"C'est un échec" : comment le nouveau gouvernement de François Bayrou s'est à nouveau placé "dans les griffes du RN"

Les noms des ministres ont été dévoilés lundi, sans la participation de la gauche, mais avec le renfort de quelques poids lourds macronistes et d'anciens ministres de François Hollande. Comme sous Michel Barnier, le groupe de Marine Le Pen se retrouve en position d'arbitre.
Article rédigé par Margaux Duguet, Laure Cometti
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le Premier ministre, François Bayrou, le 17 décembre 2024 à l'Assemblée nationale à Paris. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

"Des poids lourds du passé, des gens qui ont été ou qui ont perdu. Pas un socialiste d'aujourd'hui. Un attelage en décalage majeur avec l'Assemblée nationale après la dissolution", fustige une influente députée du bloc central, sitôt l'annonce du gouvernement de François Bayrou connue. Dix jours après son arrivée mouvementée à Matignon, le maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) a tenu in extremis son engagement de composer un gouvernement "avant Noël". Les noms des 35 ministres ont été dévoilés lundi 23 décembre en début de soirée. La gauche mais aussi le RN ont immédiatement dénoncé le casting, tandis que les LR, autrefois fidèles soutiens de Michel Barnier, ont également émis des critiques.

Gérald Darmanin à la Justice, Elisabeth Borne à l'Education nationale, Aurore Bergé à l'Egalité entre les femmes et les hommes, Amélie de Montchalin au Budget… Des personnalités macronistes ont fait leur retour au gouvernement tandis que l'arrivée de l'ancien Premier ministre (ex-PS) Manuel Valls aux Outre-mer a été abondamment commentée. "Ça sent à fond les dinosaures et ça causera la fin de la Ve République", prédit auprès de France Télévisions un conseiller parlementaire.

"Un peu comme un Barnier II"

Les difficultés rencontrées par le centriste pour élargir son socle politique engendrent une très forte continuité entre son gouvernement et celui de Michel Barnier. Sur les 35 ministres nommés lundi, 19 faisaient déjà partie de l'équipe renversée le 4 décembre par l'Assemblée. De plus, un tiers des nouveaux entrants ont déjà été membres d'un gouvernement sous Emmanuel Macron. "C'est un peu un Barnier II puisque François Bayrou se place dans la même configuration politique, ajoute le constitutionnaliste Benjamin Morel. Ça va être très compliqué pour la suite", prédit-il. 

Dans le gouvernement Barnier, Les Républicains et Renaissance disposaient respectivement de dix et 11 portefeuilles, tandis que le MoDem en comptait trois. Le parti présidentiel reprend donc l'ascendant dans ce nouveau gouvernement, avec 12 ministères, contre six pour LR. Le MoDem, présidé par François Bayrou, compte seulement deux ministères (Affaires étrangères et Relations avec le Parlement).

Sans surprise, aucun membre actuel du Parti socialistes ne fait son entrée. François Bayrou ne décroche l'entrée que de Manuel Valls, François Rebsamen et Juliette Méadel, trois ex-ministres sous François Hollande qui ont ensuite soutenu Emmanuel Macron. Malgré de nombreuses réunions, le quatrième Premier ministre de 2024 n'est pas parvenu à nommer, comme il le souhaitait, un tiers de personnalités de droite, un tiers de gauche et un tiers du centre.

Sur X, Mathilde Panot, cheffe des députés insoumis, a dénoncé "un gouvernement rempli de gens désavoués dans les urnes et qui ont contribué à couler notre pays… avec le soutien de Marine Le Pen et du RN". Sa formation a déjà prévenu qu'elle déposerait une motion de censure contre le gouvernement Bayrou, à la rentrée parlementaire en janvier. "Ce n'est pas un gouvernement, c'est une provocation. La droite extrême au pouvoir sous la surveillance de l'extrême droite", a dénoncé sur X le patron du PS Olivier Faure. 

Les déclarations de Xavier Bertrand, "un poison lent"

"Aucune des conditions n'a été respectée par François Bayrou" pour établir le pacte de non-censure souhaité par l'Elysée et Matignon, a-t-il ajouté sur BFMTV, mardi. "Au vu des réactions des socialistes, il va être très compliqué pour eux de ne pas aller vers la censure, confirme Benjamin Morel. On a, en plus, une droitisation du gouvernement sur le régalien avec Retailleau à l'Intérieur et Darmanin à la Justice, alors qu'avant c'était l'ancien PS Didier Migaud [garde des Sceaux du gouvernement Barnier]".

"Cela place de nouveau le RN en arbitre des élégances. Et ils ne censureront pas tant qu'ils n'ont pas d'intérêt à censurer."

Benjamin Morel, constitutionnaliste

à franceinfo

Lundi soir, le RN restait dans une posture critique, sans brandir la menace d'une censure a priori. Pour Marine Le Pen, le gouvernement Bayrou "s'appuie comme le précédent sur une absence manifeste de légitimité et une majorité introuvable". "Il va devoir changer de méthode, écouter et entendre les oppositions pour construire un budget qui prenne en compte les choix exprimés dans les urnes", a-t-elle prévenu sur X.

La patronne du RN a-t-elle pesé en coulisses ? Une heure avant l'annonce des nominations, Xavier Bertrand, pressenti pour prendre la tête du ministère de la Justice, a déclaré qu'il avait rejeté les dernières offres de François Bayrou. "Je refuse de participer à un gouvernement de la France formé avec l'aval de Marine Le Pen", écrit le président LR des Hauts-de-France. "Ce communiqué, ce sera un poison lent. A partir de quel moment des députés élus grâce au front républicain, vont se retrouver à soutenir un gouvernement qui tient par le RN ?", interroge Benjamin Morel. Au sein des cabinets ministériels, on n'en pense pas moins. "C'est un échec de ne pas être sorti de la dépendance du RN", analyse un conseiller ministériel.

"Tout le monde considère que cela ne durera que trois mois. On m'a dit : 'Le communiqué de Xavier Bertrand a déjà tué le gouvernement Bayrou.'"

Un conseiller ministériel

à franceinfo

"Il n'est pas vrai que quelque influence que ce soit se soit exercée sur moi", a contesté pour sa part François Bayrou sur BFMTV. "Xavier Bertrand proposait une démarche que j'ai trouvée violente au ministère de la Justice", une "approche" qui n'était "pas la mienne", a-t-il justifié. Le vice-président de l'Assemblée et ancien ministre macroniste Roland Lescure a aussi décliné une place au gouvernement, se disant "vigilant à ce que le gouvernement se sorte définitivement des griffes du RN", selon son entourage à franceinfo.

"Laurent Wauquiez conteste la méthode"

Privé du soutien de la gauche, François Bayrou devra aussi composer avec le soutien de plus en plus timide de la droite. Les relations pourraient même de se tendre, LR voyant son poids diminuer de moitié dans cette nouvelle équipe, même si Bruno Retailleau conserve Beauvau et devient ministre d'Etat. La droite a certes obtenu lundi l'engagement écrit du Premier ministre notamment sur des "économies" budgétaires et l'encouragement du "travail par tous les moyens", auquel ils avaient conditionné leur participation au gouvernement. Mais cela s'est révélé insuffisant pour renforcer l'alliance.

Laurent Wauquiez, patron des députés LR, a renoncé à entrer dans l'équipe, faute d'avoir obtenu le portefeuille des Finances. Après l'officialisation du gouvernement, il n'exclut pas de retirer son soutien à l'équipe de François Bayrou. "Laurent Wauquiez conteste la méthode du Premier ministre et regrette qu'on soit moins bien représentés qu'avant", explique une parlementaire LR. 

"On aura un soutien exigeant au gouvernement, au cas par cas, et on n’exclut pas de le quitter si le compte n’y est pas".

Une parlementaire LR

à franceinfo

Certains élus de droite ont même déjà franchi le Rubicon sans attendre. "Après une parenthèse de trois mois, durant lesquels j'ai soutenu le gouvernement de Michel Barnier, je suis à nouveau dans l'opposition", a prévenu sur X le sénateur LR Cédric Vial. "Le socle commun [qui réunissait le bloc présidentiel et la droite sous Barnier] est encore un peu plus effrité, la situation un peu plus tendue", relève Benjamin Morel. Or le temps presse. Après la délicate formation du gouvernement, François Bayrou et ses équipes vont s'atteler à un autre défi de taille : doter la France d'un budget. 

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