"Monsieur Schuller est un mythomane" : à son procès, Patrick Balkany étrille l'homme par qui le scandale est arrivé
Le tribunal est revenu mercredi sur le témoignage de Didier Schuller, qui a conduit au procès de Patrick et Isabelle Balkany. Le couple est notamment jugé pour "blanchiment de fraude fiscale aggravée" jusqu'au 20 juin.
Il est droit dans ses bottes, ou plutôt dans ses mocassins noirs. Debout à la barre, main gauche appuyée, la droite agitée de temps à autre, Patrick Balkany s'emploie à démontrer qu'il n'a rien à se reprocher. "Je n'ai jamais essayé de cacher de l'argent, j'ai passé mon temps à essayer de ramener l'argent qui était en Suisse, l'argent de mon père", déclame d'une voix de stentor le maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Il comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris notamment pour blanchiment de fraude fiscale aggravée, blanchiment de corruption et prise illégale d'intérêts, après avoir été jugé pour fraude fiscale la semaine précédente.
Mercredi 22 mai, le tribunal s'est efforcé de comprendre l'origine des fonds suisses du patrimoine des Balkany, mais il a commencé par revenir sur l'homme dont les révélations fracassantes sont à l'origine de l'enquête : Didier Schuller. Sans lui, pas de procès. Les audiences se tiennent pourtant en son absence : aucune partie ne l'a cité comme témoin. Les absents ont toujours tort, c'est bien connu. Alors Patrick Balkany en profite pour étriller son allié d'antan.
Monsieur Schuller est un mythomane de la pire espèce.
Patrick Balkanydevant le tribunal correctionnel
Didier Schuller a dirigé l'office HLM des Hauts-de-Seine entre 1986 et 1994, quand Patrick Balkany en était le président. Il affirme avoir rencontré le maire de Levallois-Perret dans les années 1970. "Il n'a jamais participé à ma campagne [pour les municipales en 1983]. Je ne lui ai jamais rien demandé. Je ne me suis jamais occupé des finances du RPR", dément Patrick Balkany. "J'ai juste connu le frère de sa femme, avec lequel j'ai joué au hockey quand j'étais jeune", insiste-t-il.
"L'homme le plus recherché de France"
Les HLM des Hauts-de-Seine ne sont pas qu'un office : ils sont aussi devenus une affaire, dans laquelle Didier Schuller a été jugé au début des années 2000, justement aux côtés de Patrick Balkany. Le premier est condamné, le second relaxé. Didier Schuller ne le digère pas. Alors il met la puce à l'oreille aux juges d'instruction le 24 octobre 2013. Le président de la 32e chambre correctionnelle, Benjamin Blanchet, lit ses déclarations à l'audience.
J'ai payé ma dette, je constate aujourd'hui que le président de l'office des HLM de l'époque, Monsieur Balkany, a été relaxé. Monsieur Balkany aurait à sa disposition un palais à Marrakech, une résidence de luxe à Saint-Martin et l'usufruit du moulin de Giverny. Je suis heureux de voir que ce que je pensais être du financement politique a pu profiter à d'autres fins et sans doute personnelles.
Didier Schullerle 24 octobre 2013
Pour Patrick Balkany, le contentieux trouve son origine ailleurs. "Monsieur Schuller m'en veut de quoi ? C'est simple, je l'ai encore dit à BFMTV il y a deux jours. On ne lui a pas donné l'investiture en 2014 aux municipales. Je lui ai dit : 'Didier, ce n'est pas raisonnable', raille à la barre le maire de Levallois avec sa gouaille légendaire. Il s'est présenté quand même et il a été battu par son ancien bras droit. Point."
Patrick Balkany affirme qu'il a cessé d'entretenir toute relation cordiale avec Didier Schuller le jour où ce dernier est parti aux Bahamas. "On ne savait pas où il était, ça a duré pendant sept ans, il est parti très longtemps monsieur le président." Didier Schuller s'est exilé en 1994, au moment où a éclaté l'affaire Schuller-Maréchal, une affaire de corruption, pour empêcher le juge Halphen d'enquêter sur l'affaire des HLM des Hauts-de-Seine. A l'évocation de cette affaire, Patrick Balkany, échauffé par le début de l'audience, ne peut s'empêcher de se lancer dans une imitation de Charles Pasqua. "On se demandait : 'Mais où est donc passé Monsieur Schuller ?'" dit-il d'une grosse voix. La salle sourit. Le public est conquis, le show se poursuit.
Je trouve étonnant que la justice ait accordé autant d'importance aux déclarations de Didier Schuller, qui a été l'homme en fuite, l'homme le plus recherché de France, l'homme qui a fait changer le cours de l'Histoire dans une élection présidentielle.
Patrick Balkanydevant le tribunal correctionnel
Le président s'interroge : "Comment ?" "Monsieur Balladur vous le dira lui-même", répond Patrick Balkany. "Je le vois rarement", rétorque Benjamin Blanchet, le président du tribunal, provoquant des rires dans la salle.
"Il a ramassé de l'argent et est parti aux Bahamas"
Dans ce dossier, Didier Schuller affirme également avoir déposé pour Patrick Balkany, de 1987 à 1994, entre 7 et 10 millions de francs sur un compte en Suisse. Des fonds "destinés au RPR des Hauts-de-Seine". Et l'ex-homme politique en veut au maire de Levallois, qui ne lui "renvoie pas l'ascenseur". Œil pour œil, dent pour dent. "Je n'ai jamais été chargé de ramasser de l'argent pour les partis. Quant à Monsieur Schuller, il a ramassé de l'argent pour lui et il est parti aux Bahamas avec", martèle Patrick Balkany, interrogé par le substitut du procureur.
Le prévenu s'acharne à expliquer comment il a ouvert des prêts à l'étranger, puis déposé l'argent emprunté sur des comptes, en Suisse surtout, pour pouvoir ensuite le transférer dans une banque française. "J'ai rapatrié tout ce que je pouvais, le plus légalement possible", se défend-il. Mais le président se montre inflexible et le substitut du procureur intransigeant. Ce dernier demande des explications à Patrick Balkany sur l'expression "banque restante", qui figure sur un document du dossier. Le maire de Levallois-Perret botte en touche. "On ne va pas jouer à ce petit jeu-là monsieur le procureur, on est quand même des adultes", clame Patrick Balkany avant la suspension d'audience.
Le prévenu poursuit sa prestation en dehors de la salle. Avant le début de l'audience, il était entré par la petite porte. Cette fois, il s'expose devant les journalistes et menace de porter plainte contre Didier Schuller : "Je vais sans doute le poursuivre, oui." Il tourne les talons. Mais quand une journaliste lui lance : "Vous vous êtes déjà occupé de financement politique ?", il ne peut s'empêcher de revenir sur ses pas. "Mais ça ne va pas non. Mais ça ne va pas. Je ne me suis jamais occupé de financement politique, non madame, non. Je ne me suis jamais occupé de campagne hors la mienne", répond Patrick Balkany, un brin agacé. Il fait volte-face une dernière fois mais ne résiste pas à ajouter quelques mots à propos des millions en Suisse évoqués à l'audience.
Oui, c'est de l'argent familial. Entièrement. Et j'en suis fier.
Patrick Balkanydevant la presse
Le procès se poursuit jusqu'au 20 juin. Patrick Balkany et son épouse Isabelle encourent jusqu'à dix ans de prison.
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