Les armes de Jean-Marie Le Pen pour sa riposte politique
Exclu du parti dont il est un membre fondateur, l'ex-dirigeant du Front national a déclaré la guerre à sa fille. Et son pouvoir de nuisance reste important.
Et maintenant, que va-t-il faire ? Marine Le Pen a (symboliquement) tué le père, mais Jean-Marie Le Pen n'a pas dit son dernier mot. "C'est une félonie", "une trahison" : depuis l'annonce de sa suspension par le Front national de son statut d'adhérent, lundi 4 mai, l'ancien président du FN a déclaré la guerre à sa fille. "Ils doivent s'attendre à tous les moyens. Ce n'est pas impunément qu'on m'attaque, même dans le dos", a prévenu celui qui risque de perdre prochainement son titre de président d'honneur du FN.
Malgré ses 87 ans, le membre fondateur du FN n'a donc nullement l'intention de se retirer de la politique et pourrait bien compliquer la vie de sa fille dont il ne souhaite plus la victoire lors de la présidentielle 2017. "Il dispose d’un caractère suffisamment fort pour rebondir et, comme il ne cesse de dire que sans la politique, il mourra, il va continuer d'exercer son pouvoir de nuisance", assure Valérie Igounet, spécialiste de l'extrême droite et auteur du blog Derrière le Front. Francetv info détaille les moyens dont le patriarche dispose pour perturber la carrière politique de sa fille.
1Les déclarations provocantes
Encore des mots, toujours des mots. En soixante ans de vie politique, Jean-Marie Le Pen s'est fait une spécialité de la petite phrase polémique, de la banderille aux relents racistes ou antisémites. Débarrassé de la tutelle de son parti et toujours député européen, l'animal politique pourrait redoubler d'efforts dans cet exercice, à l'image de sa récente interview à Rivarol, qui a déclenché le début de ce psychodrame familial et politique.
"Compte tenu de l’attention médiatique dont il bénéficie, on peut s’attendre à ce que sa parole soit entendue et qu’elle parasite la présidence de Marine Le Pen", explique à francetv info Alexandre Dézé, enseignant-chercheur en science politique, auteur de l'essai Le "nouveau" Front national en question (éd. de la Fondation Jean-Jaurès, 2015). Pour Valérie Igounet, le président déchu pourrait se montrer de plus en plus sanglant contre sa fille et la nouvelle direction du FN : "Il a une véritable aversion pour l'équipe de sa fille qui pourrait se matérialiser verbalement, il pourrait aussi continuer à s'en prendre à sa fille."
2Les recours devant la justice
Jean-Marie Le Pen a prévenu : le Front national doit s’attendre à ce qu’il emploie "tous les moyens" pour riposter contre sa supension, y compris une possible action en justice. "Il faut rappeler que chaque scission du FN, 1973 comme 1998 [lorsque Bruno Mégret était parti avec une majorité des cadres du parti], s’est terminée devant un tribunal", prévient Alexandre Dézé.
L'été dernier, à la suite d'une première brouille interne après un dérapage concernant Patrick Bruel, Jean-Marie Le Pen avait déjà prévenu sa fille, sur le plateau de BFMTV, de l'impossibilité de lui retirer son titre : "Je suis président à vie. Cette décision n'appartient à personne, même pas à un congrès suivant puisque cette décision est définitive jusqu'à ma mort." Jean-Marie Le Pen pourrait donc contester la légitimité du prochain congrès censé lui retirer son titre de président d'honneur.
"Ensuite, même si l’exclusion devrait être logiquement confirmée lors de l'assemblée générale du FN, je ne pense pas qu'il se lancera pour autant dans la création d'un nouveau parti, ajoute Valérie Igounet. Il manque de personnes expérimentées autour de lui pour se lancer dans une telle aventure."
3L'appel aux militants
Lors du grand raout du 1er mai, à Paris, une partie de la base militante a acclamé Jean-Marie Le Pen au moment où celui-ci s'est invité sur l'estrade. Les sanctions du bureau exécutif pourraient donc braquer une partie des adhérents du canal historique du FN. "Les décisions d’hier commencent déjà à provoquer des remous, notamment dans les fédérations du Sud-Est", prévient Alexandre Dézé. "Avec ce type de décision, on risque d'aller vers un découragement, une désaffection, une incompréhension de la base militante", confie à francetv info le député européen Bruno Gollnisch.
"Il est fédérateur auprès de la base militante, avec qui il entretient un lien fort", analyse Valérie Igounet. "En se dissociant à ce point de son père, Marine Le Pen prend donc un risque", ajoute Alexandre Dézé, pour qui "Jean-Marie Le Pen a toujours constitué un puissant liant au FN et contribuait à entretenir la singularité du parti, qui réside dans sa radicalité".
Mais Sylvain Crépon, maître de conférences à l'université de Tours, souligne le renouvellement récent du parti : "La plupart des militants et cadres considèrent que Jean-Marie Le Pen, c'est le passé." Par ailleurs, la cote de popularité du patriarche ne cesse de chuter dans les sondages. Sa cote d'influence est à 2% (contre 32% pour sa fille), selon une enquête BVA publiée samedi.
4 L'appel aux cadres du FN qui le soutiennent
Jean-Marie Le Pen garde plusieurs soutiens au sein du FN, à l'image de Marie-Christine Arnautu, membre du bureau exécutif, qui s'est prononcée contre les sanctions, ou de Bruno Gollnisch. "Je suis atterré, stupéfait et attristé, lâche le député européen, je fais part de ma totale désapprobation quant au processus." Pour l'instant, ce proche de Jean-Marie Le Pen n'envisage pas de quitter le FN, "mais je vais voir comment les choses vont se dérouler, puis je prendrai le temps de la réflexion et, après, je verrai si je dois sortir mon sabre de samouraï".
"L'actuel président d’honneur reste apprécié par une partie des cadres", confirme Alexandre Dézé. Jean-Marie Le Pen pourrait donc utiliser ses réseaux pour perturber la vie du Front national, notamment lors des prochaines élections. Il avait annoncé le retrait de sa candidature en Paca pour les régionales au profit de sa petite-fille, Marion Maréchal-Le Pen. Mais le "Menhir" pourrait revenir sur sa décision.
"Je ne crois pas à ce scénario, c’est un fin politique et il ne prendrait pas le risque d’une défaite", estime Valérie Igounet. Par ailleurs, selon Alexandre Dézé, les décisions prises par le FN montrent que Jean-Marie Le Pen est devenu marginal au sein de son parti : "La marge de manœuvre des soutiens historiques de Jean-Marie Le Pen semble limitée".
5 La récupération de la marque "Le Pen"
"J'ai exprimé le souhait que Marine Le Pen me rende mon nom", a attaqué Jean-Marie Le Pen en tentant d'user de son autorité paternelle. "Marine Le Pen a le même nom que son père et l’entreprise familiale prospère sur ce nom, on va donc voir comment elle choisit de l’utiliser, observe Valérie Igounet, mais la fracture entre le père et la fille semble pour l'instant totale."
"J'ai peur qu'on en soit arrivé à des dérives paroxystiques et à une rupture globale, confirme un cadre du Front national. Pour envisager une réconciliation, il faudra – excusez l'ironie – attendre au moins vingt ans, le temps nécessaire à ce genre de brouille familiale." Entre Marie-Caroline Le Pen et son père, le froid (né du choix de la fille aînée de suivre Bruno Mégret en 1998) dure depuis dix-sept ans, comme le rappelle Le Figaro. Si Marine Le Pen a déjà quitté la résidence familiale de Montretout (Saint-Cloud, Hauts-de-Seine) il y a quelques mois, la querelle entre père et fille risque de rejaillir sur toute la famille. "Je n'aimerais pas me trouver là lors du prochain dîner de famille des Le Pen", conclut un cadre du FN.
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