Procès des assistants parlementaires du FN : cette échéance judiciaire peut-elle contrarier les ambitions présidentielles de Marine Le Pen ?

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
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Marine Le Pen lors du séminaire parlementaire du Rassemblement national à l'Assemblée nationale, à Paris, le 14 septembre 2024. (LUDOVIC MARIN / AFP)
La députée risque dix ans de prison et une peine complémentaire d’inéligibilité de dix ans. En cas de condamnation, les voies de recours pourraient toutefois lui permettre de se présenter à l'élection présidentielle 2027.

Elle a prévu d'assister le plus possible à son procès. Marine Le Pen comparaît à partir du lundi 30 septembre devant le tribunal judiciaire de Paris aux côtés de 24 autres personnes dans l'affaire des assistants parlementaires européens du Front national. La cheffe de file des députés du parti d'extrême droite (devenu Rassemblement national en juin 2018) est jugée pour détournement de fonds publics et complicité de détournement de fonds publics. Elle encourt dix ans de prison, jusqu'à un million d'euros d'amende et une peine complémentaire d'inéligibilité de cinq ans.

Les débats, et surtout la décision, attendue début 2025, promettent d'être très suivis en raison de l'enjeu politique de cette échéance judiciaire, qui se tient un peu moins de trois ans avant la prochaine présidentielle. Une condamnation pourrait en effet contrarier les ambitions élyséennes de Marine Le Pen. Et ce, même si la perspective d'une peine de prison ferme, qui enverrait la candidate derrière les barreaux avant 2027, semble peu probable.

Dans l'affaire des assistants parlementaires européens du MoDem, dont le jugement a été rendu en janvier, toutes les peines ont été prononcées avec sursis, y compris celles d'inéligibilité. C'est cette peine complémentaire qui est en réalité la plus appréhendée. "Dans ce genre d'affaire, on redoute plus souvent les peines complémentaires, comme l'interdiction professionnelle et la privation des droits civiques, que les peines principales", observe Jean-Marie Brigant, maître de conférences en droit privé et en sciences criminelles.

Un détournement présumé d'une plus grande ampleur

Marine Le Pen peut-elle espérer une relaxe comme celle prononcée, "au bénéfice du doute", pour François Bayrou ? Leur situation est difficilement comparable. Alors que le leader centriste était uniquement poursuivi pour complicité, Marine Le Pen est également visée pour détournement de fonds en tant qu'ancienne eurodéputée. Entre 2009 et 2016, elle a bénéficié des services de quatre assistants parlementaires, salariés par le Parlement européen, mais, selon l'accusation, "en réalité employés au sein" du FN. De quoi l'exposer à un risque accru de condamnation.

Le détournement dénoncé n'est par ailleurs pas de même ampleur. A l'issue du procès des assistants parlementaires du MoDem, le tribunal a justifié le fait de prononcer des peines d'inéligibilité avec sursis par "l'absence de caractérisation d'un système, au regard du nombre modéré de contrats détournés". Dans le cas du Front national, les juges d'instruction insistent sur le "caractère systémique des détournements", dont Marine Le Pen est présentée comme "l'une des principales responsables".

L'objectif, selon les magistrats, était de réaliser des économies substantielles de salaires pour le parti, alors très endetté. Les montants en jeu sont ainsi bien plus élevés. Le préjudice total chiffré par le Parlement européen est de 6,8 millions d'euros dans l'affaire du FN, contre 293 000 euros dans celle du MoDem.

Inéligible pour la présidentielle 2027 ?

Si, à l'inverse de François Bayrou, Marine Le Pen est reconnue coupable et condamnée à une peine complémentaire d'inéligibilité, elle peut toujours espérer que celle-ci soit assortie de sursis. Dans ce cas, aucun problème pour se présenter à la prochaine élection présidentielle, à moins d'être condamnée pour une nouvelle infraction de même nature dans le délai prévu par le tribunal. Un scénario peu probable.

Si la triple candidate à l'Elysée écope d'une peine d'inéligibilité ferme, les voies de recours, de l'appel à la cassation, devraient également lui permettre d'enjamber l'échéance électorale du printemps 2027. Tant que la condamnation n'est pas définitive, la peine n'est pas exécutée, car les recours sont suspensifs. "Le risque, pour Marine Le Pen, c'est que le calendrier judiciaire soit accéléré, un peu comme dans l'affaire Fillon, avec le contexte électoral", prévient toutefois le professeur de droit Jean-Marie Brigant. Il pointe néanmoins les délais incompressibles de la justice, non calés sur l'agenda politique.

"Le rythme électoral et le rythme judiciaire ne sont pas synchronisés, c'est l'indépendance de la justice."

Jean-Marie Brigant, maître de conférences en droit privé

à franceinfo

Pour qu'une condamnation de Marine Le Pen heurte véritablement le calendrier électoral, il faudrait que le tribunal ordonne l'exécution provisoire de la peine d'inéligibilité, d'une durée d'au moins deux ans. Dans ce cas, les recours ne sont pas suspensifs. "L'exécution provisoire, c'est une arme redoutable, de plus en plus utilisée à l'égard des élus" dans des affaires d'atteinte à la probité, poursuit Jean-Marie Brigant. Mais cette mesure "doit répondre à l'objectif d'intérêt général et à prévenir la récidive", rappelle le spécialiste. "A moins d'une volonté d'exemplarité, je ne suis pas sûr que cela s'applique à Marine Le Pen, car elle n'est plus eurodéputée", relève-t-il.

Un faible "coût" électoral

"En France, il y a peu de chance que la justice aille jusqu'à l'exécution provisoire et que la peine soit immédiate", abonde Erwan Lecœur, sociologue et politologue spécialiste de l'extrême droite. En dehors du risque d'inéligibilité, une condamnation pourrait-elle coûter des voix à Marine Le Pen ? Rien n'est moins sûr, "l'opinion publique française étant de moins en moins pro-européenne", souligne Erwan Lecœur.

"Cela peut affaiblir un peu son image auprès du grand public mais cette affaire n'a jusqu‘ici jamais posé de problème au sein de son électorat. Elle la fait même passer pour une sorte de victime de l'Europe et des élites européennes." 

Erwan Lecœur, politologue spécialiste de l'extrême droite

à franceinfo

C'est d'ailleurs la ligne de défense revendiquée par le parti et l'entourage de Marine Le Pen. Comme le développait sur franceinfo Jean-Philippe Tanguy, député RN de la Somme, après la relaxe de François Bayrou, cette procédure initiée par Bruxelles viserait des "partis antisystème" pour "de vils motifs politiciens". "Je ne peux pas dire que c'est un procès politique, car nous avons confiance dans nos juges, mais c'est un procès d'origine politique", renchérit Alexandre Varaut, ancien avocat du RN devenu porte-parole du parti dans ce dossier depuis qu'il a été élu eurodéputé.

Selon lui, Marine Le Pen "est persuadée que les explications" fournies pendant les débats "vont permettre de la relaxer". Quant à la suite, "c'est uniquement aux Français, aux électeurs, de dire quel sera son avenir politique et à personne d'autre". Le procès est prévu pour durer jusqu'au 27 novembre.

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