Recherche d'un nouveau gouvernement : Emmanuel Macron tente d'exclure le RN pour reprendre la main

Le chef de l'Etat a fait le choix de ne pas convier la formation de Marine Le Pen à la réunion des partis qui s'est tenue mardi à l'Elysée, pour tenter de sortir de la crise post-censure.
Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
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Emmanuel Macron, le 9 décembre 2024 à l'Elysée. (ELIOT BLONDET / SIPA)

Le futur gouvernement pourra-t-il ignorer les menaces de censure du Rassemblement national ? C'est le défi que semble s'être fixé Emmanuel Macron à l'heure de choisir son nouveau Premier ministre. En organisant une réunion à l'Elysée, mardi 10 décembre, avec le bloc central, Les Républicains, les socialistes, les écologistes et les communistes, le chef de l'Etat espère obtenir un accord de non-censure qui priverait Marine Le Pen et ses troupes du rôle d'arbitre à l'Assemblée nationale.

A la sortie de ces échanges de plus de deux heures, le pari semble encore loin d'être gagné, tant les lignes rouges et les divisions des différents partis semblent difficilement dépassables. Seule l'absence du Rassemblement national, seul parti avec celui d'Eric Ciotti à ne pas avoir été invité, fait consensus. En août, en pleine recherche, déjà, d'un nom pour Matignon, le président avait pourtant reçu Marine Le Pen et Jordan Bardella à l'Elysée, également conviés aux rencontres de Saint-Denis en 2023. Mais depuis la chute du gouvernement de Michel Barnier, Emmanuel Macron a décidé de changer de pied. 

"Le critère est la logique de compromis" 

A la sortie du palais présidentiel mardi, Boris Vallaud, le chef de file des députés PS a déclaré que "l'acquis de cet après-midi, c'est que personne autour de la table ne voulait être dans la dépendance du Rassemblement national". La présence du RN à cette réunion était d'ailleurs une "ligne rouge" pour les écologistes, comme l'avait annoncé Guillaume Gontard, président des sénateurs écologistes, à franceinfo. L'absence de Marine Le Pen a donc permis de rassembler davantage de forces politiques autour de la table, alors que le chef de l'Etat a fait ses comptes : LFI, le RN et son allié l'Union des Droites (UDR, le parti d'Eric Ciotti) pèsent un total de 211 voix, quand la majorité absolue est à 289. En obtenant qu'une partie du Nouveau Front populaire fasse acte de non-censure, le futur gouvernement pourrait espérer durer plus longtemps que le précédent.

"Le critère est la logique de compromis", justifie l'entourage d'Emmanuel Macron à franceinfo. "Ni le RN ni LFI ne l'ont souhaité. Nous avons pris acte à la fois de l'interview de Marine le Pen et de la déclaration de Manuel Bompard", poursuit-on. "Je ne suis pas outrée qu'on ne m'invite pas, assurait la cheffe de file des députés RN au Figaro vendredi. S'il m'avait invitée, cela m'aurait beaucoup inquiétée. Je n'entends pas participer à la majorité autour du président de la République." 

Mais une fois que tous autres les partis ont été conviés, le ton a radicalement changé au sein du parti à la flamme. Marine Le Pen a déploré mardi le "mépris" du chef de l'Etat, depuis l'Assemblée. "De ce mépris, je fais mon miel, ça ne m'atteint pas""C'est un aveu de l'irrespect et de l'inélégance du président, qui fait comme si 11 millions d'électeurs n'existaient pas", a dénoncé Jordan Bardella, patron du RN, sur TF1. Dans un communiqué, le parti d'Eric Ciotti a lui aussi taclé "l'exclusion des deux principales forces d'opposition"

"Un éclaircissement" après les échanges sur le budget 

Si l'Elysée a décidé de maintenir le RN à l'écart des discussions, il a au contraire invité La France insoumise à un entretien bilatéral lundi, que le parti de Jean-Luc Mélenchon a immédiatement décliné. Pourquoi cette différence de traitement ? "C'était évident que LFI refuserait de venir", estime Patrick Vignal, ancien député macroniste de l'Hérault, qui échange régulièrement avec le chef de l'Etat. Quant au RN, après les tractations sur le budget, "Marine Le Pen était devenue la vice-ministre de Matignon, et je pense que ça a énervé le président". 

"Le président a eu raison de ne pas les inviter. Ils n'ont pas leur place autour de cette table pour créer une coalition gouvernementale très large, car on les combat depuis longtemps et parce qu'il est hors de question de les normaliser davantage", estime Ludovic Mendes, député macroniste de l'aile gauche. Pour l'élu de Moselle, ce choix d'exclure le RN des discussions est aussi "un éclaircissement, qui permet de faire taire les discours selon lesquels c'étaient nos alliés". Ces arguments étaient notamment portés par l'opposition de gauche, après l'abstention du RN sur une première motion de censure en octobre qui avait offert un court sursis au gouvernement Barnier. Une coalition gouvernementale élargie ou un accord de non-censure auraient l'avantage de retirer son rôle d'arbitre au groupe de Marine Le Pen à l'Assemblée.

Mais les divisions restent très marquées entre la gauche et la droite de ce socle élargi espéré. Socialistes, écologistes et communistes réclament toujours un Premier ministre de gauche, tandis que la droite en fait une ligne rouge. Sur le fond, les divergences sont également fortes sur les chantiers de l'immigration ou des retraites. Et à la sortie de cette rencontre inédite, tous n'en tirent pas le même bilan. "Je sors sans pouvoir vous dire que le camp présidentiel a avancé d'un iota sur rien", a lancé l'écologiste Marine Tondelier, tandis que le patron du PS, Olivier Faure, a salué "une réunion intéressante", même si elle n'a pas été "conclusive".

A droite, Laurent Wauquiez a exclu "un contrat de gouvernement avec des gens qui n'ont pas la même vision de ce qu'il faut faire pour la France". Pour l'heure, le consensus anti-RN ne suffit donc pas à rassembler les autres partis pour priver Marine Le Pen de son pouvoir de nuisance dans l'hémicycle. Il pourrait même renforcer sa rhétorique antisystème. "L'interprétation à en faire, c'est que le seul parti d'opposition, c'est nous, se réjouit auprès de franceinfo Julien Odoul, député RN de l'Yonne. Face à nous, on a le grand parti unique, de la gauche aux LR, qui cherche à s'entendre contre 11 millions de Français, une nouvelle fois méprisés, stigmatisés et invisibilisés par ce sectarisme."

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