Cinéma : « Pachamama », un film de Juan Antin, au cinéma le 12 décembre
Tepulpaï et Naïra, deux petits indiens de la Cordillère des Andes, partent à la poursuite de la Pachamama, totem protecteur de leur village, confisqué par les Incas. Leur quête les mènera jusqu’à Cuzco, capitale royale assiégée par les conquistadors.
Extrait d’un entretien avec Juan Antin, réalisateur et co-scénariste et Pierre Hamon, compositeur de la musique orginale
Juan, comment avez-vous eu l’idée de rendre hommage en animation à la civilisation de l’Amérique Latine précolombienne ?
Juan Antin : C’est impressionnant de constater à quel point cette civilisation était visionnaire. Son mode de vie reposait sur un cercle vertueux qui pouvait durer éternellement, contrairement à aujourd’hui où on s’évertue à épuiser les ressources de la terre. Mon attachement à l’écologie est inscrit dans la culture des peuples amérindiens. Pour eux, il n’y avait pas de séparation entre les êtres et le monde : c’était un tout. Cela rejoint l’approche de la physique quantique, qui considère qu’il n’y a pas de matière, mais seulement des vibrations d’énergie, et que tout ce qui constitue l’univers est lié. Ainsi que la cosmogonie et la vision des amérindiens, pour lesquels tout l’univers était tissé comme une immense toile d’araignée. La physique quantique nous montre que l’énergie passe d’un lieu à l’autre du cosmos et qu’il y a certains endroits où elle s’accumule comme des nodules. Ces peuples restituaient à la terre une partie de ce qu’elle leur donnait, dans un échange permanent avec une entité vivante, la terremère nourricière. La Pachamama !
Comment le projet est-il né ?
Juan Antin : En présentant Mercano le Martien au festival de La Havane à Cuba, j’ai eu une vision en regardant la mer. J’ai eu l’impression de voir les navires espagnols arriver. C’est sur cette côte cubaine que le vaisseau de Christophe Colomb a débarqué. J’ai imaginé ensuite les malentendus entre les indigènes et ces espagnols qu’ils ont d’abord pris pour des dieux. Plutôt que de relater la colonisation de manière historique, j’ai voulu la raconter du point de vue des indigènes, à hauteur d’enfants. C’était important pour moi, car en Argentine, on apprend à l’école que les « bons » étaient les espagnols, apportant civilisation et progrès, et les indigènes, des sauvages. Sur un billet de cent pesos argentin, on voit le portrait de Rocca, un président qui a fait tuer des millions d’indiens. Le projet de conquête, c’était amener la civilisation européenne, s’emparer des ressources naturelles et exterminer les « sauvages ». Comme on n’enseigne pas cela à l’école, j’avais envie de raconter aux enfants que les conquistadors n’étaient pas des héros, mais des voleurs.
La réalisation de Pachamama a été un long parcours jusqu’à votre collaboration avec Didier et Damien Brunner chez Folivari…
Juan Antin : Le projet a débuté il y a 14 ans en Argentine. Le parcours fut long et complexe. Malgré cela, j’avais la certitude que le film existerait un jour. Finalement, quand j’ai rencontré Didier et Damien Brunner, ils m’ont dit assez vite « On y va ! ». Nous avons, avec ma famille, déménagé en région parisienne, en fonction des écoles qui nous plaisaient pour nos enfants…
Et c’est là qu’a eu lieu une rencontre dû à un hasard incroyable…
Juan Antin : Oui, nous choisissons une maison à Verrières et nous rencontrons une prof de violon pour notre fille et faisons connaissance aussi avec son mari musicien. Il me dit « Je joue de la musique Renaissance, mais ce que préfère, c’est la musique précolombienne. » (rires) Et là, il me fait visiter son studio aménagé dans sa cave, et sort des plumes de condor, et des flûtes précolombiennes de plus de 2000 ans. J’étais tellement stupéfait que je me suis demandé si ce n’était pas un gag tourné en caméra cachée ! C’était impossible qu’une telle rencontre ait lieu par hasard ! Le script était déjà finalisé, et il y avait déjà les scènes avec le chamane et ses plumes de condor. C’était incroyable !
Pierre Hamon : J’ai battu l’air avec les plumes de condor quelques minutes après que nous nous soyons rencontrés ! (rires) Même si je suis imprégné de culture occidentale rationnelle, mes expériences en Amérique du Sud m’ont amené à voir que l’on peut faire des rencontres exceptionnelles, comme poussé par le destin. Là-bas, cela s’appelle la synchronicité.
Dans Pachamama, on a l’impression que les cris des oiseaux ou le bruit du vent se fondent dans la musique.
Pierre Hamon : Beaucoup de sons de vent ont été réalisés avec des instruments précolombiens, et une partie des chants des oiseaux ont été produits avec des vases siffleurs.
Juan Antin : Nous avons ajouté des ambiances sonores de forêt, et de vrais chants d’oiseaux, et tous ces éléments sont d’une qualité sonore excellente. Il nous est arrivé aussi de mêler ces sons réels de forêt avec des effets réalisés avec les vases siffleurs qui imitent les oiseaux, car cela ajoutait un côté magique.
En tant qu’auteur, vous avez placé les thèmes de l’écologique et de l’écoresponsabilité au coeur de l’histoire de Pachamama…
Juan Antin : Dans le film j’exprime ma colère de voir comment la nature est maltraitée aujourd’hui. Et l’analogie avec les peuples amérindiens respectant la nature, avec une vision spirituelle de la terre par rapport à la vision matérialiste des conquistadors qui passe par l’exploitation et la recherche de richesse. De même, quand les espagnols voient l’idole, la Huaca, ils pensent qu’elle est précieuse parce qu’ils croient qu’elle contient de l’or, alors que sa valeur est uniquement spirituelle.
Pierre, comment utilisez-vous aussi la musique de la Renaissance au moment où arrivent les conquistadors ?
Pierre Hamon : Le propos n’était pas de faire une musique ethno-historique : il fallait que la musique originale du film se mette au service de l’image et des émotions. La richesse de timbre des instruments de la Renaissance répond à la richesse des couleurs de la Pachamama. Pour les compositions musicales des scènes avec les conquistadors, nous avons fait référence et citation de motifs musicaux comme les premières notes du Cantus Firmus « La Spagna » qui date exactement de l’époque de la découverte de l’Amérique et qui a été utilisé par beaucoup de musiciens de cette époque comme colonne vertébrale de leurs compositions. On l’entend quand on voit arriver les navires des conquistadors.
Plus d'informations sur le site de Haut et Court Distribution
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