A la contre-COP22, les "climatoréalistes" rejouent une version bien à eux de la Conférence sur le climat
Habituellement qualifiés de climatosceptiques, les "climatoréalistes", comme ils se nomment eux-mêmes, espèrent promouvoir un discours qui renie le rôle de l'homme dans le réchauffement climatique. Loin, très loin de l'avis de l'écrasante majorité de la communauté scientifique.
En décembre 2015, Paris a accueilli la COP21. A l'issue de cette Conférence sur le climat menée sous l'égide de l'ONU, les dirigeants de 190 pays sont tombés d'accord pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, tenues pour responsables du réchauffement climatique. Objectif : maintenir la hausse des températures par rapport à l'ère pré-industrielle sous la barre des 2°C d'ici à 2100, pour éviter un désastre écologique.
Saluée à travers le monde, cette initiative a hérissé les "climatoréalistes" (le nouveau nom prisé par ces ex-"climatosceptiques"). Ils tenaient de leur côté, jeudi 1er et vendredi 2 décembre, une toute première contre-COP à Paris, à quelques pâtés de maisons de la tour Eiffel, mais à des années-lumière des discours tenus en 2015 du côté du Bourget. Franceinfo a assisté à la première journée de cette COP à l'envers.
Dans une contre-COP, il y a beaucoup (mais alors beaucoup) moins de monde
Dans la salle, on compte par-ci par-là quelques sièges vides. L'organisatrice, Marie-France Suivre, membre du think-tank libéral l'Institut Turgot, qui se décrit comme farouchement "attachée à la liberté de penser" , dénombre 180 participants ce jeudi. Surtout des messieurs, pour la plupart en costumes. Rien à voir avec l'ambiance de la COP21, qui a réuni dans la capitale plus de 40 000 personnes, de près de 200 nationalités. L'affluence relative de cette contre-COP22 traduit la dimension du discours climatosceptique à l'échelle de la communauté scientifique : largement minoritaire. Le bulletin d'information édité par l'Association des climatoréalistes est envoyé à un millier de personnes à travers la France, assure Marie-France Suivre, qui n'entend évidemment pas rivaliser avec le rendez-vous des Nations unies.
"Les choses sont vraiment en train de changer, note toutefois Benoît Rittaud, mathématicien et président de l'Association. Comme si le plafond de verre était en train de se craqueler : aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Pologne... de plus en plus de gens remettent en question le discours dominant." La preuve avec un Donald Trump à la Maison Blanche, persuadé que le réchauffement climatique est "un concept créé par les Chinois" et capable de nommer un climatosceptique, Myron Ebell, à la tête de l'Agence américaine de protection de l'environnement. "Pas particulièrement fan de Trump", ni d'ailleurs de Nicolas Sarkozy, dont il ne veut pas ici discuter la politique, Benoît Rittaud se réjouit pourtant d'avoir entendu le candidat déçu à la primaire de la droite balayer, en plein meeting, l'idée selon laquelle le réchauffement du climat est lié aux activités humaines. "Qu'un homme politique de premier plan puisse déclarer cela sans déclencher une bronca, c'est assez nouveau", reconnaît le climatosceptique, devenu optimiste.
Les participants, eux, relèvent avec une pointe d'agacement le traitement médiatique qui leur est réservé. Il justifierait, selon eux, la difficulté de leur discours à trouver écho : "Moi, je n'ai jamais cru dans le réchauffement climatique, lance un homme qui discute dans le hall du centre de conférences. Je suis allé le dire à une réunion publique au ministère de l'Ecologie, j'ai bien failli me faire insulter !"
On est les grands méchants de toute façon, on nous accuse d'être de sales pollueurs.
Sur un ton passionné, un troisième déplore les journaux qui "décrédibilisent les arguments" des climatosceptiques. D'ailleurs, quand on lui demande de donner son nom, il décline, "de crainte de voir ses propos déformés". Et quand on lui suggère d'opter pour une identité passe-partout, comme le prénom mixte "Camille" utilisé par les zadistes de Notre-Dame-des-Landes pour se prémunir des représailles, il proteste : "ah non, non, non, non, non !" Rien à voir, en effet, avec le discours des militants écologistes.
Dans une contre-COP, il n'y a pas de climatologues
Dans l'assemblée, les "climatoréalistes" débattent sciences, modèles et observations avec passion. "On compte dans l'association beaucoup de gens de formation scientifique", relève Marie-France Suivre. Ici, beaucoup sont retraités. Mais aucun n'affiche le titre de climatologue (ces gens définis par le Larousse comme "spécialiste de climatologie", elle-même "science des climats"). "C'est un terme ambigu qui englobe par exemple des glaciologues, répond pour sa part Benoît Rittaud. C'est une science en train de se former." "On a des exemples de climatologues sceptiques, assure-t-il. Ils n'ont pas grand intérêt à prendre la parole s'ils veulent continuer leurs travaux." Encore et toujours la fameuse "chape de plomb" qui entourerait le sujet. Lui est persuadé que cette discipline relève plus de la politique que de la science, et tant pis si cela revient à renier les données recueillies par celles et ceux qui travaillent (pour de vrai) sur la banquise.
Les climatosceptiques ont pourtant leurs "stars". Y compris en France, comme Claude Allègre, géochimiste et ancien ministre de la Recherche, invité à "ouvrir" cette contre-COP avec un message vidéo. En publiant L'Imposture climatique, en 2010, il a offert une tribune au discours climatoseptique, relançant le débat et surtout la polémique, alors que des centaines de scientifiques ont dénoncé les nombreuses inexactitudes de son ouvrage. Affaibli, il transmet dans son message le flambeau à Vincent Courtillot, le premier intervenant de la contre-COP invité à la tribune. "C'est son successeur !", lance avec approbation un monsieur dans la salle.
La mini-conférence de ce géophysicien (qui étudie donc les caractères physiques de la Terre, et non spécifiquement son climat) s'appelle "Compréhension et modélisation du changement climatique". Sur un ton qui se veut pédagogique, il écarte, graphiques à l'appui, les arguments en faveur d'une responsabilité humaine face à un public qui hoche la tête. Lui met en avant le rôle de l'activité de la vapeur d'eau, des nuages ou encore du soleil : "On se demande par quelle magie il a cessé, dans les années 1950, d'être un déterminant majeure du climat", ironise-t-il. Comme l'intervenant suivant, le chimiste Jean-Claude Bernier, il démonte les modèles conçus par les scientifiques pour anticiper les évolutions climatiques et présentés dans les rapports du GIEC, le groupe d'experts devenu la bête noire des climatosceptiques. Eux fustigent ce document de synthèse réalisé à partir de plusieurs milliers d'articles scientifiques produits par autant de chercheurs internationaux reconnus, qu'ils estiment instrumentalisés.
Dans une contre-Cop, on défend coûte que coûte le CO2, comme d'autres défendent les ours polaires
Le CO2 est-il mal-aimé ? A la contre-COP, le discours va dans le sens d'une réhabilitation de ce gaz à l'origine de l'effet de serre. Si c'est en luttant contre ses émissions, en réduisant la part des énergies fossiles dans le mix énergétique, que les Nations s'engagent à enrayer une hausse dramatique des températures, les conférenciers défendent le CO2 comme d'autres les ours polaires. "Je ne suis pas marié à une théorie : si on démontre que ce gaz est à l'origine du réchauffement climatique, je serai le premier à l'admettre", assure Claude Allègre dans son message vidéo. Peu importe les démonstrations des climatologues.
C'est une hérésie de considérer le CO2 comme toxique.
Pour ce spectateur, catégorique, les énergies renouvelables n'ont pas les épaules pour remplacer les industries les plus polluantes. Dans son exposé, Jean-Claude Bernier enfonce le clou, fustigeant "des chimères technologiques." Quand, dans les COP, on discute du moyen de généraliser l'usage des énergies renouvelables, dans une contre-COP, on estime simplement qu'il conviendrait de dépenser argent et énergie à "s'adapter" aux changements climatiques à venir. "On consacre un effort tel à lutter contre le réchauffement qu'on n'est même plus capable de nourrir les gens", lance encore un climatosceptique qui requiert l'anonymat. Lui, il croit que la solution vient des ingénieurs, citant les Hollandais du XVIIIe siècle, capables de construire sur la mer du Nord pour grappiller du terrain. Les habitants des îles Tuvalu et du Bangladesh, menacés par la montée des eaux, apprécieront le tuyau.
En attendant, les "climatoréalistes" innocentent l'homme et soupçonnent les "climato-alarmistes" – l'ultra-majorité de la communauté scientifique, donc – de blâmer l'humain par réflexe religieux. "Pourquoi pensez-vous que le pape a pris position ?", glisse Benoît Rittaud, évoquant la culpabilité chrétienne. Et la science, dans tout ça ? "Beaucoup de scientifiques raisonnent mal, explique le climatosceptique anonyme. C'est comme ça. L'homme a une énorme faculté à se tromper." Reste à déterminer qui est dans l'erreur.
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