A un an et demi de l'élection présidentielle, tous les partis sont dans les starting-blocks
2011 marque le coup d'envoi d'une année préélectorale déterminante.
Le PS fera-t-il front derrière un candidat crédible ? Nicolas Sarkozy réussira-t-il à parfaire son image de Président réformateur ? Europe Ecologie-Les Verts à élaborer un programme global ? Les centristes à se rassembler ? Le PCF à pactiser avec Jean-Luc Mélenchon ?
Brice Teinturier, Directeur Général Délégué d"Ipsos (France), analyse les forces et faiblesses des grands partis politiques.
Il estime que la campagne 2012 sera fondamentalement différente de la précédente. La mondialisation est passée par là.
Le candidat socialiste pour la présidentielle de 2012 sera connu le 16 octobre à l'issue du second tour des primaires
Le paradoxe au PS n"est-il pas que le projet soit établi avant la désignation du candidat ?
B. T. Bien sûr et ce n"est pas nouveau. Le parti socialiste a depuis longtemps une difficulté avec la Ve République et la question du leadership. C"est une faiblesse, incontestablement, mais c"est une faiblesse à relativiser : elle vaut davantage pour maintenant que sur le long terme. Et une fois le candidat désigné, le projet sera sans doute amendé à sa main mais le travail préalable qui aura été mené restera utile.
Les questions centrales me semblent davantage être celle du calendrier de désignation du candidat et de ce que va produire la "machinerie" des primaires pour résoudre ce problème de désignation du leader.
Est-ce que cette "ingénierie démocratique", totalement nouvelle en France, va créer une dynamique de rassemblement autour d"un candidat fort, légitimé, doté d"un programme qu"il amendera sur la base du projet socialiste ou bien sera-t-on dans une logique de primaires faisant apparaître de profonds clivages et des blessures individuelles qui affaibliront le candidat ? Ces primaires seront-elles des primaires de consécration ou de sélection ? Personne ne le sait très bien et il y a là un risque pour le PS aussi grand qu"une opportunité.
Y a-t-il un risque de scission au PS en raison des divergences entre les lignes politiques ou des dégâts que pourraient provoquer les primaires ?
B.T. Idéologiquement, le PS est aujourd"hui moins divisé que lors du traité constitutionnel sur l"Europe ou à l"époque des profonds clivages qui opposaient un François Mitterrand à un Michel Rocard.
Certes, il y a bien toujours des sensibilités politiques différentes, voire des divergences sur les sujets économiques qui sont loin de générer du consensus. Les retraites, les 35 heures peuvent faire apparaître des clivages parfois très âpres. Mais le PS est aujourd"hui moins fragile qu"il y a un an. Sur certains thèmes, comme la sécurité, il est même beaucoup plus unitaire que dans le passé.
Rien n"est donc définitivement acquis pour ce parti, mais le risque d"une scission me semble peu probable. D"autant que les trois présidentielles perdues exercent une pression en faveur d"une plus grande cohérence ou a minima, d"une gestion moins destructrice des divergences.
Quels écueils doivent-ils éviter pour espérer l"emporter en 2012 ?
B.T. Il y en a beaucoup.
Le premier, je le redis, est celui de la désignation du candidat et donc de la mécanique des primaires qui doit produire ses effets d"unité, de dynamique, de légitimité et de rassemblement autour d"un candidat. Ce n"est pas gagné.
Ensuite, le projet. Il doit non seulement être en phase avec les aspirations économiques et sociales de la gauche, et donc comporter des marqueurs clairs mais la crise de 2008-2010 est passée par là.
Les Français sont aujourd"hui convaincus que la mondialisation est une donnée incontournable. La crédibilité du projet dans une situation économique perçue comme dramatique est donc tout aussi importante que le désir d"équité. Elle sera un élément clé en 2012 alors qu"en 2007, elle était certes présente et déterminante mais aux côtés d"une profonde demande de renouvellement qu"incarnaient d"ailleurs très bien Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal.
Troisième écueil à éviter, s"imaginer qu"il suffit de jouer sur l"anti-sarkozysme pour gagner.
Les enquêtes montrent bien que l"anti-sarkozysme existe mais si le candidat socialiste ne suscite pas une véritable espérance, articulée à une crédibilité réelle, ce n"est pas un vote par défaut qui permettra seul au PS de l"emporter
La cote de Nicolas Sarkozy, très bas dans les sondages, devrait remonter une fois sa candidature annoncée
Comment Nicolas Sarkozy peut-il à la fois capter l"électorat centriste et regagner une partie des électeurs "populaires" qu"il avait su conquérir en 2007 mais qui s"en sont éloignés depuis ?
B.T. La reconquête de l"électorat centriste sera plus ou moins difficile pour Nicolas Sarkozy selon que le candidat socialiste est Dominique Stauss-Kahn et Martine Aubry, François Hollande ou Ségolène Royal.
Elle peut par ailleurs passer par d"autres, notamment Jean-Louis Borloo ou Hervé Morin qui sont les réceptacles potentiels et quasi naturels du centre droit. Il s"agit donc d"avoir une plate forme de valeurs et de proposition compatibles qui, dans une dynamique de campagne, que ces personnes soient elles-mêmes ou pas candidates, favorise un ralliement et des reports sur Nicolas Sarkozy.
Mais que doit faire le chef de l"Etat pour ne pas perdre cette réserve d"électeurs ?
B.T. D"abord, les ménager et les maintenir dans le camp de la majorité.
Ensuite, mettre en avant des thèmes qui leur sont chers et qui ont été peu mis en avant ces derniers mois comme la question de l"Europe, l"attachement à des valeurs de respects de la personne humaine, à une économie à la fois libérale et protectrice des individus, etc. Ce n"est pas simple mais cet électorat a besoin de signes.
La cote de Nicolas Sarkozy reste en berne dans les sondages. Comment peut-il inverser la tendance ?
B.T. Il est très bas car il est aujourd"hui le réceptacle de nombreuses déceptions et frustrations. Mais les choses vont probablement se rééquilibrer lors de la confrontation présidentielle, quand il s"agira de choisir et de se projeter dans l"avenir.
En revanche, on ne sait pas encore très bien jusqu"où peut aller ce rééquilibrage et si la cassure est définitive ou pas. Je crois que cette élection reste une élection ouverte alors qu"on est parfois en situation de présidentielle fermée, comme par exemple en 1995, lorsque le rapport de force interdisait tout espoir à la gauche. Un Président affaibli ne signifie pas un candidat irrémédiablement perdant.
L"une des voies de passage pour Nicolas Sarkozy est liée à sa promesse et à sa marque de fabrique de 2007 : l"action et les résultats. C"est la clé du ré-enchantement de 2007 et celle du désenchantement actuel.
Les Français espéraient davantage de résultats et sont aujourd"hui défiants et déçus. Mais pour la campagne de 2012, il me semble que Nicolas Sarkozy pourra s"appuyer sur de nombreuses actions et réformes et tenter d"objectiver le thème du Président réformateur qui a fait bouger les lignes.
Est-ce que cela marchera ? Est-ce que cela sera suffisant et même si les Français pensent qu"il a changé les choses et peut encore le faire à l"avenir, sera-ce dans un sens souhaité, c"est, je crois, la question clé.
Quelle est sa marge de manœuvre vis-à-vis de l"électorat populaire ?
B.T. Elle est à mon avis faible. La cassure est forte et s"est faite très vite après son élection.
L"électorat populaire a deux attentes importantes que le candidat de 2007 avait parfaitement identifiées : la demande de sécurité et l"angoisse économique, qui se traduit dans la question de l"emploi et du pouvoir d"achat. Sur ce dernier point, la déception a été très forte.
Sur la sécurité, le résultat est sans doute plus nuancé mais là aussi, en deça des espérances suscitées.
C"est donc plutôt auprès des classes moyennes que Nicolas Sarkozy peut à mon sens espérer remonter la pente, même s"il s"emploie à préserver l"électorat populaire.
Les centristes sont menacés de disparition du fait de leur dispersion
Quel regard portent les Français sur l"émiettement au centre ?
B.T. Au-delà des personnes, ils ne comprennent pas très bien les différences fondamentales entre Jean-Louis Borloo, Hervé Morin voire François Bayrou, même s"ils ont bien perçu que ce dernier se situait plutôt dans l"opposition ou la construction d"un centre indépendant de la droite alors que les deux premiers restent dans la majorité.
Ils comprennent en revanche qu"il y a des différences de tempérament et c"est important.
Le centre droit se définit par la modération, le refus ou la méfiance de ce qui apparait comme excessif, l"attachement à des contre pouvoirs et des corps intermédiaires, la volonté de trouver des compromis. Cela ne veut pas dire de la mollesse ; simplement, c"est une doctrine politique qui est attachée à un processus d"élaboration de la décision qui ne tombe pas d"en haut et qui se veut plus décentralisée.
Cette sensibilité politique existe dans le pays mais elle est mal représentée aujourd"hui. Elle est fragmentée et insuffisamment incarnée.
Quels risques courent les centristes ?
B.T. Le risque d"évaporation, au sens quasi chimique du terme, d"une famille politique qui a été forte mais qui est aujourd"hui est en déclin et totalement éclatée.
Cela peut donc aller jusqu"à sa disparition.
L"environnement est un thème pris en compte par tous les partis aujourd"hui. Comment les Français perçoivent-ils la valeur ajoutée d"EE-LV et "l"originalité" de ses candidats déclarés ou putatifs tels Eva Joly ou Nicolas Hulot ?
B.T. Il y a bien eu une tentative par le Gouvernement et la majorité de s"emparer de la thématique environnementale mais la fameuse phrase de Nicolas Sarkozy lors du salon de l"agriculture : "L"environnement, ça commence à bien faire" a marqué les esprits.
Le PS n"apparaît pas non plus comme fort sur ce créneau. Dans l"esprit des Français, les Verts et Europe-Ecologie restent donc les vrais environnementalistes, les plus sincères et les plus authentiques. Mais, ils ont des faiblesses.
Lesquelles ?
B.T. Les élections intermédiaires des régionales et des européennes ont été un bon cru mais les fragilités actuelles sont multiples : le candidat n"est pas désigné, le système d"alliance avec les autres partis n"est pas encore clairement établi, et le programme du gouvernement qui découle en partie du système d"alliances n"est pas non plus précisément élaboré.
Or, l"enjeu majeur d"une élection présidentielle est justement d"avoir un candidat crédible, un programme de gouvernement global et un système d"alliances potentielles.
Il y a donc certes une sensibilité environnementale dans le pays mais EE-LV doit encore régler beaucoup de questions et répondre à l"angoisse issue de la crise. Par ailleurs, le parti donne le sentiment d"un retour en arrière dans des affrontements internes peu compréhensibles. Il apparaît moins tourné vers la société civile qu"il n"y a quelques mois.
Quelles sont les scénarios envisageables de la recomposition des forces politiques à gauche du PS compte tenu de la place de Jean-Luc Mélenchon ?
B.T. Jean Luc Mélenchon emprunte à l"extrême gauche sa radicalité et une contestation très violente et dure de la sociale démocratie mais il inscrit son action dans une possible action gouvernementale – et a d"ailleurs été ministre dans le passé. Il est donc une charnière entre le PS et l"extrême gauche, ce qui peut soit servir le PS, soit au contraire l"affaiblir.
C"est-à-dire ?
B.T. Il peut éventuellement être la structure d"accueil d"électeurs populaires et appartenant aux couches moyennes salariées de la fonction publique qui sinon partiraient dans l"abstention ou vers l"extrême gauche, voire le Front national. Et ces électeurs peuvent ensuite, au moins en partie, se tourner vers le candidat socialiste au second tour.
Mais il peut aussi affaiblir le parti socialiste s"il capte des voix, les disperse, et construit sa campagne principalement contre le candidat du PS. En réalité, sa partition est difficile et lui seul peut décider du curseur qu"il mettra dans la critique de la sociale démocratie. Le point notable cependant est qu"il a fait émerger un nouveau pôle de radicalité, indépendant de celui de l"extrême gauche et du Front National.
Le FN est-il en mesure de réitérer son score de 2002 voire de provoquer un 21 avril inversé comme on l"entend parfois ?
B.T. Marine Le Pen est incontestablement une très bonne candidate et a beaucoup d"atouts.
Elle est à la fois radicale sur les positions classiques du Front National tout en donnant le sentiment d"être un peu moins extrémiste que son père. Ses références sont également moins datées et sur les questions de société, elle apparaît plus en phase que son père avec la société actuelle.
Enfin, en combinant la préférence nationale, l"islamophobie, un discours fort sur la mondialisation et une tonalité plus sociale, elle élargit potentiellement son spectre. Elle incarne donc une nouvelle génération qui peut attirer des jeunes qui avaient un peu déserté le Front National ces dernières années et elle peut aussi séduire les femmes qui pendant longtemps ont résisté à l"attraction du Front National.
Toutefois, rien n"est joué pour elle. D"abord parce qu"une Marine Le Pen a 15% ou 16% lors de la prochaine présidentielle est certes un score tout à fait envisageable mais ce ne serait que celui réalisé en gros par son père depuis 20 ans - 2007 étant de ce point de vue une exception.
Ensuite, parce qu"il lui faut malgré tout travailler sa crédibilité. Et c"est bien ce qu"elle fait. Dans le domaine économique, elle s"efforce d"avoir des arguments plus solides et un corpus plus cohérent. Mais elle est loin de convaincre à un niveau qui l"amènerait au second tour.
Enfin, parce qu"elle n"a plus le monopole de la radicalité.
L"hypothèse d"un 21 avril à l"envers n"est donc pas du tout étayée à ce stade et on voit mal comment elle pourrait dépasser Nicolas Sarkozy. Et celle d"un 21 avril renouvelée ne l"est pas davantage. Tout dépendra de l"offre électorale, du niveau d"abstention, de l"état du pays, de la crise. Il faudra donc suivre l"évolution du FN et de ses concurrents mais aujourd"hui, spéculer sur une Marine Le Pen au second tour, c"est précisément…spéculer.
Les gouvernants sont face un formidable défi montrer qu'ils peuvent obtenir des résultats à l'heure de la mondialisation
La défiance des Français à l"égard des institutions est forte selon les études. Comment l"expliquez-vous ?
B.T. Je crois que nous sommes à la fin d"un cycle de 30 ans et qu"un changement fondamental s"est véritablement opéré ces 3 ou 4 dernières années.
Depuis 1976, on parle aux Français de "sortie du tunnel" et on réactive - ce fut notamment le cas en 1981, en 1995 et en 2007 - le thème de la "rupture", du "volontarisme" et d"une "autre politique". Or, la mondialisation et la crise sont passées par là : en 2008, les Français ont cru et espéré qu"une régulation à l"échelle mondiale allait être mise en place ; en 2010, ils sont convaincus de la domination des marchés financiers. Le choc est rude et c"est donc tout un système de crédibilité de l"action politique qui est à reconstruire.
On ne peut donc plus s"adresser à eux comme en 2007. Définitivement. On ne leur fera plus croire que "tout est possible" en changeant notre socle de valeurs, en réhabilitant le travail, en allant contre l"esprit de Mai 68. Cela pose évidemment un formidable défi aux gouvernants potentiels : ils ont besoin de montrer qu"ils peuvent agir et fabriquer du résultat dans un cadre national et tout semble dire le contraire.
Quelles peuvent être les conséquences de cette prise de conscience ?
B.T. La première est de redonner de l"écho aux thèses souverainistes. Le paradoxe n"est qu"apparent. Si vous pensez que la mondialisation bride toute action au plan national, il faut renverser la table et retrouver des marges de manœuvre en s"affranchissant de la mondialisation. D'où le regain actuel en faveur d"une sortie de l"euro, du protectionnisme aux frontières nationales ou de l"Europe, etc. Avec naturellement de multiples variantes dans cette expression, selon, par exemple, que vous la combinez ou pas à l"islamophobie.
A l"opposée, mais toujours en partant de la mondialisation, vous avez ceux qui vous disent que la France ne s"en sortira pas si elle ne résout pas son problème de compétitivité, d"innovation et de recherche, d"optimisation de son système éducatif, etc. D"où le succès "sondagier" de Dominique Strauss-Kahn mais aussi, la progression de François Hollande ou le haut niveau à droite de Christine Largarde.
La cote de DSK n"est ainsi pas tant liée à son silence qu"a ce qu"il représente aux yeux de certains Français : un acteur compétent et crédible au plan international, au cœur des rouages de la mondialisation et qui incarne soit une espérance possible, soit le diable.
Penser que le souverainisme actuel ne traduit pas par un rapport nouveau à la mondialisation, c"est donc n"avoir rien compris à ce qui s"est passé ces 2 ou 3 dernières années tout comme s"imaginer qu"on peut refaire une campagne crédible sans prendre en compte cet "acquis de conscience" des Français.
Il y a donc évidemment toujours une demande à l"égard de la et des politiques mais qui s"inscrit maintenant totalement dans ce cadre.
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