Comment les magazines de télévision ont vu les débats d'entre-deux-tours depuis 1974 ?
Comment la presse écrite spécialisée a-t-elle décrit les débats présidentiels télévisés d'entre-deux-tours depuis leur lancement en 1974 ? Suivez Hervé Brusini, directeur de l'information numérique à France Télévisions, dans ce voyage vers le passé.
En ces temps difficiles, pourquoi ne pas s'offrir un petit plaisir ? Descendre à la cave, consulter les vieux magazines télé empilés là, et découvrir l'enjeu médiatique du grand débat présidentiel.
La chronique sépia du spectacle politique offert par la petite lucarne défile entre vos doigts. Tiens, voilà le Télé Magazine de mai 1974. Un gros titre annonce :" Pour la première fois en France, duel électoral au sommet". Et d'évoquer le face à face qui eut lieu le 10 du mois.
Précisément cette date semble avoir fait l'objet d'une lutte tenace entre les états-majors des candidats Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand. Serait-ce le 8 ? le 16 ?
Même chose pour le nom des animateurs : Jean-Pierre Elkabbach, Jean-Marie Cavada, Michel Péricard, Jean-Claude Héberlé furent suggérés. On pensa même à Léon Zitrone. Il fut récusé par la gauche.
Finalement, Jacqueline Baudrier, directrice de la première chaîne et Alain Duhamel, présentateur de l'émission "A armes égales" présentèrent ces deux heures, plus en horloge vivante qu'en journalistes. Et le rédacteur du magazine de parler maintenant "d'une emprise de l'image sur l'électeur". Diable !
"Ces caméras privées de liberté de mouvement..."
Voici votre curiosité piquée au vif. Sept ans plus tard, où en était donc ce terrible pouvoir avec le choc annoncé des deux mêmes aspirants présidents ? Cette fois c'est un Télé 7 jours qui tombe à vos pieds laissant apercevoir le gros titre suivant : "Mise en garde".
On y déplore "ces caméras privées de liberté de mouvement, qui n'ont pas restitué aux millions de téléspectateurs les informations que les comportements et les visages délivrent à l'heure d'une confrontation."
Autrement dit, pour ce deuxième débat du 5 mai 1981, on ne dénonce plus l'emprise de l'image mais l'image sous emprise. Suit un entretien croisé entre ceux qui furent les réalisateurs "amis" chargés de veiller à la défense des intérêts de leur candidat.
Entre Serge Moati pour François Mitterrand et Gérard Herzog pour Valéry Giscard d'Estaing, on imagine ce que fut l'atmosphère dans la régie, tous deux donnant leurs ordres à celui qui était aux manettes, le réalisateur Lucien Gavinet.
"Le soir du face à face, le réalisateur désigné a dû subir la présence à ses côtés du conseiller technique du candidat socialiste, et par contre-coup la mienne", tempête Gérard Herzog. "C'était faire injure à un
professionnel, poursuit-il, réduit ce soir là au rôle de presse-boutons. Cela ne doit plus se reproduire. Plus jamais !"
La règle première fut l'interdiction des plans de coupe
De fait, dans l'organisation de la mise en scène du grand choc, tout avait été minutieusement calibré à grands coups de règles strictes. Serge Moati précise même qu'il y en avait 22.
"Un débat politique n'est pas un show. Les mains qui bougent, les lèvres qui frémissent, les sourcils qui se froncent, n'ont rien à y voir", affirmait à l'époque celui que François Mitterrand surnommait Sergio Fellini.
Pas étonnant alors que la règle première fut l'interdiction des plans de coupe. L'agencement du studio, la forme de la table, la distance entre participants, la position des micros...Rien ne fut laissé au hasard.
Des gros plans pour le socialiste,"afin de montrer la tendresse qu'il y a chez cet homme", dit Moati. "Je pense que ce genre d'images éveille la méfiance", rétorque le réalisateur côté VGE qui fit donc des plans larges.
Enfin, le PS exigea que les deux journalistes animateurs n'appartiennent pas à la télé. A la stupéfaction de la gauche, la volonté fut exaucée. D'où le choix de Michèle Cotta, chef du service politique de RTL et de Jean Boissonnat, "red-chef" du magazine économique l'Expansion.
"Défaite de la télévision", titre le journal Le Monde
Attention, la pile de vos magazines menace de s'écrouler ! La photo qui vient d'apparaître, a quelque chose de délavée. Elle montre qu'en 1988, la mise en images est encore la même.
Sur le plan large, on voit les deux animateurs Michèle Cotta et Elie Vannier, respectivement à la direction de l'information de TF1 et Antenne 2. Et de chaque côté, François Mitterrand et Jacques Chirac. Le tout sur fond bleu.
Manifestement, 1981 a fait jurisprudence, le carcan est plus que jamais en place. Et cela va de mal en pis. "Défaite de la télévision", titre le journal Le Monde daté du 8 mai 1995.
C'est au tour du cinéaste Jean-Louis Comolli de critiquer "un dispositif pauvre, une lumière plate, une réalisation molle..." Sous le regard d'Alain Duhamel et Guillaume Durand, les débatteurs Lionel Jospin et Jacques Chirac semblent avoir donné le spectacle d'un débat convenu, avec pourtant quelques plans de coupe, mais "furtifs" raille Comolli.
Ils étaient plus de 20 millions de téléspectateurs en 2007
Des plans de coupe ? Ce qui permet de voir la réaction de l'autre, lorsque le concurrent s'exprime, il n'y en eut point le 2 mai 2007. D'un commun accord entre les équipes de Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy.
A l'époque, semble-t-il, la question ne fut guère à l'ordre du jour. De fait, l'image cadrée façon "grand débat" est bel et bien devenue une marque déposée par le temps avec toujours la même écriture : Arlette Chabot et "PPDDA" face caméra, les candidats à chaque bout de la table (sur fond d'image élyséenne), filmé tour à tour et comme inséré dans le décor, le décompte du temps.
Seule nouveauté, la question posée de ce qu'ils ont fait avant et après le débat. Thème étrange et logique à la fois.
Si l'image du grand moment est si corsetée, voici que l'attention se tourne vers le hors champ. Avec cette exigence moderne du "montrez nous ce que l'on n'a pas vu", telle est peut-être la rançon de cette emprise de l'image qui, quoi qu'on en dise, réunit toujours davantage de téléspectateurs.
En 2007, ils étaient plus de 20 millions. Combien seront-ils le 2 mai 2012 ?
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