RECIT FRANCEINFO. D'Amiens à l'Elysée, la marche éclair d'Emmanuel Macron vers la présidence de la République
Emmanuel Macron a réussi son pari : dimanche 7 mai, il a très largement remporté le second tour de l'élection présidentielle, avec 65,8% des voix face à Marine Le Pen, devenant le huitième chef de l'Etat élu sous la Ve République. Un parcours exceptionnel pour celui qui était totalement inconnu des Français il y a encore cinq ans. Son entrée en politique remonte à 2012, quand il quitte la banque d'affaires Rothschild & Co pour le secrétariat général adjoint de l'Elysée. Inspirateur de la politique économique de François Hollande, il devient son ministre de l'Economie en août 2014.
Par ses déclarations fracassantes, son style et son culot, il se fait rapidement remarquer. En avril 2016, il lance son propre mouvement politique, rampe de lancement à sa candidature présidentielle. Et à sa victoire finale un an plus tard. Retour sur une ascension éclair.
6 avril 2016 : Emmanuel Macron se met En marche !
J'ai décidé qu'on allait créer un mouvement politique nouveau." Il est un peu plus de 20 heures, le 6 avril 2016, quand Emmanuel Macron pose la première pierre de son aventure élyséenne. Depuis Amiens (Somme), sa ville natale, il s'exprime dans une salle du Palais des Congrès où sont réunies quelque 200 personnes. Son épouse, Brigitte, l'écoute attentivement, assise au premier rang. Place qu'elle conservera tout au long de cette aventure présidentielle. En marche ! "ne sera pas à droite et pas à gauche", explique le ministre de l'Economie. Un positionnement qui serait né de la loi Macron, adoptée en février 2015 après un passage en force du gouvernement, au grand dam du locataire de Bercy, qui avait consacré des centaines d'heures au débat parlementaire.
Richard Ferrand, rapporteur socialiste du texte, et l'un des premiers soutiens d'Emmanuel Macron, y voit un déclencheur de la création de son mouvement. "C’est comme cela qu’est né En marche !. A la buvette de l'Assemblée, des élus de droite disent à Macron : 'Je voterais bien ta loi, mais je ne peux pas.' Quand vous découvrez les blocages politiques, soit vous arrêtez, soit vous faites quelque chose pour changer."
Devant ses premiers partisans, Emmanuel Macron définit son objectif. Face "au blocage de la société", il souhaite porter "des idées neuves, construire la majorité sur ces idées neuves pour le pays et les mettre en œuvre demain". Ne s'agit-il pas tout simplement d'un projet présidentiel ? A treize mois de l'élection, il assure ne pas y penser : "Ce n'est pas un mouvement pour avoir un énième candidat de plus à la présidentielle, ce n'est pas ma priorité aujourd'hui."
Et pourtant, toutes les étapes sur le chemin de l'Elysée sont déjà dans la tête d'un des plus proches conseillers d'Emmanuel Macron, Ismaël Emelien : l'objectif de "dizaines de milliers d'adhérents d'ici à six mois" ; le financement par des dons, inspiré de la campagne d'Obama en 2008 ; l'élaboration des propositions "de manière extrêmement démocratique" ; la nécessaire recomposition du paysage politique, qui n'arrivera "pas par les appareils, mais par le bas", et "sans attendre" les échéances électorales… Tous les ingrédients de la "grande marche", qui permettra à Emmanuel Macron de recruter massivement des adhérents et de faire émerger un "diagnostic", sont déjà posés.
Qu'un ministre en fonction lance, en solo, un nouveau parti politique à ses initiales, avec de telles ambitions, est inédit. A l'Elysée pourtant, on ne semble pas percevoir le danger. "Emmanuel" ne fera rien contre le président, assure l'entourage de François Hollande. Richard Ferrand, lui, n'a guère de doute sur l'objectif final de l'opération. "Tu sais où cela va nous mener ?" demande-t-il à Emmanuel Macron dans la nuit du 5 au 6 avril. "On verra bien si ça répond à un besoin", lui répond le ministre. "C’était implicite entre nous", explique Richard Ferrand.
Analyse partagée par Renaud Dutreil, ancien ministre sous Jacques Chirac, qui se souvient parfaitement de sa première rencontre avec Emmanuel Macron, fin avril.
<i>Je lui dis : "Vous devriez vous présenter à l’élection présidentielle." Il me répond : "Oui oui, bien sûr." Il était très sérieux. Je n’ai jamais vu quelqu'un d’aussi déterminé que Macron la première fois où je l’ai vu. C’était clair comme de l’eau de roche qu’il allait vers la présidentielle</i>.
12 juillet 2016 : un premier pas vers la candidature
Trois mois ont passé depuis le lancement d'En marche !, qui compte déjà plus de 50 000 adhérents. Les "marcheurs" ont commencé à aller sonder les Français. Emmanuel Macron continue de faire la une des magazines, très souvent en compagnie de Brigitte, mais n'a toujours pas clarifié ses intentions. Certains partisans commencent à douter de ses ambitions, des donateurs, notamment, hésitent à franchir le pas… Et si Emmanuel Macron n'était qu'un rabatteur pour François Hollande ?
Pour montrer qu'"il n'y a pas de trou d'air", comme le formule Ismaël Emelien, Emmanuel Macron organise un meeting le 12 juillet, deux jours avant la traditionnelle intervention du chef de l'Etat. Et il fait les choses en grand. La Mutualité, salle chère à la gauche, est bondée, surtout de jeunes militants survoltés. Sur une scène éclairée aux couleurs du drapeau français, Emmanuel Macron évolue comme dans un one-man-show, entre des prompteurs transparents à la Obama.
<i>Emmanuel ne se déclare pas candidat ce soir, mais tout est fait pour qu'on comprenne qu'il s'agit du premier meeting de la présidentielle.</i>
Et il ne se contente pas de la scénographie et de l'image. Il se permet aussi de proclamer ses ambitions à la tribune. "Imaginez où nous serons dans trois mois, dans six mois, dans un an !" Quatre-vingts minutes de discours dans lequel il teste en permanence la solidarité gouvernementale, marchant sur les plates-bandes de la plupart de ses collègues.
Il conclut, comme un défi au Premier ministre et au président : "Ce mouvement, personne ne l'arrêtera. Nous le porterons ensemble jusqu'en 2017 et jusqu'à la victoire." S'il ne s'est pas explicitement déclaré candidat, il a osé faire référence à l'échéance de 2017.
Ce jour-là, Manuel Valls bout de colère. Le Premier ministre lance un avertissement : "Il est temps que tout cela s'arrête." Réponse placide de Richard Ferrand : "C’est aujourd’hui que tout commence."
30 août 2016 : il rompt avec le gouvernement et François Hollande
Dès le lendemain du meeting de la Mutualité, la décision de quitter le gouvernement est prise en très petit comité. Car il semble très compliqué pour le ministre de l'Economie de continuer à rester "un pied dedans, un pied dehors". Manuel Valls a déjà réclamé à François Hollande des sanctions à l'égard du locataire de Bercy. Mais les mises en garde verbales du président ("Il sait ce qu'il me doit", assurait-il dès le 14 avril à son égard) sont toutes restées sans effet. Reste à fixer la date de la démission. L'attentat de Nice, le 14 juillet, remet les plans de Macron à plus tard.
Le Monde rapporte que le 24 août, de retour de congés, Emmanuel Macron réunit ses proches pour le déjeuner à Bercy. La plupart l'incitent à accélérer. "Je ne serai jamais le rabatteur de Hollande", aurait répondu le ministre. Le 29 août, premier rendez-vous avec le président. Le lendemain, en se rendant à l'Elysée avec la navette fluviale dont dispose le ministère des Finances, il lui annonce sa démission, laissant le chef de l'Etat estomaqué.
Les hollandais intentent immédiatement un procès en trahison, aidés en cela par le Premier ministre. "Moi, j'ai un principe, la loyauté", tacle Manuel Valls. Emmanuel Macron prend soin au contraire de remercier le président pour sa "confiance", dans la conférence de presse assez surréaliste qu'il tient depuis Bercy le jour-même.
Il annonce vouloir "entamer une nouvelle étape de son combat" et instruit le procès du système politique. Il assure en "avoir touché du doigt les limites", qui ont "construit une impuissance collective".
Dorénavant, Emmanuel Macron va se consacrer entièrement à son mouvement. Il se lance à l'automne dans une série de meetings en régions pour présenter son "diagnostic". Avec cette nouvelle étape, les levées de fonds s'accélèrent également.
10 décembre 2016 : la fusée Macron décolle
Ce que je veux, c'est que vous, partout, vous alliez le faire gagner ! Parce que c'est notre projet ! Vive la République, et vive la France !" Emmanuel Macron hurle à pleins poumons dans son micro. Devant 15 000 supporters réunis à la porte de Versailles, il conclut une heure et demie de discours, la voix totalement éraillée. La séquence a fait la joie des réseaux sociaux et de tous ses opposants. Mais, malgré la soudaine faiblesse de ses cordes vocales, Emmanuel Macron a réussi une démonstration de force.
L'ancien ministre de l'Economie est à présent officiellement candidat depuis la mi-novembre. Et François Hollande a renoncé à se présenter quelques jours plus tôt. La voie s'est donc considérablement dégagée pour le fondateur d'En marche !
Porte de Versailles, plusieurs choses interpellent : la jeunesse des supporters, inégalée dans un autre camp politique. Leur enthousiasme, souvent lié au fait que c'est leur première expérience militante. Et des drapeaux européens brandis par une salle debout quand Emmanuel Macron, après plus d'une heure de discours, se lance dans un éloge de l'Europe.
"C'est ce jour-là que Macron réussit son pari, estime Hugues Renson, ancien conseiller de Chirac aujourd'hui rallié à Emmanuel Macron. La France n’imaginait pas que cela puisse fonctionner, d’être 200 à Amiens et 15 000 porte de Versailles, à l’endroit même où de grands moments politiques ont eu lieu, que ce soit Chirac en 1995 ou Sarkozy en 2007."
A gauche, la prestation d'Emmanuel Macron est immédiatement analysée comme une performance inquiétante. Les socialistes viennent de lancer leur primaire dans une relative indifférence. Et le candidat d'En marche ! s'installe à la troisième place dans les sondages, battant le candidat socialiste quel qu'il soit.
<i>S'il se maintient à ces niveaux </i><i>dans les sondages, on est morts.</i>
Il ne croit pas si bien dire : Emmanuel Macron vise à présent une qualification au second tour.
22 février 2017 : François Bayrou, une prise adroite
Cela faisait des lustres que le siège du MoDem, rue de l'Université, à Paris, n'avait pas connu telle affluence. Le 22 février, François Bayrou a convoqué la presse, sans ordre du jour. Le président du MoDem n'a toujours pas fait savoir s'il allait se présenter, même si les affaires dans lesquelles se débat François Fillon rendent quasi impossible son soutien au candidat de la droite.
"Parce que les Français sont désorientés et souvent désespérés, j'ai décidé de faire à Emmanuel Macron une offre d'alliance." François Bayrou ne sera pas candidat et il offre son soutien au fondateur d'En marche !. Les quatre exigences qu'il pose, notamment celle d'une loi de moralisation de la vie politique, sont immédiatement acceptées par Emmanuel Macron. Le candidat n'a été prévenu de l'initiative de son nouvel allié que quelques heures plus tôt.
L'effet dans les sondages est immédiat. François Bayrou semble un parfait complément pour Emmanuel Macron, comblant plusieurs de ses lacunes supposées. L'âge, l'expérience, le terroir… "La dynamique d'Emmanuel Macron est assez indexée sur les ralliements, estime le député socialiste Christophe Caresche. C'est au moment où Bayrou l'a rejoint que je me suis décidé à le rallier." Comme lui, plusieurs socialistes y voient un motif supplémentaire de s'éloigner de Benoît Hamon, investi par la primaire de la gauche. Sur le flanc "droite" d'En marche !, c'est LA prise que l'équipe du candidat attendait. Après de nombreux ralliements à gauche, Macron avait besoin d'un poids lourd de droite pour rééquilibrer son mouvement.
Cette alliance, par laquelle François Bayrou espère redonner des couleurs au MoDem, notamment grâce à un groupe de députés à l'Assemblée, se conjugue à la litanie des affaires de François Fillon. Emmanuel Macron s'installe à la deuxième place dans les sondages : il semble avoir gagné sa qualification en finale.
23 avril - 7 mai 2017 : en marche vers l'Elysée
Dans les derniers jours, les sondages se sont resserrés, et peu à peu, l'ombre du doute s'est installée. "Cela me rappelle les résultats du bac. On a le sentiment d’avoir rendu une bonne copie, mais plus vous approchez du tableau de résultats, plus vous doutez de la teneur de votre copie", résume dans la toute dernière ligne droite le député Richard Ferrand, numéro deux d'En marche !.
Mais à 20 heures, dimanche 23 avril, les dernières craintes s'envolent. Sur les écrans de télévision, deux visages apparaissent : arrivé en tête avec 24% des voix, Emmanuel Macron affrontera au second tour Marine Le Pen, distancée de près de trois points. Une victoire pour ce presque novice en politique, parti de rien il y a un an. Est-ce en raison de ce parcours éclair qu'il pense avoir déjà gagné l'élection ? C'est en tout cas l'impression qu'il donne.
Porte de Versailles, à Paris, devant ses partisans en liesse, Emmanuel Macron monte sur scène avec sa femme à ses côtés. La foule se met à l'acclamer : "Brigitte ! Brigitte !" Dans son discours d'une grosse dizaine de minutes, il remercie ses partisans, comme si la bataille était passée : "Vous l'avez fait, vous nous avez portés." Et demande aux Français de "rompre jusqu'au bout avec le système qui a été incapable de répondre aux problèmes de notre pays depuis plus de trente ans".
Après ce passage éclair face à ses partisans, Emmanuel Macron file retrouver ses proches à La Rotonde, une brasserie du quartier de Montparnasse, où le noyau dur d'En marche ! a pris l'habitude de se réunir depuis un an. Des people, comme Stéphane Bern ou Line Renaud, se mêlent aussi à la soirée. Massées à l'extérieur du restaurant, les caméras captent ces images, qui rappellent celles de Nicolas Sarkozy au Fouquet's en 2007, et donnent surtout un sentiment de triomphalisme avant même que le second tour n'ait eu lieu. Les soutiens du candidat ont beau plaider que la soirée est "très simple", le mal est fait. A droite comme à gauche, on accuse Emmanuel Macron de festoyer sans se préoccuper de la qualification du Front national.
Le candidat semble d'ailleurs avoir du mal à enchaîner. Pendant deux jours, alors que son adversaire multiplie les sorties de terrain, Emmanuel Macron passe le plus clair de son temps dans son QG parisien.
Le point de bascule intervient finalement le mercredi 26 avril. Ce matin-là, Emmanuel Macron a rendez-vous à la chambre de commerce et d'industrie d'Amiens, pour y rencontrer l'intersyndicale de l'usine Whirlpool, menacée de fermeture. Au beau milieu de cette réunion, la nouvelle tombe : Marine Le Pen vient d'arriver devant l'entrée de l'usine ! Accompagnée de militants frontistes, elle reçoit – devant la seule caméra de BFMTV un très bon accueil, et enchaîne pendant un quart d'heure les selfies. Sur les images, le contraste entre les deux scènes est saisissant. Emmanuel Macron ne laisse rien paraître, mais le coup de com' de la candidate frontiste a pris tout le monde de court, y compris l'équipe du candidat.
Emmanuel Macron contre-attaque. La réunion avec les responsables syndicaux terminée, il annonce qu'il se rendra, lui aussi, sur le site dans l'après-midi. Mais une fois sur place, l'accueil est houleux. Des sifflets, des cris "Marine présidente !", une meute de journalistes qui empêche tout dialogue avec les salariés... Emmanuel Macron ne se démonte pas. Il s'isole avec une trentaine d'ouvriers, et entame la discussion. Une petite heure passée à défendre point par point sa position sur le dossier, face à des ouvriers remontés. Il joue aussi sur la corde sensible.
Vous croyez que ça ne me fait pas mal aux tripes que le FN soit en tête sur mes terres ?
Après une longue discussion, Emmanuel Macron doit repartir. Il est attendu pour un meeting à Arras. Au moment de quitter les salariés de Whirlpool, l'ancien ministre repart sans huée. Le candidat peut même serrer quelques mains et échange des sourires. S'il n'a sans doute pas convaincu la majorité des ouvriers, il a en tout cas réussi à limiter les dégâts.
L'épisode l'a semble-t-il réveillé. Fini les sourires triomphants qui peuvent passer pour de l'arrogance, le candidat repart sur le terrain. Déplacement à Oradour-sur-Glane, visite du mémorial de la Shoah, hommage à Brahim Bouarram jeté dans la Seine en 1995 par des militants d'extrême droite... Pendant le week-end d'entre-deux-tours, Emmanuel Macron se place sur le terrain des valeurs, tentant de rediaboliser le FN.
De ce point de vue, le débat de l'entre-deux-tours va servir le candidat au-delà de ses espérances. Rituel incontournable de la campagne, il revêt cette année une importance particulière : les indécis et abstentionnistes potentiels sont plus nombreux que d'habitude. Marine Le Pen a choisi de cogner son adversaire comme jamais. Deux heures et demie sous extrême tension passées à invectiver le favori des sondages, sans jamais présenter ses propositions sur le fond. Même chez les partisans du Front national, sa prestation déçoit. Et gomme en partie le travail de banalisation entamé il y a plus de dix ans. Du côté d'En marche !, on est soulagé, persuadé qu'Emmanuel Macron a démontré sa capacité à présider. Dans un sondage Ipsos/Sopra Steria réalisé au lendemain du face-à-face, le candidat d'En marche ! reprend 2,5 points de plus, et recueille 61,5% des intentions de vote.
Trois jours plus tard, l'écart entre les deux candidats est finalement encore plus large. Emmanuel Macron est élu président avec 65,8% des voix, dimanche 7 mai, selon une estimation Ipsos/Sopra Steria pour France Télévisions et Radio France. Mais le plus dur commence. Le leader d'En marche ! va désormais devoir se lancer dans la bataille des élections législatives, pour tenter de former une majorité parlementaire. Et la partie s'annonce rude. "Je serai à la tête du combat" des législatives, promet déjà Marine Le Pen devant ses partisans. Emmanuel Macron, lui, croit en son avenir. "Une nouvelle page de notre longue histoire s'ouvre ce soir, assure-t-il après l'annonce des premières estimations. Je veux que ce soit celle de l'espoir et de la confiance retrouvés."