendre", déplore Jayla Allen, dans l'émission Complément d'enquête.
A quelques kilomètres du campus, les électeurs votent républicain, mais sont quatre fois moins nombreux. Ils bénéficient tout de même d'un bureau de vote proche de leur domicile. Résultat, les républicains se déplacent beaucoup plus facilement aux urnes.
Selon une étude menée en 2018, les électeurs afro-américains ou latinos attendent en moyenne 45% plus longtemps qu’un électeur blanc pour voter. Pour cette élection 2020, dans l’Etat de Géorgie, le professeur Jonathan Rodden de l'université de Stanford dévoile une statistique criante, relayée par le média américain ProPublica* : dans les bureaux implantés au sein des quartiers à majorité blanche, le temps d’attente est en moyenne de 6 minutes, lorsqu’il est de plus de 50 minutes dans les quartiers peuplés de minorités ethniques. Plus une file d’attente est longue, plus elle est dissuasive ou décourageante pour l’électeur.
Les minorités ethniques et les étudiants ne sont pas les seuls touchés par ces obstacles : les ruraux, les personnes âgées ou les personnes en situation de handicap sont elles aussi souvent victimes collatérales de ce système qui éloigne les bureaux de vote des citoyens.
Le redécoupage des circonscriptions pour diluer les voix
Pour lutter contre le vote démocrate, la stratégie n'est pas seulement de compliquer l'accès au vote. Un dernier recours existe : le redécoupage des circonscriptions électorales. Aucun bureau de vote n'est supprimé dans un secteur qui vote démocrate, mais sa circonscription de rattachement est en majorité républicaine. La répartition des voix fait pencher la balance en faveur des républicains, sans empêcher l'accès au vote des démocrates. Cela est décidé par les responsables locaux.
Dans le Wisconsin, la circonscription citadine de Sheboygan, historiquement démocrate, a été divisée en deux. Chaque partie a été rattachée à une autre circonscription, républicaine. Cela permet de diluer les voix démocrates, plus nombreuses dans la population, mais qui peinent à s'imposer dans les urnes.
Le redécoupage peut aussi se jouer à quelques rues : "On sait que dans certains quartiers il y a un historique de vote" souligne Steven R. Ekovich de l'université américaine de Paris. Un quartier peuplé majoritairement de Blancs va être rattaché à un quartier peuplé de Latinos, et ainsi, les voix vont plus facilement s'équilibrer. Couplé aux autres méthodes de dissuasion de vote, les électeurs en faveur de Joe Biden auront beaucoup plus de difficultés à voter que les militants de Donald Trump.
Mais pour Paul Schor, cette méthode de "charcutage électoral" reste visible dans les deux camps : "Si les démocrates reprennent le pouvoir au niveau des Etats, ils déferont le découpage des républicains, et forcément, ils auront tendance à le tourner à leur avantage." Il reste désormais à attendre pour savoir quel camp réussira à faire pencher la balance de son côté et à l'emporter le 3 novembre.
* Les articles signalés par un astérisque sont en anglais.
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