Monflanquin : "Même un procès ne peut pas clore une histoire comme celle-là"
Ghislaine Marchand était l'une des "reclus" manipulés par un gourou. Son mari s'est battu pendant huit ans pour la faire sortir de sa prison mentale. Rencontre.
JUSTICE - Ils ont tous deux les traits tirés quand FTVi les rencontre, en plein marathon médiatique, à une semaine jour pour jour de l'ouverture du procès des "reclus de Monflanquin". Ils étaient onze adultes d'une même famille, manipulés par un certain Thierry Tilly, à s'être volontairement cloîtrés, huit ans durant. Un procès qu'ils attendent, disent-ils, "sans impatience ni angoisse particulières".
Elle, Ghislaine Marchand, faisait partie des "reclus". Elle ne répond pas à la presse sans lui, Jean Marchand, son mari, celui qui n'est pas tombé dans le piège, et qui n'a eu de cesse d'essayer de la faire sortir de l'emprise mentale dans laquelle elle se trouvait. "Sans lui, nous n'en serions pas sortis", explique-t-elle.
"Il a mis deux ans pour embarquer Ghislaine"
Les ongles manucurés de rouge, assortis aux petites lunettes fantaisies qu'elle tient dans la main. Un tailleur pantalon bleu marine sur un tee-shirt blanc. Un collier de perles. Et le regard souvent au loin, dans le vague.
C'est surtout lui, petit, costaud, bonhomme, souriant, qui parle et déroule, pragmatique, les étapes de l'engrenage dans lequel sont tombés sa femme et leurs deux enfants, mais aussi ses beaux-frères, leurs compagnes, trois de ses neveux et sa belle-mère. Onze personnes diplômées, intégrées socialement. La manipulation est spectaculaire.
"Il [Thierry Tilly] a mis deux ans pour embarquer Ghislaine, dont il a ensuite fait sa tête de pont pour embarquer les autres", rappelle-t-il à plusieurs reprises. Et de marteler : "C’est important, il a pris son temps." Elle acquiesce en sirotant maladroitement un diabolo fraise. Pour autant, elle ne perd pas une miette de l'échange, rejoint régulièrement la conversation, ajoute un souvenir, précise une situation, le visage soudain animé.
"J'ai fait une mauvaise rencontre"
"C'est extrêmement difficile de faire passer l'emprise mentale, je m'en rends compte tous les jours", avoue la sexagénaire posément. "Quand j'y repense, je me dis : 'mais comment ça a été possible ?'" confie-t-elle. Ce dont elle semble sûre, c'est qu'elle était, à l'époque, fragilisée. "Des petites choses de la vie courante qui se gèrent très bien séparément mais qui, prises ensemble, affaiblissent." Et d'énumérer deuils, enfants à l’âge de s’orienter et qu’il faut accompagner, l’âge aussi, 53 ans, lorsqu'on lui présente son futur gourou. "J'ai fait une mauvaise rencontre", dit-elle sobrement.
"Quand j’y repense, ce qu’il y a de terrible, c’est que lorsqu'on prend chaque évènement, sorti du contexte, c’est complètement aberrant que je me sois laissée prendre. Mais il faut le contexte, on est anesthésié", poursuit Ghislaine Marchand, qui désigne Thierry Tilly par un "il" ou "lui", sans jamais le nommer. Son mari utilise, lui, l'expression "ces-gens là". Comprendre : les gourous. "C'est une secte à lui tout seul, il en a tous les attributs, mis à part la revendication religieuse ou philosophique", note le journaliste.
"Je ressens une énorme culpabilité"
"Quand on sort d’une emprise comme celle-là, on a une énorme culpabilité de s’être fait prendre", reconnaît Ghislaine Marchand, grands yeux bleus qui vous fixent, "moi je dis : 'voilà, je me suis faite prendre, je m’en veux', mais ça ne fait pas avancer les choses de vivre dans la rancœur, le pleurnichage, les jérémiades incessantes". "On a été pris dans le piège, voilà, il faut en sortir maintenant", insiste-t-elle, vraisemblablement à destination de ses frères, avec qui elle n'a plus de contacts sauf pour le strict nécessaire, et qui semblent lui en vouloir.
Plus que de revoir le gourou, c'est côtoyer la famille décomposée qu'ils appréhendent. Du procès en lui-même, Jean Marchand attend "qu'on fasse assumer [à Thierry Tilly] la responsabilité de ses actes, qui sont des crimes", mais surtout qu'il écope "d'une peine qui permette de le mettre hors d'état de nuire assez longtemps, parce que s'il sort, il recommencera".
Mais le père de famille ne "se fait pas trop d'illusions". Elle acquiesce. De toutes façons, ce n'est pas "un procès qui permet de clore une histoire comme celle-là", enchaîne-t-il, résigné. Elle acquiesce. Lui qui s'est battu huit ans durant pour retrouver sa famille se verrait bien glisser "un témoignage pour dire qu'on peut s'en sortir, retomber a peu près sur ses pieds..." Elle le coupe et ajoute : "Pour peu qu'on accepte d'être tombé !"
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