En parallèle, les principaux adjudants de Marine Le Pen recadrent et lissent méthodiquement l'organisation des fédérations. A commencer par l'ouverture d'un nombre maximal de permanences : le FN s'est fixé pour objectif d'en installer 70 d'ici à la fin 2013, contre une poignée en début d'année. Mais aussi et surtout, ces pontes du parti réalisent un audit pointilleux, avec entretiens individuels, des équipes en place.
Au passage des membres du "carré", exit l'ancienne école : les militants jugés "trop instables" ou sulfureux sont mis de côté au bénéfice de nouveaux "SD" (secrétaires départementaux) plus raccord avec la ligne officielle. De quoi s'assurer un contrôle accru du siège du parti sur les affaires de chacun, les récalcitrants étant tout bonnement exclus.
A Toulon (Var), le 28 avril, Marine Le Pen elle-même avertit les candidats du parti : "Je ne veux plus voir n'importe quoi sur les profils Facebook... Un peu de tenue !" "Le FN s'ajuste à l'objectif d'arriver au pouvoir, note Joël Gombin, chercheur en sciences politiques et spécialiste du FN. C'était essentiellement un parti d'outsiders, maintenant il investit des candidats aux parcours plus proches de ceux des autres partis." Des profils d'autant plus faciles à attirer que le Front national est en position d'avoir des postes, ce qui suscite des convoitises.
Mais les négationnistes, néofascistes, membres de l'Œuvre française et "gudards" (du Groupe union défense, une organisation étudiante d'extrême droite) ne sont pourtant jamais très loin, note Mediapart. Alors le Front n'hésite pas à mettre en avant de nouveaux visages plus-respectable-que-moi-tu-meurs.
Par exemple à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), où Etienne Bousquet-Cassagne, 24 ans, remplace finalement Catherine Martin, "trop versatile et imprévisible", pourtant initialement investie. A Strasbourg, le duo Christian Cotelle et Xavier Codderens, militants FN depuis près de trente ans, a été évincé, dans un premier temps, au profit d'André Kornmann, un avocat de 50 ans qui n'a rejoint le parti qu'en 2012. De fait, c'est son parcours politique qui a attiré "le carré" : l'homme était sur les listes du MoDem en 2008 et a troqué l'orange pour le bleu Marine.
Mais le 4 octobre, dans une conférence de presse détaillant son programme, André Kornmann avance des propositions très musclées, comme doter la police municipale de "chiens de grande envergure pour contrer les grandes manifestations" ou déposer les Roumains en infraction "devant la résidence du consul de Roumanie" pour qu'il les accueille dans sa vaste bâtisse. Résultat : des coups de fil désapprobateurs du bureau national du FN, qui estime, selon Nicolas Bay, délégué national à la communication électorale, que Kornmann "n'est pas dans la ligne du parti". L'ancien centriste refuse de revenir sur ses propos et se retire de la liste. Dégât collatéral, Xavier Codderens a claqué la porte du Front national. Et Pascale Elles, secrétaire départementale du Bas-Rhin, nommée à l'occasion d'un audit, de se lâcher: "C'est un catho tradi [qui] ne peut pas s'empêcher de faire référence à des papes du Moyen Age, quelle que soit la discussion." A Tarascon (Bouches-du-Rhône), le Front national mise sur Valérie Laupies, directrice d'école et ancienne militante de gauche.
Le grand ménage ne se fait décidément pas sans heurts. En Moselle, où le Front compte parachuter Florian Philippot, l'ambiance est délétère. "L'énarque", "Monsieur-Je-Sais-Tout", est accusé par les tenants d'une ligne dure de dévoyer le message du FN hors de ses thèmes de prédilection que sont l'immigration et l'insécurité. Les historiques Marie-Christine Arnautu et Wallerand de Saint-Just sont dépêchés mi-mars sur place pour câliner ceux qui défilent dans le petit hall d'un hôtel du centre-ville de Metz (Moselle). "Les fédérations sont suivies comme une ville sous tutelle. Chaque compte rendu de réunions de bureaux est envoyé par mail à Nanterre", rapporte Libération.
A défaut de fédérations, "dans les villes importantes, il faut des correspondants dans les quartiers : la même personne, tout au long de l'année, qui se fait repérer et fait remonter les infos", martèle Steeve Briois, artisan de l'implantation du FN à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). Avec Nicolas Bay et Louis-Armand de Béjarry, secrétaire national adjoint aux Fédérations, ce dernier a nommé une quarantaine de personnes depuis 2011.