"On ne peut pas se passer de la recherche fondamentale sur l'embryon"
Patrick Gaudray, chercheur au CNRS et membre du Comité consultatif national d'éthique, défend la proposition de loi autorisant la recherche sur l'embryon qui est en discussion jeudi à l'Assemblée nationale.
Son adoption par le Sénat, début décembre, s'est faite dans une relative discrétion. La proposition de loi visant à autoriser sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, examinée jeudi 28 mars à l'Assemblée nationale, est pourtant loin de faire l'unanimité.
Concernant la recherche sur les cellules embryonnaires, le dispositif juridique est, depuis 2004, celui d'une "interdiction avec dérogations", qui permet déjà de mener certains projets de recherches. Le texte étudié par les députés vise à passer à un régime d'"autorisation sous conditions". Les projets devront être "scientifiquement pertinents", avoir "une finalité médicale", "ne pouvoir être conduits qu'avec des embryons humains" et enfin "respecter des garanties éthiques".
Mais la proposition de loi, soumise au vote solennel des députés le mardi 2 avril, pourrait bien se heurter au mur de l'obstruction parlementaire : près de 400 amendements ont été déposés, essentiellement par des députés UMP. Pourquoi une telle levée de boucliers ? Quelle évolution de fond ce texte représente-t-il ? Le généticien Patrick Gaudray, chercheur au CNRS et membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), répond aux questions de francetv info.
Francetv info : Quelle est la différence entre une "interdiction avec dérogations" et une "autorisation sous conditions" ?
Patrick Gaudray : Cela touche essentiellement à la vision que l'on a de cette recherche. Avec le régime d'interdiction, on est dans un interdit fondamental : la société considère que 'l'embryon, c'est tabou', mais permet quelques transgressions. Dans un régime d'autorisation, on ne jette plus l'anathème a priori sur ce type de recherche. En tant que chercheur, je trouve cela plutôt positif.
Concrètement, qu'est-ce que cette loi changerait pour les chercheurs qui souhaitent lancer un projet ?
En pratique, cela change très peu de choses car il y a toujours un contrôle fort de la société sur cette recherche. Actuellement, les chercheurs soumettent leur projet à l'Agence de biomédecine, et ce dernier doit s'inscrire dans le cadre des dérogations prévues par la loi [définies depuis 2004 par l'article L2151-5 du Code de la santé publique].
Mais la base sur laquelle on accordait ces dérogations posait problème : les recherches devaient présenter un "bénéfice thérapeutique prouvé". Il fallait que cela conduise à un traitement. Autrement dit, on ne faisait des recherches que sur des choses qu'on était sûrs de trouver.... En 2011, on est passé à une notion d'"intérêt médical attendu", ce qui est plus subtil.
Dans un régime d'autorisation, les projets passeront toujours devant l'Agence de biomédecine. On peut bien sûr penser que le cadre sera moins contraignant, mais cela dépend de la manière dont les conditions sont rédigées dans la loi. Elles peuvent être tout aussi contraignantes que celles régissant actuellement les dérogations !
Lors de la révision des lois de bioéthique de 2011, le débat avait été très vif sur ce sujet. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Il y a toujours des oppositions très franches. Et c'est tant mieux : il est important qu'il puisse y avoir un débat démocratique sur ce type de sujets. Mais il faut être raisonnable. Quand j'entends certains [l'Eglise catholique, notamment] invoquer le travail de Shinya Yamanaka, prix Nobel de médecine 2012, sur les cellules souches pluripotentes [non embryonnaires], pour expliquer qu'on peut se passer de la recherche sur les cellules souches, à titre personel cela me fait bondir. Le fait que l'on fasse des progrès, loin d'être aboutis, sur un front, ne veut pas dire qu'il faille abandonner les autres. Ce sont des arguments de mauvaise foi.
Certains craignent des dérives d'apprentis sorciers....
On a fait beaucoup d'amalgames. Il faut rappeler que l'on se situe dans un cadre où les embryons utilisés sont uniquement des embryons surnuméraires issus de fécondations in vitro, de toute façon destinés à être détruits.
Le sujet est suffisamment sérieux pour qu'il faille une surveillance, et il est important de réfléchir au suivi de ces recherches. J'encourage d'ailleurs les parlementaires à relire avec beaucoup d'attention l'avis n°112 du CCNE qui avait été rendu en 2010 sur le sujet. Mais les chercheurs sont de toute façon très encadrés. Il y a aussi une forme d'autorégulation dans la communauté scientifique, notamment parce que vous ne pouvez pas publier dans une revue sérieuse si vous ne recevez pas l'aval d'un comité d'éthique.
Dans quels domaines en particulier y a-t-il un fort besoin pour ce type de recherches ?
Il y a des secteurs, comme l'assistance médicale à la procréation, où les recherches sur l'embryon peuvent avoir des applications directes, mais il y a aussi un fort besoin d'acquérir de la connaissance fondamentale. Sur le développement de l'embryon, les mécanismes de spécialisation des cellules... On ne peut pas s'en passer.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.