Appel à une primaire à gauche : que veulent vraiment les signataires ?
Lancé par des intellectuels et relayé par des politiques, un appel à la tenue d'une primaire à gauche pour la présidentielle de 2017 fait débat chez les socialistes, les écologistes et à la gauche de la gauche.
L'appel a réuni plus de 20 000 signatures en quatre jours. L'économiste Thomas Piketty, l'écologiste Daniel Cohn-Bendit, le sociologue Michel Wieviorka, l'ex-footballeur Vikash Dhorasoo ou l'écrivaine Marie Desplechin ont signé, lundi 11 janvier, un appel en faveur d'une primaire "des gauches et de l'écologie" en vue de l'élection présidentielle de 2017.
L'idée de cette tribune est née au cœur de l'été 2015, lorsque Michel Wieviorka reçoit Daniel Cohn-Bendit. Les deux amis en parlent alors au cinéaste Romain Goupil. Ils seront ensuite onze intellectuels à se retrouver autour d'un couscous, à la mi-décembre, dans un restaurant parisien, les onze premiers signataires du texte titré : "Notre système politique est bloqué." "L'idée est de faire bouger la société, explique Michel Wieviorka à francetv info. Il faut ouvrir le jeu et réoxygéner la vie politique et intellectuelle parce qu'actuellement, on est dans le vide. Ce n'est pas une énième pétition, on veut faire bouger les choses."
"En rêve, bien sûr qu’on pourrait"
Depuis sa publication, chacun à gauche se prononce sur cet appel à une grande primaire. "En rêve, bien sûr qu’on pourrait" organiser une primaire à gauche, a ironisé Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat en charge des relations avec le Parlement. "Si c'est une primaire de la refondation, si elle concerne toute la gauche pour la ressouder et la renforcer, si elle est ouverte sans être exclusive, d'Emmanuel Macron à Jean-Luc Mélenchon, alors oui, pourquoi pas ?" a lancé, habile, Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS. Proche de Martine Aubry, Jean-Marc Germain, député socialiste, a salué "une belle initiative". Une primaire à gauche " nécessaire, inéluctable et salutaire" pour Aurélie Filippetti, ancienne ministre de François Hollande et députée PS.
"La primaire, pour moi, c’est oui", écrit Cécile Duflot dans Libération. L'ancienne ministre pourrait représenter Europe Ecologie-Les Verts. Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF, s'est lui aussi fendu d'une tribune, toujours dans Libé. Proche de Pierre Laurent, qui pourrait concourir pour les communistes, il estime que l'initiative des onze permet un "débat sur une alternative de gauche en France et en Europe".
"Inimaginable"
Pour les proches du président de la République, François Hollande est le "candidat naturel de la gauche". Le fait qu'il occupe actuellement l'Elysée le place au-dessus de la mêlée et lui éviterait un passage par la case primaire, pourtant prévu par les statuts du PS. "Comment organiser un débat de primaires entre le chef de l’Etat, engagé dans la lutte antiterroriste, pris entre un conseil européen et une visite d’Etat, d’une part, et des candidats écologiste, socialiste dissident et issu de la gauche radicale ? Inimaginable…", résume Le Monde.
Inimaginable également pour Jean-Luc Mélenchon, mais pour des raisons différentes. "Je ne veux pas être dans une primaire, car si François Hollande gagne la primaire, je ne respecterai pas le résultat et je n’appellerai pas à voter pour lui", explique le leader du Parti du gauche. Un refus qui ne représente pas un obstacle pour Michel Wieviorka. Le sociologue veut croire que "s'il y a une primaire de toutes les gauches, François Hollande devra y aller".
"Nous continuerons pour aérer la vie politique sclérosée"
Primaire ou pas, le débat actuel montre une gauche morcelée, fragmentée. Et les signataires de la tribune ont au moins réussi à "secouer le cocotier". "Nous continuerons notre démarche, nous publierons des textes thématiques pour ouvrir des débats et aérer la vie politique sclérosée", promet Michel Wieviorka. "Nous voulons du contenu, des idées, des échanges exigeants", écrivent les signataires de l'appel. Dans leur tribune, ils dénoncent aussi la "médiocrité de l’offre politique et son incapacité à se renouveler". Une façon de raviver la flamme à gauche au-delà de la question du candidat pour la présidentielle.
Un mouvement citoyen de réappropriation de la vie politique qui pourrait faire penser à Podemos, en Espagne. Fondé en 2014, dans la lignée du mouvement des Indignés, ce parti de gauche alternative a réalisé une percée historique aux élections législatives le 20 décembre 2015. Il est devenu la troisième force politique espagnole en réunissant plus de 20% des voix. Michel Wieviorka tempère : "Un mouvement, c'est beaucoup, mais nous voulons initier un processus, c'est certain."
Un "Podemos à la française" ?
Le constat dressé par les signataires de l'appel à la primaire est, en tout cas, similaire à celui qui était fait par Podemos. Promettant un renouvellement du personnel et de l'offre politique, le parti espagnol a émergé en dénonçant la sclérose de la vie politique et la corruption des élus espagnols. Podemos a également bénéficié d'un contexte favorable : "Des effets sociaux dramatiques de la crise économique et sociale", d'une part et "l'impasse électorale dans laquelle se trouvait l'Espagne", explique Héloïse Nez, sociologue et auteure de Podemos, de l'indignation aux élections (Ed. Les petits matins, 2015).
Un "Podemos à la française" est-il envisageable ? "L'impasse politique a permis la création de Podemos, qui s'est glissé dans la brèche. Il y avait un espace à prendre", estime la sociologue. Les signataires de la tribune observent, aujourd'hui, une impasse politique en France, mais le contexte est différent. "Le panorama français est plus occupé, la gauche des socialistes est très fragmentée, une nouvelle organisation aurait du mal à se faire une place", souligne Héloïse Nez. Et la sociologue souligne une difficulté majeure pour la gauche française : "Le message contestataire est très fortement capté par le Front national." Toutefois, pour celle qui a analysé la réussite fulgurante de Podemos, la gauche française "pourrait s'inspirer de ce qui a fonctionné en Espagne".
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